Durant 40 jours, les chrétiens se préparent aux fêtes pascales. Le dimanche des Rameaux clos cette période, tout en ouvrant aux dernières célébrations durant toute une semaine, appelée Semaine sainte. L’adjectif sainte désigne le caractère exceptionnel, unique de cette période de l’année, la plus importante pour la religion chrétienne. L’intensité émotionnelle et symbolique y atteignent leur paroxysme pour la foi chrétienne. Jésus de Nazareth est le personnage central des célébrations qui se déroulent tous les jours de cette semaine-là. Dont l’apogée constitue le triduum pascal s’étalant sur les trois derniers jours, jeudi, vendredi et samedi. Pour éclore dans l’annonce de la Résurrection qui retentit lors de la veillée pascale, répétée durant tous les jours de l’Octave (8 jours) de Pâques.
Le début de la Semaine sainte est marqué par une tonalité bien particulière, celle où la joie se mélange avec de la tristesse…, jusqu’au bout!
Lors de son entrée dans Jérusalem, les palmes à la main, les foules acclament Jésus. Ils lui font l’accueil digne d’un roi, sauf que Jésus a un jeune âne pour monture, ce qui n’est pas digne d’un pouvoir royal, tel que l’on s’imagine. Soit, mais pour le moment, ils le veulent comme roi. Il correspond à leurs attentes, plus exactement il correspond aux attentes qu’ils projettent sur lui, il n’est que le miroir de leurs désirs. Mais lorsqu’ils vont se rendre compte que le support de ce miroir ne correspond plus à leurs attentes, ils vont le laisser tomber.
Laisser tomber, abandonner, plus de consonance, plus de projets en commun, on ne l’aime plus. Qu’il s’en aille au diable, à mort, crucifie-le. Que l’on l’oublie au plus vite, passons à autre chose. La vie est plus forte que toutes les déceptions qu’elle génère. Tournons-nous vers la prospérité qui nous procurera la tranquillité. Et à l’avenir, protégeons-nous de ce genre d’illusions et surtout protégeons nos enfants qui n’ont pas à subir des errances de leurs aînés. Nous avons des convictions qui nous guident pour donner du sens à nos vies, à nos familles, à notre pays. Il ne faut pas que le bon destin nous échappe. Pour nous protéger du mauvais sort, un peu de religion ne fera pas de mal.
Dans ce podcast, le personnage central n’est pas Jésus qui entre en triomphateur dans une capitale qui sera la sienne le temps d’une émotion qu’il accueille sans être dupe. Le chaud et le froid, l’exaltation et la haine propres au dimanche de Rameaux sont approchées par ce qui est arrivé aux gens à la fin de la Seconde Guerre mondiale, dans la région qui se situe au nord de la Pologne d’aujourd’hui. Ce qui est arrivé aux religieuses et le prix qu’elles ont dû payer pour la fidélité à leur vocation. Aimer Jésus en toutes circonstances et en toute personne. Concrètement s’occuper des orphelins et des malades, à qui elles ont juré fidélité : je ne t’abandonnerai pas jusqu’à dans la mort. Et elles l’ont fait.
Une histoire parmi tant d’autres, une de plus, sans doute pas parmi tant d’autres déjà tirées d’un passé bien révolu. L’avenir n’est jamais certain, serait-il capable de s’en défendre suffisamment contre ce genre de situations. Si oui, tant mieux?! Mais sinon, quoi en faire? Auquel cas, un tel constat amer n’est pas plus nocif que n’importe quelle injustice que l’on déplore.
Nous sommes en janvier 1945, dans le nord de la Pologne actuelle, sur le territoire qui depuis des siècles et jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale se trouvait en Prusse orientale. Les sœurs de la congrégation de sainte Catherine, (Katarzynki) attendent le passage du front. Contrairement à la plupart de la population, elles restent auprès des enfants orphelins et malades dont elles s’occupent. L’armée allemande recule, l’armée rouge avance, il n’y a presque plus personne, sauf elles et leurs protégés.
