L’actualité politique nous rattrape. Le 8 décembre dernier, les rebelles sont entrés à Damas, la capitale de Syrie.

Leur rapide progression était surtout due à une presque, inexistante résistance. Un régime à bout de souffle, moribond que l’on a débranché, comme un agonisant, jugeant inutile une perfusion supplémentaire. Le maître déchu a été accueilli dans des limbes politiquement acceptables.

Une opportunité que les nouveaux maîtres saisissent au lendemain d’un cessez-le-feu bien fragile au Liban. Comme si les concernés au premier chef le savaient d’avance. De même, la maison des parents de la première Dame à Londres fut déserte quelques jours auparavant.  

Pendant ce temps-là, comme souvent, les observateurs, censés d’être bien renseignés et donc avisés, semblent avoir été pris au dépourvu. Ils sont surpris par une telle déferlante de la rébellion qui aurait surgit de nul part. Ce n’est pas parce que rien n’est communiqué, que rien ne se passe. On le sait parfaitement, mais on a toujours l’air étonné. Comme dans les crises économiques, religieuses ou toutes autres. L’effet de surprise est toujours signe d’une longueur d’avance pour celui qui agit de la sorte. Mais pour que la surprise soit efficace, il faut bien garder le secret. Pas facile dans notre monde où tout semble connecté. Et pourtant. 

Un nouvel équilibre politique va se mettre en place.

Le régime précédent se voulait moderne, car basé sur les idéologies du nationalisme arabe syrien laïc et socialiste. Une équation apparemment possible à résoudre. C’est ce que l’on croyait. En ceci le régime syrien est comparable à celui de Atta Turck, dès les années 1920 en Turquie, ou encore à l’Égypte de Nasser…. 

Désormais la religion sera au centre, mais sans doute sous sa forme d’idéologie bien islamique.

Les groupes rebelles aux origines d’al-Qaïda, soutenus par d’autres groupes, prennent le pouvoir. Le socialisme athée est donc remplacé par un autre réceptacle ramassant et donc unifiant le peuple syrien. Il s’appelle l’islam dans sa version adaptée aux besoins de l’idéologie politique. Son chef a une longue expérience de combattant allié des uns, puis séparé, pour trouver sa place actuelle dans la politique. 

Sous une forme de religion précisément identifiée, ce réceptacle devient désormais une référence idéologique pour mettre en place la gouvernance du pays. Est-ce que ce sera comparable à ce qui se passe par exemple en Afghanistan ? Sans doute sous une forme légèrement différente, car avant tout étalée dans le temps. Lorsque l’on a le vent de l’histoire en poupe, -qui soufflant en direction constante, parfois change tout de même d’intensité-, on apprend alors à moduler les annonces sur le futur. On devient plus pragmatique. L’idéologie de l’oppression se manifestera dans toute sa splendeur en temps voulu, car pour des raisons aussi pragmatiques que nécessaires. Par la force de chose la machine chargée de reprogrammer la société va s’emballer. Comme en son temps celle de la grande terreur en France. 

En attendant, place à la joie de la libération d’un tyran, il faut se dépêcher à en jouir avant que cela ne se gâte. Dans ce contexte, l’avenir des chrétiens y vivants n’est pas certain. Mais rien de nouveau de ce point de vue, ils espèrent que cela ne soit pas pire qu’avant. 

Noël pour tous les enfants de la terre, comme souvent, malheureusement encore une fois, est entachée par des querelles entre les dictateurs et ceux qui veulent le devenir. Et les voisins, géographiquement proches ou lointains, veillent. Dans cette partie du monde, comme un peu partout ailleurs, il y a peu de place pour des régimes politiques fonctionnant selon les principes d’une démocratie se voulant laïque, rêvée en Occident et appliquée ailleurs. On sait maintenant pourquoi c’est ainsi. Son enracinement dans les pays, à forte dominante religieuse concurrente ou alors d’une athéisation violemment imposée, est voué à l’échec. À moins de devoir d’abord l’éradiquer. Ce qui ne réussit pas toujours. 

