Bonjour, aujourd’hui en ce premier jour de relâchement des contraintes sociales imposées pour les raisons sanitaires à Hong Kong, je vous propose une méditation sur ce que veut dire manquer à la fin. Je le fais à partir d’un objet utilisé quotidiennement, même plusieurs fois par jour. 

Pourquoi on a du mal à finir le tube de dentifrice ? Car au fur et à mesure que nous le vidons, le dosage diminue. Nous prenons conscience de la finitude de son contenu. Nous réalisons que bientôt ce sera la fin. Et c’est vrai pour toute chose de notre vie sur terre.

Pour retarder l’échéance fatale, nous ralentissons le processus de ‘vidange’. Et dans le cas du dentifrice, ceci n’est pas vraiment lié au fait de devoir en acheter un nouveau pour remplacer le précédent. C’est notre subconscient qui nous dicte notre comportement et nous y obéissons sans savoir pourquoi. 

C’est de cela que nous discutions un soir lors d’un dîner chez les amis en France. Les quatre fils grandissants apprenaient (tout comme moi) de la part de leur père, spécialiste en la matière sur les secrets de la fabrication d’un tube de dentifrice et son usage jusqu’à l’usure de son contenu destinée avant tout à protéger l’équipement dentaire. C’est ainsi que le subconscient s’est invité à notre discussion menée à bâton rompu.

Après tant d’années passées, je me rends compte que lui, notre subconscient en doit savoir de choses. Mais il les communique parcimonieusement, à un dosage homéopathique, juste ce qui nous est nécessaire pour nous prévenir d’un danger. Donc il nous faut être attentifs à en percevoir des signaux, si précieux pour notre vie présente et à venir.

Notre vie sur terre ressemble à un tube de dentifrice dont nous usons et si souvent abusons, et ceci de multiples façons. De nombreuses couches de protection nous permettent d’endurer des assauts d’agressions extérieures tout comme celles venant de l’intérieur de nous mêmes. 

Avant de se présenter sous forme d’assauts, ces signaux se présentent sous forme très bénigne. Ils viennent nous titiller, nous chatouiller, mais l’intensité augmentant, ils finissent par nous indisposer sérieusement provoquant des irritations d’abord, une profonde négation en suite. Nous finissons par être bombardés, sans savoir que tout ceci est provoqué, généré par la mauvaise conscience qui demande à être bien ajustée.

Notre système immunologique est ainsi fait et cela nous alerte suffisamment sur le besoin de nous protéger d’abord pour vivre à l’aise dans notre périmètre. Ce système immunologique varie d’intensité d’un individu à l’autre et suivant l’âge. Mais cette protection peut produire un effet néfaste sur notre vie. Nous le voyons dans le cas de surréaction du corps qui ainsi essaie de se protéger du virus. La mauvaise réaction fait rater la cible et aggrave même la situation du corps. 

Par analogie nous risquons le même problème que celui que l’on observe dans le cas du virus qui nous assaille tant. Le virus introduit dans le corps vivant provoque la surrection du système immunitaire ce qui dérègle le fonctionnement de l’organisme. Une telle perturbation peut avoir des conséquences graves pour la santé jusqu’à constituer une menace réelle pour la vie in fine. 

Surprotéger notre conscience des assauts du subconscient (corporel ou mental) c’est couper le circuit qui relie l’émetteur avec le détecteur du niveau d’alerte. Ce qui est envoyé par le subconscient comme signal d’alerte vital est lu comme un avertissement sans gravité. Une telle banalisation peut s’avérer fatale pour la vie du corps, comme pour la vie de l’esprit. Si du point de vue spirituel la vie terrestre est un support et une préparation pour l’autre vie, banaliser les signaux d’alerte envoyés par le subconscient spirituel, c’est mettre gravement en danger notre présence dans une telle réalité. 

Et procédant ainsi, par une banalisation prolongée des signaux que notre corps et notre esprit nous envoient séparément et parfois à l’unisson, nous épuisons peu à peu le crédit de notre vie. Vie qui nous a été donnée, sans finalement trop nous poser la question par qui ni comment. Et en arrivant vers moins que plus, entre ce qu’il y avait et ce qui reste, en terme de la réserve de vie, nous commençons à ralentir de partout. 

Et cela, pensons-nous, permet de garder de la vie pour plus longtemps. Ce qui n’est pas faux, c’est même notre devoir de chrétien de nous occuper de notre corps. Ce que nous obtenons efficacement en effet grâce à nous mêmes avec le concours non négligeable de la médecine et tout progrès.

C’est le prolongement de la vie que nous considérons comme indispensable pour ainsi honorer notre désir de vivre. Mais, du point de vue du rapport au temps métrique ceci nous semble s’avérer finalement un mauvais calcul. Si je ralentis trop, à quoi bon de continuer à vivre, se demandent nombreux d’entre nous. Entre le désir d’abréger la vie pour abréger les souffrances et les exigences économiques, les choix de vie et de son contraire seront de plus en plus cruels.