Dans cette région, comme dans beaucoup d’autres de l’Europe centrale et orientale, les populations sont mélangées. En Prusse orientale aussi, la population allemande et polonaise cohabitent ensemble. En résultent des engagements en commun dans les différents domaines. La religion y a sa place très importante. Des filles catholiques, polonaises et allemandes s’engagent dans la vie religieuse, dans la même congrégation. Elles vont passer leur vie ensemble, jusqu’au dernier souffle. Elles viennent pour la plupart des familles paysannes profondément catholiques.
Elles sont entrées dans la vie religieuse très jeunes, souvent à peine adolescentes. En les accueillant, la congrégation leur procure gîte et couvert, pas forcément de qualité supérieure à celle qu’elle pouvait avoir à la maison familiale. Elle leur procure surtout une éducation, non seulement celle qui est indispensable pour une vie religieuse, mais aussi pour exercer un métier en lien avec la charité chrétienne. Elle les prépare au métier d’infirmières ou de maîtresses d’école. Certaines d’entre elles deviennent de véritables spécialistes dans leur domaine professionnel respectif.
C’est sur le terrain d’activités purement sociales, car au service de la société, qu’elles allaient exercer leur talents comme missionnaires totalement vouées à leur mission. Sans aller à l’autre bout du monde, elles se sont retirées du monde pour être au monde. Désormais sans être du monde. Partager la vie du monde là où le monde en a besoin. Lorsque ce besoin disparaît, elles disparaissent aussi.
Déjà durant la guerre, elles étaient la cible des critiques par harcèlement et persécutions directes de la part du régime Nazie. Lors du passage de l’Armée rouge, elles ont partagé le sort des milliers d’autres femmes. Le fait d’être religieuses a eu l’effet de loupe pour concentrer sur elles des sentiments négatifs (un pléonasme pour ne pas trop dévoiler la suite de la vraie histoire tout en la faisant deviner).
Elles ont subi une double peine « bien méritée ».
Elles voulaient étre des bonnes soeurs, ce qui n’est pas digne d’un homo germanicus ou d’un homo sovieticus. D’autant plus qu’elles se permettaient d’émettre des avis sur la conduite du pays. Puis au passage du front, elles sont considérées comme complices et peut-être même comme collabos du régime nazi. La justice est donc rendue, c’est la moindre chose. Il faut être clair, si on ne marche pas droit dans les bottes fournies, on finira par mal finir.
La région de Varmie fait partie de la Prusse orientale. Étymologiquement, c’est le nom donné à l’ethnie des Varmiens, une région historique du Nord-Est de la Pologne actuelle. Elle fait partie de la Prusse orientale qui couvre le territoire de l’ancien évêché de Varmie. Cette région se trouve d’abord sous l’autorité suprême de l’Etat monastique des Chevaliers teutoniques (1226-1525). Depuis le traité de Thorn (1466), la Varmie fait partie des territoires de Prusse royale assujettie à la Couronne polono-lituanienne. Lors du premier partage du royaume, la Varmie est annexée par le royaume de Prusse. Depuis la Seconde Guerre mondiale, cette partie de la Prusse orientale est placée sous le contrôle de la République populaire de Pologne et fait partie de la voïvodie de Varmie-Mazurie. Le reste de la Prusse orientale est actuellement sous le contrôle de la Russie, l’héritière de l’Union sovietique, vainqueur grâce à son Armée rouge.
Lors de son passage en janvier 1945 en Varmie, comme partout ailleurs avant et après, il y a du rouge, non seulement sur les drapeaux et dans les yeux. Il y en a partout, sur les corps, à l’extérieur des corps. Les sœurs vont devenir les membres disloqués de l’armée rouge. Mais à la guerre, c’est comme à la guerre. Le réalisme qui vire au cynisme n’est pourra pas se défendre longtemps. La guerre des images, la guerre des mots, la guerre de papiers, la guerre à balles blanches, et puis les balles à dûr, qualifiées par un euphémisme bien connu, comme étant des balles réelles. Il y a des situations où l’imaginaire rejoint la réalité, il se mue en elle et devient un puissant générateur de forces nécessaires pour résister et pour combattre.
Voici quelques portraits de ces femmes.