L’exemple de la Pologne est à cet égard bien éclairant. Le régime politique importé sur les chars de l’armée de la libération de l’Europe lors de la seconde guerre mondiale, a fini par se heurter à une résistance religieuse qui a fini par le vaincre, avant de sombrer elle-même dans un marasme anesthésiant, faute de mobilisation suffisante pour combattre d’autres ennemies, concurrents idéologiques directs, de l’ordre établi. Les candidats à le devenir, ramenés par l’aire du temps, sont toujours prêts à sauter sur l’occasion.

De guerre lasse, les populations en Syrie, comme en Ukraine et en Palestine, Liban, Nigeria et bien ailleurs, n’aspirent qu’à une seule chose, que la guerre cesse. Les autres moins directement impliqués, y aspirent aussi. Pendant ce temps-là, les observateurs comptent les points, comme dans un ring. Et que le plus fort gagne ! D’ailleurs, le plus fort aura toujours raison, puisqu’il aura réussi à mettre par terre son adversaire. Il aura raison jusqu’au moment ou un autre viendra le déboulonner. Déboulonner, c’est bien ce que l’on fait une fois arrivé en position de force en renversant les statues et d’autres emblèmes qui rappellent si triste, car détestable passé. A qui le tour !?

L’évêque d’Alep est optimiste.

Mgr Allouff est vicaire apostolique d’Alep et à la tête de l’Église latine en Syrie. Dans une interview, il avoue avoir été effrayé par l’avancée si rapide de rebelles. Mais une fois les garanties données sur l’intégrité des institutions de l’Église, il promet la participation active de son Église à la reconstruction du pays. Dont les routes commerciales deviennent la priorité. Nous prions, confia-t-il pour le nouvel aurore pour notre pays. Il espère que les droits de chacun seront garantis. En attendant, les chrétiens arméniens et pas seulement surtout les jeunes, fuient vers le Liban. Pour le moment. Ils rejoignent ainsi dans la même direction les bénéficiaires du régime précédent qui sauvent les meubles (et les avoirs déposés dans les tiroirs) au Liban aussi, alors que dans le sens inverse reviennent en Syrie les heureux de la chute du dictateur. La Turquie voudrait aussi que les Syriens réfugiés chez elle fassent de même.

L’évêque rappelle que la chute du régime coïncide avec la fête de l’Immaculée Conception, et que c’est à travers l’intercession de la Vierge, qu’ils ont accueilli cette joie de libération. En signalant que c’est la première fois depuis 13 ans que les cloches des églises d’Al-Kunya peuvent sonner comme celles d’Alep.

MgrJallouf s’est adressé aux nouveaux dirigeants de la Syrie et à la communauté internationale.

« Je prie pour que le Seigneur renforce les futurs dirigeants dans leur travail de construction d’une nouvelle Syrie. Une nation qui incarne son identité historique et culturelle en tant que berceau de la civilisation et phare pour les nations », a-t-il déclaré. « L’accent doit être mis sur la reconstruction des infrastructures et le rétablissement des services essentiels, en particulier l’accès à l’eau et aux ressources énergétiques.”

Il a poursuivi : « Aux décideurs du monde entier, je demande instamment de nous aider en rouvrant les routes internationales et en facilitant les échanges commerciaux afin que la vie puisse reprendre son cours normal. Je demande également la levée des sanctions économiques qui pèsent sur la Syrie. Ces sanctions n’ont pas affecté les personnes au pouvoir, qui ont accès à tout, mais elles ont dévasté les gens ordinaires. Ce sont eux qui ont supporté le plus gros de ce fardeau injuste. Enfin, je lance un appel aux grandes nations pour qu’elles nous soutiennent dans la reconstruction de notre pays, non pas pour nous donner l’impossible, mais simplement pour nous aider à revenir à la case départ. »

L’évêque a conclu par un message aux chrétiens, les exhortant à se débarrasser de la peur.

 

Quelle source de lumière éclaire-t-elle la nuit de ses compatriotes ? Est-ce pour sortir au grand jour plein de nouvelles énergies ? Ce qui est bien autre chose que de défiler en vainqueurs dans les villes pour communiquer la rage, enivrés d’une revanche. Venger les martyrs, c’est préparer d’autres à le devenir. Punir des tortionnaires, promettent les nouveaux maîtres, sans pour autant atteindre leur commanditaire. Telle est l’intention du nouveau gouvernement. Tout en promettant d’être gentil, juste et respectueux de tous les autres. Sinon, ce n’est pas Noël. 

