L’incendie de la cathédrale de Paris en avril 2019 a provoqué une onde d’émotion qui, tel un Tsunami, a parcouru la planète Terre, en activant dans la conscience générale la présence de Notre-Dame admirée à distance ou en direct, présence enrichie des images du désastre. Cinq ans plus tard, il est temps de retrouver une église pas comme les autres. C’est une première Dame de l’Eglise de France et beaucoup lui revendiquent une place proéminente dans le patrimoine mondial.

L’académicien François Cheng a donné une interview pleine de justesse dans ses propos sur la valeur symbolique universelle de Notre-Dame de Paris. Détruite matériellement par l’incendie, elle gagne en valeur ajoutée, celle du prestige. Durant les derniers jeux olympiques, dans son état de convalescente, elle était témoin d’une attention portée sur Paris qui l’abrite et sur elle-même à cette occasion.

La décision de la reconstruire dans le plus bref délai fut imposée par le président de la République.

Il fallait agir vite et bien pour pouvoir tenir le délai. Les donateurs se précipitent, les promoteurs de la reconstruction et de la restauration sont présents, les compagnons sont prêts. Les projets ne manquent pas. Comment s’organiser ? Que choisir ? En propriétaire légal de l’édifice, le gouvernement imprime sa marque en détenant le pouvoir décisionnel. Mais pas surtout. L’Eglise catholique, en affectataire exclusif, garde la main sur le mobilier attenant au service liturgique. Les donations provenant des mécènes et des donateurs privés sont uniquement destinées à la reconstruction qui comprend la restauration. Pour ce qui relève de la liturgie, l’Eglise sera aussi amenée à faire appel aux dons. 

Théoriquement les choses sont bien séparées et donc claires, chacun étant bien dans son rôle.

Or, ce n’est pas ainsi que les choses se passent. Et pas seulement au sujet du financement, l’argent étant le nerf très sensible de toute “guerre” qui souvent se limite aux dimensions de la querelle de clochers. Même si les dons pour la reconstruction de l’édifice ne suffiront pas non plus, il manque proportionnellement bien plus pour le culte. Et les mécènes approchés par l’Eglise s’étonnent de cela en remarquant qu’ils avaient déjà donné, en pensant que cela servirait aussi à l’affectataire. 

Or, l’affectataire a fort à faire dans ce jeu de pouvoir qui le concerne aussi. Jusqu’à s’opposer au plan du gouvernement de vouloir faire payer les entrées pour quelque 45 milles touristes par jours attendus en 2025. Pourtant, peut-on facilement observer, tout le monde aurait été gagnant, le manque à gagner pour financer les travaux qui vont se poursuivre encore bien longtemps (toujours) y trouverait sa source. Mais l’Eglise s’y oppose pour deux raisons. C’est un lieu de culte, uniquement, et même s’il y a des salles de trésors qui ne sont pas affectés au culte, mais pour stocker des objets liturgiques dont la valeur artistique et historique est indéniable (d’autant plus appréciable à cause de la rareté des objets qui ont survécu à “la querelle des rites” lors de la révolution française), leur visite possible est en lien avec la liturgie. L’autre raison, est que l’Eglise, comme affectataire exclusif, veut garder l’attitude d’une Église pauvre, même si c’est au milieu des richesses y contenues.

Même dans cette affectation exclusive il y a (comme toujours ?) des exceptions.

Une d’entre elles concerne la place du président de la République Française qui a son fauteuil pour assister aux offices qui requièrent sa présence. C’est moins que sa place de chanoine dans les stalles à la basilique de saint Jean de Latran à Rome. La chaise est amovible, mais bien dans une place d’honneur. Ce fut le cas par exemple lors de la visite du pape Benoît XVI à Paris le 12 septembre 2008. Avant lui, seulement deux papes sont venus à Notre-Dame de Paris : le pape Pie VII (on se souvient des circonstances napoléoniennes) et Jean-Paul II. 

Le pape François ne s’y rendra pas et… le président des États-Unis y sera.

Emmanuel Macron, et la France avec lui, en pleine crise gouvernementale, ne sera pas assis sur son fauteuil. Leur désamour est bien connu. Tous les deux sont obstinés à garder leur propre ligne politique marquée par la méfiance mutuelle. Plutôt que de venir voir une vieille dame (lorsque deux jeunes Français sont venus le voir en disant qu’ils venaient de France, la Fille aînée de l’Eglise, il a rétorqué “de sa grand-mère fatiguée, voulez-vous dire ?”), même ayant subi un lifting en bon et due forme, le pape préfère d’aller à la périphérie. 

Le président a imposé comme date de l’ouverture le 7 décembre, la veille de la fête de l’Immaculée Conception que le pape célèbre toujours à Rome. Mais surtout, du point de vue diplomatique, imposer une date au pape est un grave manquement au protocole, la date étant toujours le résultat des négociations entre les invitants et les invités. Dans l’avion de retour de son voyage en Asie en septembre dernier, le pape a déclaré, “je n’irai pas à Paris”. Roma locuta. Il n’a pas non plus inclus dans le dernier consistoire l’archevêque de Paris, mais… l’évêque de Corse. Sans doute aucun rapport avec la gloire française tirée des “frasques” napoléoniens, sans le vouloir il le met sur la piste. 