Mère Martha Klomfanss (sœur Christophe), sœur qui aimait blaguer. D’une famille paysanne allemande avec des racines polonaises, toute jeune elle pensait avoir une vocation missionnaire, mais à l’âge de 22 ans entre chez les sœurs Katarzynki. Après deux ans de formation, elle travaille comme infirmière à Olsztyn (Allenstein) et Frombork (Frauenburg), les deux étant des bastions militaires des Chevaliers teutoniques, mais aussi la résidence de Copernic. Depuis le XIVe siècle, Frombork fait partie de la ligue hanséatique. En 1939, la sœur Christophe est nommée assistante au bloc opératoire de l’hôpital d’Olsztyn et directrice de l’école d’infirmières. La grande capacité à nouer des contacts lui confère rapidement le statut d’une personne publique, bien appréciée.
Malgré les dangers évidents, elle portait de la nourriture de l’hôpital aux prisonniers de guerre qui se trouvaient pas loin. Une vie ordinaire, rien à dire, une vraie religieuse. Si la guerre ne l’avait pas traversée, elle serait restée comme une bonne religieuse, joyeuse, pensant aux anniversaires et à ce dont chacun autour d’elle avait besoin.
La guerre l’a happée et l’a jetée dans les bras du loup, et elle s’est laissée dévorer par solidarité avec les malades et les orphelins. À l’approche du front, les sœurs acceptent de quitter la ville, mais uniquement en accompagnant les malades. Une partie des patients étaient déjà à la gare, mais d’autres sans pouvoir évacuer l’hôpital se sont cachés dans la cave. La sœur Christophe après avoir assisté toute la nuit à l’opération étaient avec eux. Les libérateurs, après avoir rempli les poches de ce qu’ils trouvaient, se sont pris aux malades et aux sœurs. Durant de longues heures, la sœur se défend comme elle peut, le lendemain on trouve son corps totalement massacré. Résister à la brutalité à un prix. La fidélité aussi.
Anna Pestka (s. Bona), infirmière, au moment de l’arrivée de l’Armée rouge, elle est malade, la tuberculose fait son œuvre funeste. Les tortures la font agoniser aux côtés des autres sœurs durant plusieurs jours. Elle finit sa vie le premier mai, tout un symbole.
Maria Domnick (s. Liberia) – sœur qui aimait les enfants. Son père était le garde forestier. Elle avait plusieurs prétendants, mais a choisi la vie religieuse. Elle assistait la sœur Christophe aux opérations, s’occupait des enfants qui séjournaient à l’hôpital. Elle portait de la nourriture aux prisonniers de guerre soumis à des conditions de travail inhumaines. Elle participait à l’évacuation de l’hôpital d’enfants. Les enfants attendaient d’abord à la gare, puis dans un abri. Elle a été tuée dans la rue, sortie à la recherche de la nourriture.
Pourquoi continuer?
J’arrête la présentation des portraits des femmes bien ordinaires que la vocation et le circonstances ont transformées en icône du Christ pour être les plus conformes à l’original de la vie chrétienne que l’on trouve en ce Serviteur Souffrant.
Le chemin de croix de ce Serviteur fut précédé d’une entrée triomphale dans Jérusalem, le Dimanche des Rameaux. Son parcours étonne toujours. Mais transforme rarement, ou si peu en comparaison avec l’audience et le volume de ce qui peut l’être dans un être humain potentiellement agrandi aux dimensions de son mystère insondable. Malgré lui, le Serviteur laisse sur les bas côtés tous ceux qui ne peuvent pas accéder à sa personne. Surtout ceux qui ne peuvent pas accéder à son identité profonde, son intimité même, la sienne, celle qui n’existe que pour les autres. Est-ce la seule existence humaine marquée par une telle ouverture à laquelle il appelle tous ceux qui veulent y comprendre quelque chose? Pour les chrétiens oui, et ils essayent de savoir pourquoi et en quoi c’est inclusif.
La congrégation de Katarzynki, du nom complet Les sœurs de la sainte Catherine Vierge et Martyre, a été fondée au XVI siècle à Braniewo dans la région donc de Varmie par la bienheureuse Regine Portmann. C’est une des premières congrégations religieuses féminines à avoir comme règle deux modes de vie, contemplative et caritative. Les hôpitaux, les dispensaires, les hospices font partie de leur mission. Mais aussi la catéchèse, la retraite pour les jeunes etc., et surtout la prière. Elles sont établies actuellement dans 30 maisons, dont presque toutes se trouvent actuellement en Pologne dans la région de la maison principale, puis trois en Russie et une en Bielarus.