Noel c’est l’arrêt des hostilités en vue d’une recherche de paix bien plus profonde qu’une paix juste acceptable pour les signataires. La paix, celle de Noël, la seule possible, est celle qui, sans oublier les souffrances du passé, se penche sur l’avenir qui, on l’espère, sera moins entaché par de telles souffrances provoquées par des querelles de chefs de guerre. L’essai de faire de Noël une occasion de fraternité lors de la première guerre mondiale, est un exemple tellement exceptionnel que personne ne veut le refaire. Un film en est sorti (Joyeux Noël), comme tous les films, un peu romancés, mais le message essentiel est totalement enraciné dans les faits.

À Alep, comme partout en Syrie, Noël y sera célébré avec un nouvel espoir et des nouvelles craintes.

Noël, toujours le même, et bien différent. Quel avenir pour Jésus de la foi de ses disciples qui grâce à la transmission orale se souviennent que c’est à Antioche (en Syrie) que pour la première fois on les a appelés chrétiens (Actes des Apôtres 11,26). Depuis 20 siècles, les chrétiens de cette région ont participé à la vie économique, sociale, culturelle… Mgr Jallouf met en avant cette participation comme essentiel à la reconstruction du pays. Avec l’espoir pour ses protégés de pouvoir vivre en paix, comme ils pouvaient vivre sous le régime précédent, lui-même venant d’une minorité alaouite. 

La Syrie est une mosaïque ethnique et religieuse. Les alaouites (3 millions sur 23 millions de Syriens au total) sont surtout situés dans la région de Lattaquié. C’est là que se trouve en poste un ami qui est évêque de l’Église maronite en Syrie, un ami du séminaire des Carmes. Je le confie à la bienveillante présence divine, tout comme ceux du Liban, de Syrie et de partout ou Noël risque d’être vécu aux couleurs sombres et sonorités peu réjouissantes. 

Finalement, Noël n’est jamais une fête innocente de camaraderie inconsistante. Il est plein de souvenirs qui contrastent avec. L’avenir de l’Enfant tant attendu par certains, tout en célébrant en lui le destin radieux de tout enfant, le démontre aussi. Mourir n’est jamais une bonne date, ni pour l’intéressé, ni pour l’entourage. Le faire le jour de Noël, c’est un peu contrariant. Une vie s’en va, une autre vient. Mais cette autre, celle de Noël englobe toutes les naissances passées, présentes et à venir. Toutes, réalisées ou contrariées, abouties ou inabouties. Noël sert de réceptacle pour y déposer toutes les vies, on les offre à la vertu de l’espérance chrétienne, espérance qui ne déçoit pas, espérance qui les attend. 

Rarement la fin d’un régime se déroule de façon pacifique. Et même, si c’est le cas dans l’immédiat, comme pour l’effondrement de l’Union Soviétique, les reflux des choses qui n’ont pas été digérées, telles des vagues géantes, les scélérates, se déverse plus tard pour tout détruire sur son passage. 60 ans d’un régime politique construit autour d’un parti Baas et 50 ans de la famille Assad au pouvoir laisse des traces. 

Lors de mon unique voyage dans ce magnifique pays à la fin du XXe siècle, je me souviens d’avoir entendu le guide affirmer que le pays attend un peu pour être suffisamment fort pour mettre à pied d’œuvre une armée de plusieurs millions de soldats afin de permettre à la Syrie de retrouver sa grandeur d’antan. Aujourd’hui ce rêve se déplace géographiquement, car il change de porteur. Il migre vers la Turquie pour y activer la splendeur de l’Empire Ottoman. 

Chacun ses rêves, mais si tout le monde se met à rêver surtout de sa grandeur en même temps, personne ne va plus travailler. Ou alors seulement pour réaliser les rêves qui déportent du réel et qui soumettent les autres à être utilisés pour les réaliser. C’est peut-être pour cette raison, que l’on désigne seulement le soir et la nuit de Noël comme un court temps bien à-propos pour y mettre tous les rêves, tous nos rêves. Avant d’y revenir l’année suivante. Et entre temps on se soutient en évoquant d’autres rêves, un peu plus modestes, et un peu plus réalisables.