Son intention de ne pas aller à Paris est très claire : ne cautionner, ni la politique du gouvernement pour ses projets et ses décisions dans le domaine de la bioéthique…, ni celle de l’Eglise de France. Dans le second cas, il est plus difficile de trouver des arguments convaincants pour justifier son approche. Venant en France à Strasbourg et à Marseille, il se plaisait déjà à souligner qu’il ne venait pas en France. Alors qu’il vient de faire un voyage officiel en Belgique, à Bruxelles, même si c’était surtout pour souligner le courage du roi Baudouin refusant la signature du décret sur l’IVG. Est-ce aussi parce que la Belgique est un pays situé en périphérie de la France ? 

Le plus grand conflit concernant la reconstruction de la cathédrale concerne le remplacement des vitraux de Viollet-le-Duc, par des vitraux modernes. Cette idée émane de l’archevêque de Paris, Mgr Ulrich, qui souhaite marquer ainsi la période de destruction et de restauration. En visite du chantier le 8 décembre 2023, qui, à cette occasion, annonce la création d’un musée, le président s’y montre favorable en constatant que “Le siècle qui est le nôtre aura sa place au milieu de plusieurs autres qui figurent dans la cathédrale”.

Mais les oppositions s’expriment dès le départ. Pourtant il ne désarme pas, même devant un tollé général à l’unisson fait par les spécialistes consultés ou pas, et par la pétition de 140 milles signatures, puis 100 milles de plus. Même la politique française s’y met, le président du Rassemblement national fustige la décision “Notre-Dame de Paris doit être restaurée à l’identique, loin de toute idéologie et de toute immodestie politique”. Par ailleurs, la charte de Venise signée par la France en 1965 interdit formellement de remplacer des vitraux anciens par les nouveaux. 

Certes, Eugène Viollet-le-Duc, c’est le XIXe et ses vitraux concernent seulement six chapelles du bas-côté sud de la nef (côté Seine). Ce ne sont pas des vitraux gothiques de partout ailleurs de la cathédrale. Même la proposition adressée aux membres du gouvernement qui siège dans la commission qui en statue, de sortir de la salle pendant le vote, n’y a rien fait, ils sont restés et tout le monde a voté contre. Désavoué, le président tient la barre contre vents et marées. Tout comme la ministre de la culture qui lui emboîte le pas (peut-elle faire autrement ?), d’autant plus qu’elle justifie son adhésion au projet en expliquant “comment dire non à Mgr qui prie pour moi tous les jours”). 

Tenir la barre, comme si la devise de Paris leur était particulièrement destinée : La devise « Fluctuat nec mergitur » est une locution que l’on traduit par « Il est battu par les flots, mais ne sombre pas”. Une devise qui ne devient celle de Paris qu’en 1853. “Si elle apparaît sur quelques jetons municipaux frappés à la fin du XVIe siècle, elle n’est qu’une devise parmi de nombreuses autres. Jusqu’au XVe siècle, le sceau de Paris est simplement accompagné de la légende « Sigillum mercatorum aquæ Parisius » qui signifie « Sceau des marchands de l’eau de Paris. » C’est une décision prise le 24 novembre 1853 par le baron Haussmann, alors préfet de la Seine, qui en fait la devise officielle de la Ville. Elle rappelle le risque d’inondations auquel la capitale a régulièrement été confrontée. Mais, si Paris et la Seine ont été souvent submergées par les flots, Paris n’a jamais coulé” (trouvé sur Internet). Cette devise va avoir sa seconde vie en 2015, après les attentats du 13 novembre qui ont fait 130 morts et plus de 350 blessés. La devise de Paris y prend alors l’allure d’un cri de résistance, lancé à la face du terrorisme qui menace de submerger Paris.

Dans cette ambiance délétère, toute la France se penche à son chevet, celui de la France et de Paris, et embarque avec elle la cathédrale. L’incendie d’un édifice prestigieux ne peut pas faire oublier la réalité de l’Eglise catholique en France dont l’influence sociale continue à diminuer. Surtout dans les villages, à la faveur de l’exode rural, la désaffectation des églises, trop grandes et trop nombreuses pour les besoins cultuels, la France se rend là aussi au chevet de tous ces bâtiments églises et chapelles qui du haut de leur “haut” Moyen-Âge qui les a faits et vu naître, décrépissent et parfois tombent éprouvées, fatiguées, lassées par le temps et les intempéries et les bourrasques de l’histoire. 