Durant la Seconde Guerre mondiale, 115 sœurs sont mortes en martyrs de la foi. 16 parmi elles ont été présentées en vue du procès. Une n’a pas passé l’examen post mortem, elle est décédée à cause du typhus, et non pas à cause de ses blessures. On peut seulement espérer qu’elle n’était pas recalée par saint Pierre. Au terme de 20 ans d’investigations, la célébration de béatification prévue le 31 mai de cette année est une première dans le diocèse de Varmie, elle aura lieu à Braniewo même, sur la place devant la basilique mineure de la ville.
Dans cette période de l’histoire de l’Europe extrêmement trouble, les sœurs Katarzynki étaient témoins de la foi et du dévouement pour les enfants et les malades, jusqu’au martyre. Malheureusement elles n’étaient pas les seules à en subir le même sort à l’époque. Et cela se reproduit jusqu’à sous nos yeux. L’Ukraine, Gaza, le Nigeria, Le Kiwou en RDC, Les Rohingya, les chrétiens du proche Orient et tant d’autres, la liste est ouverte et hélas! à compléter dans l’avenir proche.
Recevoir une punition pour avoir fait des bonnes choses, n’est pas seulement une constante à laquelle on s’habitue, surtout lorsque l’on n’est pas concerné soi-même! C’est aussi une blessure, dont on ne peut guérir que par le regard courageux sur la croix. Solder les contentieux par des traités, nécessaires qu’ils soient pour stopper l’effusion du sang et faire semblant d’avoir résolu les problèmes, c’est déjà beaucoup. Car on peut apposer des garous pour que le corps ne saigne plus, mais on n’arrête pas les larmes.
Pourquoi regarder?
Regarder les horreurs en face n’est pas une thérapie efficace sur le plan psychosomatique, car de ce point de vue, il vaut mieux ne pas regarder. Regarder avec foi c’est accepter de reconnaître d’avoir un moment donné une vue trouble, qui fait que rien n’est plus comme avant. L’amour et la haine cohabitent dans un corps soumis à une telle contradiction. Verser son sang pour les nécessiteux et en plus le verser à cause de la haine exprimée à leur égard et à l’égard de leurs protecteurs, c’est recueillir dans un même réceptacle l’amour et la haine, le premier pour le faire purifier dans le second. L’amour est purifié car éprouvé face et dans la haine.
Non, il n’y a pas de justice dans ce monde, elle a déserté l’humanité. Mais y était-elle un jour vraiment présente? Jamais, parfois on s’en rapproche, souvent pour s’en éloigner. Au-delà de la signification spirituelle pour les chrétiens, la figure historique du Christ, cet homme, Jésus de Nazareth nommé Emmanuel est emblématique de tous ces combats pour la justice dans l’amour.
Hosanna, crucifie-le. Ne sont-ils pas les mêmes qui scandent l’un, puis l’autre? Si nous disons que ce ne sont pas les mêmes, nous sommes schizophrènes. Mais, si nous disons que ces sont les mêmes, y inclusons-nous nous-mêmes? Si oui, le faisons-nous pour nous flageller sans répit ni repentance, soumis à une peine perpétuelle de notre vivant? Non, c’est pour chercher à la dépasser!
Le crucifié a montré le chemin menant à l’élévation qui libère. C’est dans les petits détails de la vie quotidienne que se mêle le sang de l’amour avec celui de la haine. C’est au contact du premier que le second peut être transformé, servant ensemble d’engrais pour la semence du Royaume de Dieu.
Kim były siostry katarzynki zamordowane na Warmii w 1945 r.?
06 marca 2025 | 13:07 | maj | Warszawa Ⓒ Ⓟ
Na podstawie: S.M. Angela Krupińska CSC, „Pod prąd, pod wiatr i pod fale. Droga sióstr katarzynek, warmińskich męczennic”, Kraków, 2023.
Basé sur le livre de la S M Angela Krupinska, CSC « À contre courant, face au vent et face aux vagues. Le chemin des sœurs de Sté Catherine, les martyres de la Varmie. » Cracovie, 2023.
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