Le témoignage n’est pas tout, et pourtant on ne peut pas s’en passer, il est indispensable pour attester de l’authenticité de la démarche.
La vérité d’une vie, la vérité de la vie passe par là, mais nécessite contextualisation en largeur et en profondeur.
Il est sans doute plus facile de le faire en largeur d’une surface jonchée des circonstances qui conditionnent le témoignage, les quantifiables qui se présentent au regard analytique sont relativement dociles à la catégorisation.
Bien plus subtile est la contextualisation des profondeurs de l’auteur du témoignage, la vérité d’une vie n’est pas seulement descriptive comme dans le cadre de la contextualisation horizontale, extérieure, alors que celle-ci, intérieure, plonge essentiellement ses racines dans l’indicible qui résiste aux mots et leur sens conventionnel ou celui, attribué à l’occasion d’une telle description.
En comparaison avec la contextualisation horizontale, dans la dimension verticale et donc en profondeur, le témoignage n’a pas la valeur subjective, douloureux est l’arrachement du sensible qui déchire le tissu du Cortex de la vie, où le codage d’information est totalement amalgamé avec la souffrance pétrifiée; souffrance qui est constatée par des transmetteurs de l’information, qui eux aussi peuvent modifier la valeur de ce qui est décrit par le témoin, en lui faisant dire ce qu’il n’aurait pas dit, ou n’aurait pas dit avec ces mots-là et leur sens.
Et les effets du témoignage peuvent varier suivant l’usage externe et ou interne que l’on fait ou on fait faire. Certains témoignages ont accéléré le processus de l’évolution de la société dans des domaines aussi variés que le travail, la guerre, l’écologie, les mœurs, les rituels…
Et dernièrement l’institution, en tant que gardien de l’ordre établi sur des bases judéo-chrétiennes, devient un obstacle sur le chemin de l’évolution sociétal en profondeur, et alors une cible à ne pas manquer, pour la détruire.
Les témoignages sur les actions menées en faveur du Mariage pour tous et ceux de la Manif pour tous montrent le champ de confrontation entre le témoignage et le contre témoignage, chaque partie campant sur ses positions, les durcissant même.
Si on peut légitimement soupçonner un témoignage édifiant d’un vernis édulcorant -les histoires édifiantes, à l’usage de la propagande religieuse ou politique ou autre, en sont pleines, et ce dans toutes les religions et dans toutes les configurations politiques- en revanche on ne peut pas ne pas rester soupçonneux à l’égard de la valeur des témoignages sous forme d’histoires autobiographiques racontées sous l’emprise de la peur latente, immédiate et souvent durable.
Les témoignages extorqués (de tous les convertis au moyen de lavage de cerveau) ou volontairement édulcorés pour rassurer les autres (les martyrs qui meurent de façon exemplaire à la manière plutôt d’Etienne que de Jésus) ne correspondent pas à la vérité plénière de la personne témoin-martyr, pas plus que celle de l’auteur qui mu par une authenticité supposée en rend compte, mais par son intermédiaire et souvent avec sa complicité implicite, ces témoignages correspondent à l’authenticité du commanditaire réel ou présumé.
Ce sont donc des témoignages de seconde, voire de troisième main, dont la valeur est oblitérée par le besoin collectif, masquant ainsi la cartographie du vécu réel.
Et ceci devient de moins en moins lisible lorsque les évènements fondateurs (prise de la Bastille un certain 14 juillet, la Pentecôte à Jérusalem dans les années 30, ou 7 novembre de la révolution bolchevique) des événements qui, par la volonté “populaire”, s’érigent en mythes fondateurs.
Pour contrecarrer de tels mythes qui pétrifient les événements fondateurs, on va avoir recours à d’autres versions en s’efforçant de garder la mémoire pure, vive, transmise de génération en génération, ce que revendiquent par exemple les chrétiens en se référant à la mémoire des apparitions du Ressuscité (Pâques) et l’envoi en mission (Pentecôte) qui sont les gages de la vitalité des témoignages authentiques de la foi chrétienne pour comprendre ce qu’il y a de décisif dans le constat d’une originalité devenue fondatrice.
Dans le contexte d’une concurrence entre les témoignages, il y en a qui sont faciles à exhiber et d’autres pas, à l’époque actuelle la honte ou le courage à la dépasser portent sur les domaines nouveaux qui jusque-là étaient réservés au silence des secrets de familles ou d’institutions.
Les agressions de tout genre et les agressions à caractère sexuel par surcroît font partie d’un tissu social que la sociologie constate et la psychologie tente de comprendre, avec parfois la prétention de pouvoir apporter des remèdes, sans pour autant faire guérir en profondeur.
Moi aussi, en référence à #Me too, est un livre d’une sociologue, (Irène Théry Moi aussi, la nouvelle civilité sexuelle, Seuil 2022) qui, à partir de sa vie personnelle, raconte, témoigne de la violence sexuelle subie dans son enfance.
