Le 17 décembre dernier, le New York Times annonce la publication en janvier d’un nouveau livre du pape : « Hope, The Autobiography ».
Ça ressemble au livre autobiographique de Jean-Paul II « Entrez dans l’espérance » qui est un essai, et surtout son dernier livre « levez-vous, allons ! » … L’annonce du livre de François vient la veille de son anniversaire. 88 ans au compteur dans un “engin” qui parfois était en panne et ce de son plus jeune âge, cancer du poumon alors qu’il est séminariste. Avec les années qui passent, son corps ne se lasse pas de fabriquer quelques ennuis que George doit porter sur son dos. Cette épreuve physique d’autrefois, dont le bénéficiaire garde un souvenir ému d’une expérience fondatrice, a sans aucun doute joué en faveur de l’endurance, dont il fait preuve tout le long de sa longue, riche et étonnante existence.
La niaque, ce carburant de première qualité que la nature lui a livré, est amélioré, enrichi par l’autre, celui qui vient de son baptême, baptême pris au sérieux. Sa formation jésuite ne les a pas détériorées, l’a même propulsé sur des pistes parfois caillouteuses de ses responsabilités. Être le provincial des jésuites à l’époque de la dictature de Pinochet et le successeur de Benoît XVI demande du caractère et de la clairvoyance. La vitesse à laquelle il propulse sa vie, certes, toute donnée ce qui ne doit étonner personne, surprend tout de même, surtout vue son âge. Mais il ne brûle pas sa vie par les deux bouts de chandelle. Il y a des “métiers”, où la retraite pour se la couler douce n’est vraiment ni envisagée, ni souhaitée, et ce ni pour l’intéressé, ni pour les bénéficiaires.
Nous attendons donc avec impatience la publication de ce livre autobiographique.
C’est une première du pape. Il est le résultat d’une collaboration avec Carlo Musso. Elle dure depuis déjà six ans. L’idée initiale était de publier ce livre après la mort du pape. Mais l’annonce de l’année jubilaire en a fourni une excellente occasion pour le faire sans attendre. C’est la décision du pape lui-même. Il justifie ce choix par « Une autobiographie n’est pas une affaire personnelle, plutôt un bagage porté ensemble avec les autres … La mémoire n’est pas seulement ce dont nous nous souvenons, mais ce qui nous entoure. Donc ce n’est pas de parler de ce qui s’était passé, mais de ce qui sera ». Délibérément tourné vers l’avenir, le pape François n’arrête pas de surprendre.
Nous attendons la publication pour goûter au contenu, comme toujours chez François, savoureux et éclairant. Livrer sa pensée sur l’espérance au seuil de sa vie n’a rien de surprenant. Rien de plus naturel pour un chrétien qui, comme un saumon nage à contre-courant pour nicher son ultime fécondité. Que ce thème vienne à propos avec l’année sainte annoncée en mai dernier pour 2025, c’est aussi naturel que de constater le besoin d’espérance pas seulement pour la fin de vie, mais pour toute la vie sur terre. Mais ce que révèle le journal américain, c’est surtout l’insistance de l’auteur sur le besoin de développer le sens de l’humour. C’est sans doute aussi un peu plus vendeur que d’entendre les réflexions du pape, un vieil homme, sur l’avenir, pas le sien, mais celui de ceux qui vont rester après lui.
Pour le moment il n’est pas mort, et de plus est de bon humour. Dans la bonne dose d’autodérision, le pape trouve la meilleure façon de supprimer le narcissisme. Qui le guette, comme tout le monde. Les narcissiques se regardent constamment dans le miroir. Pour se soigner ils rient d’eux-mêmes. Car selon le l’adage populaire rappelé par le pape, il n’y a que deux sortes de gens parfaits, ceux qui ne sont pas encore nés et ceux qui sont déjà morts.
Se pose alors la question est-ce que Dieu a de l’humour.
J’ai déjà “statué” sur ceci à l’époque où j’étais étudiant, en répondant à ma camarade de classe, que s’il n’en avait pas, je ne serais pas croyant. Trop content de voir le pape traiter la question similaire. Peut-être parviendrait-il à la même conclusion ? N’allons pas trop vite, pourrait-on dire, Dieu tout de même c’est sérieux. Justement ! C’est parce que c’est sérieux qu’il faut aussi en rire. Les juifs le savent, pourquoi pas nous ?
Dans l’autodérision, le pape voit aussi un remède efficace contre l’enfermement dans la mélancolie. Ne manquera pas dans le livre la référence à l’Évangile, (Matthieu 18,3). Devenir comme des petits enfants, ceux de l’âge de joyeuse insouciance, est plein de sens le rapport aux choses et aux personnes, toujours marqué par une relation de gratuité engageante. L’humour le met en exergue, en rétablissant à sa façon la vérité. Le pape, parce que l’Évangile, nous indique comment retrouver la capacité à sourire. Bien plus, à rire comme des enfants.