Or, la vie est dans le mouvement, y compris pour ce qui est de la contemplation. Certes, en ralentissant nous vivons moins intensément, tout en restant toujours dans le mouvement. Ce qui est de la contemplation dans la durée et la profondeur qui souvent prennent le pas sur la durée et la profondeur de l’engagement dans l’action concrète.

A l’image de cette mamie qui ne pouvant plus sortir et agir auprès des autres, pouvait encore tricoter, certes au ralenti, mais avec une prière qui gagnait en intensité pour la relier et relier son travail à la vie de quelqu’un d’autre qui allait en bénéficier, matériellement sans aucun doute, mais autrement aussi, on l’espère.

Le temps de la pandémie nous astreint à penser que de nombreuses couches qui protègent notre existence, comme celles qui constituent le tube de dentifrice afin d’y stocker le contenu, ne pourront pas suffir pour nous protéger et pour protéger ceux qui nous semblent devoir l’être.

Et ceci est infiniment plus grave pour nous que pour le dentifrice, car les tubes de dentifrice pleins il y en a plein. Alors que la vie est unique et qui de plus est composée de façon intégrale, à la fois du contenu et de l’emballage. Mais, si le tube va progressivement se vider pour être jeté et remplacé par un autre, plein, l’analogie avec la vie humaine n’est que partielle. 

La finitude de la vie sur terre qu’illustre le tube de dentifrice acheté pour notre santé dentaire et buccale, ne s’arrête pas avec le sort qui serait à partager avec le tube. Contrairement au tube au fur et à mesure qu’il est vidé, la vie humaine au fur et à mesure qu’elle s’épuise, en même temps elle s’enrichit d’une autre, de celle que st Paul qualifie de spirituelle. 

Notre vie est à l’image d’un tube de dentifrice, mais peut être plus encore à l’image d’une sablière⌛qui tout en se vidant d’un côté se remplit de l’autre. Entre ce qui était et ce qui reste la tension est grande dans ce mouvement du temps métrique qui s’écoule comme du sable. 

Dans ce passage du temps s’opère une transformation spirituelle, représentée par le vide rempli de plus en plus par le sable du haut va s’écoulant vers le bas et le vide rempli par le sable du bas pour monter vers le haut. 

La vie spirituelle possible se transforme en vie spirituelle accueillie. La matérialité du temps qui passe cède de l’espace à la spiritualité symbolisée par le vide. C’est un passage d’une vie à l’autre.

C’est ainsi que je me suis surpris ce matin-là à méditer sur la vie en constatant que le tube de dentifrice allait finir par s’épuiser, rendre l’âme de son utilité. Et que le temps⌛ pouvait passer le cap de l’inconscient refoulé au conscient accepté. Il reste à l’accueillir, mais c’est une autre histoire.

La foi chrétienne si attentive à la finitude de toute chose sur terre, dans l’univers créé, l’est à cause de cette autre échelle qu’elle aborde sous l’angle d’une folle espérance. 

Elle anticipe le constat d’épuisement dicté par la raison et les sentiments. Elle l’intègre dans son dispositif de l’accompagnement de la vie du croyant dans laquelle elle s’incarne, prend souche et en fait la demeure des choses qui ne passent pas.

La foi chrétienne n’est pas une panacée à tous nos bobos, et même à des situations dramatiques de celles qu’une existence peut connaître et qu’elle doit endurer. Elle donne ce regard qui anticipe et accompagne jusqu’à l’épuisement du stock pour cette vie tout en faisant l’oeuvre de remplissage de l’autre.

En se brossant les dents méditer sur la finitude de nos réserves, peut conduire à la trouvaille d’inépuisable réserve que le mites ne peuvent détruire ni la rouille manger.  

Ces sont les paroles de Jésus lui-même : “Ne vous amassez pas de trésors sur la terre, où la teigne et la rouille détruisent, et où les voleurs percent et dérobent” Matthieu 6,19. 

Et un autre passage de la Bible est encore plus explicite : “Dieu donne à l’homme qui lui est agréable la sagesse, la science et la joie; mais il donne au pécheur le soin de recueillir et d’amasser, afin de donner à celui qui est agréable à Dieu. C’est encore vanité la poursuite du vent” Ecclésiaste 2, 26). Et même une telle vanité sert au dessein de Dieu, pourrait-on conclure. 

Le tube allant vers la fin de son usage devient le miroir de notre vie qui reflète la vie venue d’ailleurs, miroir dans lequel quelqu’un a mis de sa vie. La bible nous y renseigne à souhait.

Vie que nous pouvons admirer en miroir. Regardons nous dans la glace avec les yeux non pas ceux de Narcisse, mais ceux d’un regard d’amour d’un autre pour moi. Si c’est ainsi, cela me va.