Elle y raconte aussi comment cela l’a amené à faire le métier de sociologue, après avoir été lancée dans le juridique qu’elle n’abandonnera jamais, tellement il lui sera utile dans le témoignage de l’évolution de la société, qu’elle mettra au profit de son engagement social et politique, à sa façon, en tant qu’expert préparant des projets de lois sur le mariage et la parentalité.
Dans ce podcast je me limite seulement à l’aspect de la force de témoignage dans le débat d’idées dans le but de les codifier juridiquement.
L’analyse très fine à laquelle le métier de sociologue prédispose Irène Théry, lui permet d’appréhender la gravité de l’expérience que son témoignage révèle dans sa complexité, celle d’une complice malgré elle d’une propagation d’informations simples, mais envoyées par les canaux de communication multiples, pas toujours unidirectionnels.
C’est ainsi que, lors d’une émission de télé consacrée aux divers aveux dans le but de faire bouger des lignes tracées par l’ordre établi, elle se trouve à témoigner de son expérience d’agression subie.
Son témoignage portant sur les faits se limite à la description d’une agression à caractère sexuel dont elle est victime à l’âge de 9 ans. Dans un regard rétrospectif, elle y situe l’origine de son ouverture aux questions si lourdement chargées d’émotions sur les abus et la défense des sans-voix emmurés dans le silence culpabilisant.
Si le témoignage d’un traumatisme peut être délivré par différents canaux d’expression, il peut aussi être recueilli et parfois intercepté par différents outils dont le but n’est pas toujours de chercher le bien du témoin.
Entre la banalisation par raisonnement (ça n’apporte rien de neuf) et/ou neutralisation des sentiments (aucune réaction émotionnelle), le témoignage peut être accueilli très diversement, et un tel accueil devient à son tour le témoin d’une gêne, d’un refus, voire d’une réprobation.
Le témoin s’expose à différentes réactions, analyses, allant bien plus loin que ce qu’il n’a fait, ni voulait faire : ni juger ni être jugé …. Dans le cas d’une telle dérive, la raison, qui veut dominer les sentiments par le refus de leur octroyer une place légitime quelconque, est paradoxalement sollicitée par eux-mêmes qui sont de marbre, pour donner aux sentiments et surtout aux émotions qui se communiquent une valeur de vérité quasi immuable. Pour dire avec d’autres mots, le discours qui traite des émotions de façon raisonnable (par les explications psychologisantes des spécialistes de l’humain, ou ceux de la communication) est solidaire de l’émotion générée chez le témoignant et rejoignant les témoins dont les professionnels font partie, chez ces derniers ce rapport peut être biaisé par la volonté de s’en servir plus que de servir.
Mais ce risque est minime en comparaison avec les gains obtenus pour le bien de toute la société. La parole libérée ouvre la voie au débat et conduit à la reformulation de la loi, conscients de certains enjeux, mais nullement dans leur globalité, les promoteurs de l’introduction des nouvelles règles sociales jouissent d’un droit à la nouveauté qui disqualifie les gardiens politiques, religieux, coutumiers, de l’ordre établi.
Si pour les gardiens politiques, c’est naturel car en pourvoyeurs de nouveautés, considérées comme signe de progrès permettant l’accession à la modernité (l’amélioration des conditions de vie et accroissement de la liberté à en jouir), par ce fait, ils deviennent des censeurs de l’ancienne loi qu’ils peuvent facilement modifier ou abroger, et si une modernisation juridique ne vise pas directement l’ordre établi, tout au moins ils accompagnent et régulent la nouvelle conformité juridique avec la faisabilité de son application.
Les sondages d’opinions sont des indicateurs, témoins, au sens employé en maçonnerie pour désigner une plaque de crépis ou autre apposée sur la fissure d’un mur pour savoir si le mur continue à se fissurer et à quelle vitesse. Ils permettent de prendre le devant sur les autres acteurs sociaux pour s’imposer au nom du peuple qui le désire.
De tels témoins servent de diseurs de bonne fortune, si répandue pour des raisons similaires en Asie. Les décisions populaires témoignent d’un populisme qui ne porte pas son nom, mais qui n’est pas moins réel, puisque c’est sous l’impulsion de la majorité que de nouvelles lois sont votées. Ce qui n’est pas toujours le cas dans les démocraties occidentales censées réaliser la volonté du peuple, le recours à l’article 49,3 en témoigne aisément.
Dans tous ces cas, qui semblent suivre la procédure ordinaire ou extraordinaire, au grand dam des spécialistes, souvent la rapidité de décision politique peut interroger, Irène n’est pas complaisante avec les nouvelles lois sur la sexualité et la parenté (2011) en les jugeant ne pas être assez précises, sa formation de juriste, ne l’a en effet pas prédisposée à jouer en politique des figures imposées par d’autres.