Les états généraux du patrimoine religieux (EGPR) viennent de se terminer en novembre dernier. Lancés à l’initiative de l’Eglise catholique en septembre 2023, ils se sont donc déroulés en parallèle avec des travaux de la cathédrale de Paris. L’objectif de EGPR était de dresser un état des lieux du patrimoine affecté au culte catholique en France (plus de 42 000 églises et chapelles), en déterminer les usages et empêcher sa désagrégation. Il s’agissait d’évaluer le patrimoine religieux matériel (mobilier, immobilier) et immatériel (processions, rogations, pèlerinages, etc) afin de le valoriser et de l’entretenir, tout en déterminant les « usages jugés compatibles » avec le culte. Un an d’enquête auprès des 94 diocèses de France métropolitaine a permis de dresser un inventaire complet de ce patrimoine (le deuxième mondial après l’Italie). Étant entendu, a souligné Mgr Éric de Moulin Beaufort dans son discours de clôture des EGPR, que « les résultats de cet inventaire ne se limitent pas à une liste. »

Au chevet des églises de France, le titre d’un communiqué paru dans la presse est bien évocateur.

Prolonger la vie, assister à la décrépitude et ruine totale, accompagner jusqu’à la mort, c’est un autre versant de l’éthique qui est ainsi convoqué, celui de la mémoire et de sa valeur.

L’enquête a mis en lumière la déshérence dans laquelle sont abandonnées de nombreuses églises de France : 1 679 églises sont fermées depuis au moins un an. Elles sont pourtant encore officiellement affectées au culte, donc non désacralisées, bien qu’elles ne soient quasiment plus animées par une vie spirituelle et religieuse. Comme nous l’avons déjà un peu signalé, les causes sont nombreuses : désertification rurale, raréfaction des fidèles, insécurité, arrêté de mise en péril, travaux, crises sanitaires…

En clair, une partie de ce patrimoine – à commencer par l’immobilier qui conditionne l’ensemble – est menacé de disparition, ce qui exige « un nécessaire effort de mobilisation ». Il faut donc accepter que matériellement et spirituellement, une partie de la France meure. Sans chrétiens qui se rassemblent, sans communauté, pas d’ecclesia (le mot latin signifie précisément « communauté »), autrement dit : pas d’Église… Souvent, maintenir une affectation cultuelle n’étant plus envisageable, il reste d’en faire une autre, culturelle, ce qui se pratique déjà parfois abondamment dans bien des édifices religieux. “Afin de déterminer la pertinence et les conditions d’exécution d’un tel usage, des conventions-types et des guides pratiques sur les droits et devoirs des propriétaires et affectataires (essentiellement, les maires et les curés) ont ainsi été mis à leur disposition.” (Sources : Aleteia 18/11/2024 et 04/12/2023 ; Église catholique Conférence épiscopale de France 18/11/2024)

Mais les miracles sont toujours là, comme à Notre-Dame de Paris pour la couronne d’Épine, la statue de la Vierge à l’Enfant ou encore l’orgue qui a subi des dégâts mineurs. Si certains objets de cultes et les édifices qui les abritent témoignent de la foi des générations passées, lorsqu’ils sont témoins de la foi naissante de la génération actuelle, tous portent des traces de l’estime à cause d’une valeur humaine, culturelle et spirituelle dans lesquelles beaucoup se reconnaissent. C’est d’une transmission, plus que d’un simple témoignage de la richesse de l’esprit humain, qu’il est question. 

En cette fête de l’Immaculée Conception, attardons-nous quelques instants sur la statue de Notre Dame, une des pièces maîtresses du trésor de la cathédrale. Elle date du XIVe et vient de la chapelle de Saint-Aignan, le 24, rue Chanoinesse.

La belle et élégante Vierge de Saint-Aignan, à la posture aristocratique fortement hanchée, au XIXs prendra place dans la cathédrale au pilier sud-est où de tout temps la Vierge fut honorée, […] « Très vite cette statue de la Vierge à l’Enfant est devenue le symbole de Notre-Dame de Paris, vocable sous lequel elle est aujourd’hui vénérée par les Parisiens, les Français et les visiteurs étrangers. Bien évidemment, elle est liée à l’épisode de la conversion de Claudel au moment du Magnificat des vêpres de Noël 1886, à la prière de saint Jean-Paul II le 30 mai 1980 … et aussi non loin de l’épitaphe du cardinal Lustiger et de la modeste statue de Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus qui connut une expérience mystique dans la nuit de Noël 1886. » On peut se rappeler le magnifique commentaire sur la « Belle statue de Notre Dame de Paris » de Dominique Ponnau placé dans le livre « La grâce d’une cathédrale ».” (Par Jean-Pierre Cartier)

Avant même la réouverture de Notre Dame avec sa statue de la Vierge à l’Enfant, une réplique est installée dans la cathédrale de Gap. Le rayonnement de Notre-Dame est assuré par ce maillage grâce auquel se tricote aussi une identité française aux accents catholiques de la France multiple, et heureuse de l’être. Oublier le désastre de l’incendie, c’est revivifier la promesse de l’avenir commun plein de belles harmoniques que l’esprit humain est capable de composer.

Bientôt un autre feu va brûler dans la chapelle du fond de la cathédrale, la petite lumière, une veilleuse, gardienne du tabernacle et surtout du trésor que celui-ci recèle. Notre Dame brillera toujours de son feu sacré et illuminera ce qui voudront accueillir une telle lumière.