Et quand on pense qu’au Moyen Âge le rire était confondu, tout au moins dans les livres sérieux sur la spiritualité chrétienne et dans « Au nom de la rose », avec le ricanement, du diable, bien entendu. Et que le jansénisme tout autant que le sérieux de la Réforme avec l’époque victorienne en prime, ensemble renvoient au sérieux de la majesté iconique de l’orthodoxie. Ce serait perturber la conscience chrétienne que de penser que le pape incite à la légèreté (rien que l’orthographe du mot est déjà bien lourde). Ces regards et expressions qui parfois les accompagnent prouvent le contraire. Il ne faut tout de même pas confondre le roi avec le bouffon du roi, surtout dans la même personne. Un tel royaume serait déjà voué à disparaître. On ne l’espère pas pour l’Église ni le christianisme en général.
On sait que François, lorsqu’il parle aux adultes au sujet des enfants, les appelle “des exemples de spontanéité et d’humanité”. Comme si chez l’enfant, l’inattendu était bien plus riche en créativité que chez l’adulte. Et que le vers n’était pas encore bien à l’œuvre dans le fruit (de l’amour). Les enfants, selon le pape, rappellent aux adultes que ceux qui perdent leur humanité perdent tout. Lorsqu’ils sont sur une pente négative, il devient difficile pour eux de pleurer sérieusement et/ou de rire aux larmes.
Peut-être que le pape s’emporte un peu, car lorsque l’on est sur une pente négative, ce n’est pas tant par une autodérision (même si parfois) que l’on s’en sort le plus souvent. Mais si on est réveillé, c’est par un signe extérieur qui parle à l’intérieur.
Signe qui relie ainsi à la vie.
J’ai encore une mission à accomplir dans cette planète Terre, dans ma vie. Cela donne du courage pour remonter la pente. Sinon on est anesthésié.
Selon le pape, les adultes anesthésiés ne font rien de bon pour eux-mêmes. Ni pour la société, pas plus que pour l’Église. Sans espoir, ni espérance on ne peut continuer à vivre. À moins que la zombification à l’œuvre ne soit hélas le signe précoce d’une anesthésie progressive et finalement totale.
L’ironie, ou autodérision, est une médecine qui est sans doute moins chère à la sécurité sociale que d’autres voies de guérison. Mais, ironie surtout, autodérision en moindre mesure, il faut les manier avec doigté. François n’aime pas le Narcisse qui se regarde constamment dans le miroir pour maintenir à l’état le plus pur l’estime de soi. Tous les selfies en débordent. Certains auteurs, malheureusement par inadvertance, tombent dans le vide. Le Narcisse attire en connaissance de cause, mais pas en connaissance d’effets. Il le tait, ne les voit pas, il empêche de voir. Là, c’est le vide.
Comprendre la noirceur de Narcisse c’est bien, mais trouver le chemin pour s’en libérer c’est mieux. Donc, restons dans le thème de l’humour.
Ce n’est pas la première fois que le pape en parle. En juin dernier il a accueilli au Vatican 100 comédiens et humoristes, un événement à caractère unique. Événement qui tranche avec la décision de son lointain prédécesseur Pie V d’avoir supprimé la fonction de bouffon papale. La suppression était un signe que l’on cesse de rigoler dans l’Église. La raison en est simple. On s’était rendu compte que la paillardise s’était immiscée dans la noble et sacrée institution et ce dès le 12e siècle. Ce qui n’était pas faux vu la manière dont certaines cours papales avaient l’habitude d’aborder le rapport à la réjouissance. Dont l’humour paillard faisait partie, non seulement le jour autorisée par la tradition.
La Contre-réforme exprimée par le concile de Trente, dont Pie V fut un courageux propagateur, avait raison de l’humour. Certes, Luther et ses compagnons pouvaient se réjouir dans des « tavolas » de leur vie quotidienne familiale et amicale autour de la bière qui égayait l’austérité de l’étude du livre sacré. L’austérité était de mise un peu partout, alors que l’Europe de Portugais, Espagnoles, Français, Anglais, Hollandais, (même Polonais au XVI-XVII), Vénitiens et celle de la Ligue hanséatique ne cessait de s’enrichir. Mais, tout comme avec la religion, avec la richesse on ne rigole pas non plus. Il faut des règles strictes pour l’accroitre et maintenir, maintenir et accroître… Et la politique n’est pas en reste.
Lors de leur dernière rencontre en Corse le 14 décembre dernier, le pape a recommandé au président français Emmanuel Macron de lire son exhortation apostolique Gaudete et Exultate (2018), qui montre comment suivre le chemin de sainteté dans notre monde. Les deux mots sont la citation du sermon sur la Montagne (Mt 5, 1-12) « soyez dans la joie et l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux » (12a). La récompense est référencée sur les persécutions : ”c’est ainsi que l’on a persécuté les prophètes qui vous ont précédé.” (12b). En l’invitant à la lecture, le pape l’oriente sur la figure de Thomas More et le passage sur la prière de celui-ci, très fortement marqué par le sens de l’humour. Quand on sait ce qui est arrivé au chancelier du roi Henri VIII, on ne peut s’empêcher de voir le sens de l’humour du pape. Déjà de l’humour anglais, on se demande à quel degré est à retrouver le sens et la réjouissance sous forme d’un éclat de rire comme récompense d’une conscience éclairée qui s’émerveille devant un eurêka. Mais là avec le pape, on ne compte plus les strates.