Ce que l’on peut regretter, c’est effectivement la précipitation avec laquelle la requalification du mariage a eu lieu, ce avec quoi elle est d’accord, tout en étant elle-même avec d’autres à l’origine d’un tel tempo imposé au législateur, sans doute le temps fut favorable pour une telle action et saisir l’occasion n’a rien d’extraordinaire.
La requalification du mariage, à ma connaissance sans aucune concertation ni autre préparation de la population à un tel changement majeur de structures de société, est bien plus grave dans ses conséquences, que dans la manière dont la nouvelle législation était introduite. Mais le désir de nouveauté chez l’auteur de Moi aussi va jusqu’à disqualifier toute trace de vision judéo chrétienne, elle s’expliquera plus loin.
Toute cette explication est pour montrer le caractère particulier dont jouit de droit le décideur politique par rapport aux autres acteurs sociaux que sont les religions et autres philosophies de vie. C’est tout autrement que cela se passe dans les deux autres cas, mais ce n’est plus le problème du gestionnaire étatique, qui n’attend que la soumission et l’application selon le mode plus ou moins clairement défini et indiqué.
Chaque fois, lorsque cela touche aux fondations chrétiennes de la société, l’Église catholique (par exemple) se sent particulièrement visée, elle est challengée et pour se sentir prête à répondre, elle prend du temps, ce qui l’avantage comme décideur, mais la condamne même de fait dans le rôle de suiveur.
Ce n’est plus elle qui impulse le changement de la société comme elle a pu faire dans le passé, c’est l’inverse qui se produit, c’est la société qui impulse l’Église en lui assignant le rôle d’exécuteur des décisions prises par les autres.
Ce n’est pas une raison pour refuser de chercher la vérité dans ces balbutiements juridiques du droit positif qui témoigne de l’inachevé, et même dans ses propres bredouillages dont l’Église peut se distinguer en prenant position parfois sans justesse ni courage (exemple du positionnement institutionnel à l’égard des victimes d’abus sexuels ou autres). Mais en acteur proactif ou à son corps défendant, cela aide à donner de la voix aux sans voix et la parole à ceux qui n’en avaient pas, tout en courant le risque d’un nouvel enfermement imposé par des experts avisés. La méfiance à l’égard de tout expert qui en scribe investi d’un pouvoir d’éclairer, ouvre tout en fermant, est justifiée, cela ayant été ainsi tant de fois présente dans l’histoire de l’humanité.
La petite fille qui, en se réfugiant dans un mutisme crispé et résolu, s’est emmurée aux yeux de certains psychologues dans un silence coupable porteur d’une tare, celle de la complicité inconsciente refoulée, une fois adulte témoignant, n’a pas vu venir le danger de la coloniser par des projections qui lui ôte le droit à la liberté de se dire, en constatant qu’il ne suffit pas de s’exprimer, elle voit qu’il faut encore assumer à partir de ses ressources intérieures les conséquences extérieures qui font partie du paysage jonché de promesses et d’obstacles.
Souvent un tel silence, nécessairement coupable tout au moins aux yeux de la victime, même rompu, est marqué d’une retenue teintée de pudeur qui accompagne l’expression, car lorsque la victime parle, elle provoque en elle-même des résonances nouvelles parfois surprenantes, souvent pas très agréables, sur lesquelles on ne peut pas légiférer, les témoignages ont alors une valeur qui donne sens à la vie qui déborde toute législation.
Déjà en parler à quelqu’un qui ne fait pas partie d’intimes avec lesquels on partage plus facilement, bien que souvent pas tout, et par surcroît le faire devant les caméras d’une émission à l’heure de grande écoute, nécessairement interroge sur la valeur d’un tel témoignage pour la personne elle-même, avant même d’essayer de comprendre comment cela résonne dans les oreilles et dans les cœurs des auditeurs.
Il faut beaucoup de temps, beaucoup plus que quelques minutes de témoignage pour décrire, puis déconstruire le mécanisme des solutions au problème que les victimes s’imposent à elles-mêmes et que l’on fait apposer aux victimes.
Irène témoigne de son évolution à l’égard d’une catégorie de population (homosexuelle) à la suite d’un contact salutaire pour elle lorsqu’elle se laisse accueillir dans son chagrin et épuisement accompagnant son mari hospitalisé à Bichat pour septicémie dans le service des maladies immunes où passent les derniers jours de nombreux malades du sida des années 80.
Elle a eu moins de chance sur le plan professionnel engagée dans la bataille judiciaire pour créer les conditions d’accueil de toutes les diversités dans le cadre de la lutte en faveur d’une nouvelle identité sexuelle.
Sur les consentements auxquels on consent et comment, voire pas du tout et l’évolution de la compréhension de ce qu’est le consentement et sa requalification comme indicateur d’accession à cette nouvelle identité sera consacré le podcast de la semaine prochaine.