La destruction de bases militaires et de la flotte syriennes par Israël, aux dires des auteurs, est qualifiée comme geste préventif pour que ces équipements militaires ne tombent pas entre « les mains des extrémistes ». L’ONU s’émeut et la Turquie, en profitant d’une aubaine circonstancielle, suit son voisin indirect, en bombardant la partie du territoire habitée par les kurdes. Et les Américains tendent à modérer ses ardeurs.

Aux dires d’un spécialiste incontesté de la région (Antoine Lacoste) « le chaos s’installe en Syrie, l’axe chiite perd une pièce maîtresse, les sunnites prennent le pouvoir. Chacun à sa façon, Tel Aviv, Washington et Ankara remportent une victoire stratégique ». La guerre en Ukraine et au Liban, ont affaibli les forces militaires syriennes qui n’avaient jamais représenté une force décisive, car la guerre précédente qui a fait repousser les djihadistes a été emportée grâce aux “autres”, constitués en une coalition qui combattait une autre coalition, la plus grande des temps modernes. Les nouveaux vainqueurs étaient en bonne partie militarisés par les Américains pour pouvoir tirer les ressources (gaz et pétrole) en direct. Bienvenue dans le monde de la débrouille.

La peur ne s’y installe pas, car elle y est, et ce depuis bien longtemps. Elle s’enracine dans les peuples de la région, elle s’approfondit dans les cœurs des gens, elle fait passer au mode de survie, cette fois-ci de façon bien durable. L’ONG qui vérifie le respect de la charte des droits de l’homme, espère que le nouveau régime va tourner la page des exactions. La promesse d’ouvrir les prisons et de dissoudre les services de sécurité, sans punir les coupables, car les simples complices du régime déchu est faite. Sauf pour les tortionnaires, cela va de soi ! Et chacun a les siens. En attendant, le partie Baas annonce la suspension de ses activités jusqu’à nouvel ordre. Et les bases militaires russes commencent à plier bagages, tout en espérant garder un pied sur cette terre, qui leur est chère aussi. Pour le moment, tout semble s’arranger. L’essentiel est de ne pas faire de vagues (inutiles).

C’est dans ce contexte que Noël va être célébré cette année au Proche-Orient, à la basilique de la Nativité, comme partout ailleurs. Le Proche Orient, bien que proche dans le nom, est finalement si loin de ce que nous vivons à HK ou ailleurs. Les liens que nous avons avec cette région alerte, attire l’attention, rend plus sensible. Ce sont des liens interpersonnels qui permettent de mettre un peu d’humanité, à moins qu’ils ne soient utilisés pour réaliser des objectifs inverses.

Quand la NHK world (chaine japonaise) parle du réel danger d’usage de la bombe atomique, le président élu des USA dans un discours bien virulent (question d’argent toujours !) menace son voisin canadien de l’intégrer comme le 51eme état des USA. À qui le tour de déplacer les frontières pour inclure les bons et exclure les méchants ? 

Puis les rendre bien étanches pour que d’un côté à l’autre personne ne puisse passer, comme dans la parabole du riche et de Lazare ? Et que ceci soit au ciel comme sur la terre ! 

Dans cette ambiance délétère, y compris en Europe et en France, la cathédrale de Notre-Dame commence sa nouvelle vie.

Elle retrouve sa splendeur qui réjouit les yeux et les oreilles. Là aussi, Noël vient avec un sourire retrouvé, la fierté réparée et l’envie d’être français retrouvée. Il manquait le pape (ou son légat) qui une semaine plus tard a ”échoué” sur l’île de la beauté pour clore un congrès sur la religion populaire. Ainsi il retrouve le Napoléon d’une certaine grandeur de la France.

 

Pour terminer, une maxime appuyée sur une citation : Si “la vie est un art qui consiste à apprendre comment vivre” (Char Guest), l’art de la guerre n’est plus un art. 

Joyeux Noël, autant que se peut ! 

Mais avant tout, paisible espérance qui ne déçoit pas !

 

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L’interview trouvée : This story was first published by ACI MENA, CNA’s Arabic-language news partner. It has been translated and adapted by CNA.

Bishop Hanna Jallouf, the apostolic vicar of Aleppo and head of the Latin Church in Syria, told ACI MENA “we pray for a new dawn in this country.” | Credit: The Episcopal Committee for Consecrated Life in Syria.