Voici la prière à laquelle le pape François invite le président français :
« Donne-moi une bonne digestion, Seigneur, et aussi quelque chose à digérer.
Donne-moi la santé du corps avec le sens de la garder au mieux,
Donne-moi une âme sainte, Seigneur, qui ait les yeux sur la beauté et la pureté, afin qu’elle ne s’épouvante pas en voyant le péché, mais sache redresser la situation.
Donne-moi une âme qui ignore l’ennui, le gémissement et le soupir.
Ne permets pas que je me fasse trop de souci pour cette chose encombrante que j’appelle « moi ».
Seigneur, donne-moi l’humour pour que je tire quelque bonheur de cette vie et en fasse profiter les autres. »
Et un autre extrait de son Utopia où il s’explique sur l’humour :
« On me reproche de mêler boutades, facéties et joyeux propos aux sujets les plus graves. Avec Horace, j’estime qu’on peut dire la vérité en riant. Sans doute aussi convient-il mieux au laïc que je suis de transmettre sa pensée sur un mode allègre et enjoué, plutôt que sur le mode sérieux et solennel, à la façon des prédicateurs ».
(Saint Thomas More – L’utopie)
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Je ne suis pas nécessairement entièrement d’accord avec sa remarque (celle de Thomas More) sur la supériorité du laïc sur le clerc pour dire la vérité avec de l’humour. Certes, il faut respecter les convenances qui protègent les relations en fonction des attentes réciproques. Ennuyer les fidèles, avec les prédications dénuées de sens de l’humour, n’est pas la meilleure façon de prêcher la Bonne qui est aussi joyeuse Nouvelle de l’Évangile. C’est l’enjeu du travail de l’Esprit Saint pour qu’il assouplisse ce qui est raide.
Mais revenons au bouffon papal.
Déjà le bouffon du roi est celui qui fait rire le roi et l’entourage. Cette fonction très noble s’enracine dans celle du fou du roi, d’un demeuré qui avait le droit de se moquer des autres, surtout du roi, mais dont on se moquait aussi allègrement. Tout commence donc au XIIe siècle avec l’institution de la fête des fous, une parenthèse débridée de l’année. D’où la tradition d’élire un roi ou pape fou. Souvent, par la vindicte populaire comme à l’époque des gladiateurs, le roi du jour finissait dans la casserole de la mort.
Dès le XIIe siècle donc, le roi en France est flanqué d’un côté par sa belle et de l’autre d’un fou. Dans l’Ancien Régime, le fou du roi est de moins en moins fou, il devient de plus en plus intelligent pour tenir le rôle de bouffon du roi. Son rôle consiste essentiellement à distraire le roi de façon intelligente. C’est un peu comme dans la pièce de théâtre de Zeller, « Les amis du placard ». Le pape ne pouvait pas en être en reste. Il lui fallait à l’image des rois terrestres, un bouffon… céleste ?
Même si l’institution de bouffon papale a été officiellement supprimée, le besoin reste. Qui fera rire le pape, ou plutôt devant qui pourra-t-il rire lui-même, en toute liberté, rire avec les autres de lui-même, des autres. Jean XXIII et Jean-Paul II sont aussi connus pour avoir eu un sens de l’humour bien ancré dans leur personnalité. Lorsqu’il était nonce à Paris, Mgr Roncalli, était venu dans ma communauté à Paris pour partager le repas en compagnie des religieux, mais pas seulement. Assis à côté d’une dame de haute société, mais légèrement vêtue, il lui tend une pomme, alors qu’elle désire des cerises. Elle refuse, il insiste en disant que Eve aussi s’était rendue compte qu’elle était nue seulement après avoir croqué dans la pomme. Certes, ce n’est pas très léger comme humour, ni pour détendre, mais c’est parlant. Une autre fois, le nonce Roncalli se trouve devant l’ascenseur avec un grand rabbin. Les deux se font la politesse pour savoir qui va entrer en premier. Au bout de quelques essais infructueux, Roncalli pousse le rabbin en disant, d’abord L’Ancien Testament, puis… Rires aux larmes de Karol Wojtyła, qui y était aussi bien connus, et pas seulement dans la communauté de Paris.
Rien de pire que de se prendre trop au sérieux, et quand on est pape c’est si facile.
Alors que le Dalaï Lama a aussi un grand sens de l’humour. Parmi les nôtres coreligionnaires, il y a aussi Philippe Néri, Saint romain, fondateur de l’Oratoire.
Tous les vrais saints ont nécessairement le sens de l’humour.
Ceci n’est pas référencé sur leur nature bien joyeuse de naissance (dès la conception). C’est lié au fait que leur nature, quelle qu’elle soit (plus ou moins tristement chargée parfois), s’était laissée libérer par la grâce de la foi. On peut également essayer d’imaginer la liberté de Jésus et donc son sens de l’humour. Mais de ça, c’est seulement son ange gardien qui pourra attester en détail.
Mais les anges souvent se taisent pour ne pas nous troubler par avance.