« Lumières du Shabbat, Shabbat de Lumière ».

C’est le titre d’un livre. Il a fait un long chemin pour venir jusqu’à Hong Kong. Grâce à lui, j’ai fait le mien qui est aussi long que les aspirations spirituelles peuvent être depuis la sortie de la nuit des temps. Pour ce qui était avant cette sortie, j’aurais du mal à me prononcer, je n’ai pas assez de lumière pour essayer d’y voir quelque chose de significatif dans ce domaine.

 

L’intérêt pour le judaïsme est tout naturel. Il s’inscrit dans la trajectoire chrétienne. Il est renforcé par l’histoire particulière de cette portion d’humanité qui a été mise à part. Par qui et comment ? Les réponses se concentrent sur un choix divin, que ceux sur qui est tombé un dévolu céleste, admettent en être marqués. Cette portion d’humanité tend à prouver son originalité en résistant à la réduction de son identité à un phénomène religieux et culturel parmi d’autres.  

 

En pianotant sur Internet, je suis tombé sur la référence d’un livre qui m’a intrigué. En étant sûr qu’il m’apportera des éclairages nécessaires pour avancer dans ma manière de comprendre nos aînés dans la foi (et dans la fraternité), je l’ai donc commandé sur Amazon qui me l’a expédié depuis la France. Son auteur Anne-Catherine Avril est une sœur de Notre-Dame de Sion, une congrégation religieuse fondée par des frères de Ratisbonne, juifs convertis au christianisme et qui se sont voués au rapprochement entre ces deux religions, qui au XIX siècle étaient bien séparées et qui se regardaient en chien de faïence. 

 

Sœur Anne-Christine a passé 50 ans à Jérusalem à étudier et enseigner aux juifs et aux chrétiens, devenant une des spécialistes du judaïsme. Elle a notamment enseigné la tradition rabbinique et la liturgie juive à Jérusalem et à l’Université de Bethléem. C’est un livre qui se veut un résumé, testament de toute une vie.

A travers la présentation du Shabbat, elle voulait montrer le Judaïsme pour lui-même, ce qui me va à merveille.

Elle le signale dans l’introduction en expliquant sa démarche qui se veut une présentation la plus proche possible d’une compréhension juive. Sans projeter une interprétation chrétienne sur ces textes de la Bible qui parlent du Shabbat. 

 

Cela ne l’empêche pas de consacrer un chapitre au rapport entre le Shabbat et le dimanche. Ce que j’attendais plus ou moins secrètement. Les deux attentes furent donc honorées. En prime j’ai eu la joie de découvrir que le livre est préfacé par un ami côtoyé dans les années deux mille à l’Institut catholique de Paris. Nous avons travaillé ensemble sur certains projets dans le cadre du rapprochement entre juifs et chrétiens. Père Donizeti Luiz Ribeiro, actuellement supérieur général des Frères de Sion, est brésilien. Il enseigne à l’université jésuite de Puc Rio. Belles retrouvailles, je lui ai écrit et il m’a rapidement répondu. Le tour du monde est presque fait. La présence du peuple juif dans l’histoire de l’humanité entière le mérite.

 

Si je développe ce thème, c’est aussi parce que dans la CCF de Hong Kong, l’année 2023-24 est riche en événements vécus ensemble, signe de rapprochement, dans le but d’une meilleure compréhension mutuelle et la fraternité qui en découle. Après la visite de la communauté juive et de la synagogue en novembre, en avril, nous refaisons cette expérience avec une autre communauté juive. La première rencontre était axée sur le thème de la prière, la seconde sur la célébration de la Pâques. Et entre les deux une invitation personnelle pour participer à la fête de Bat Mitzvah d’une fille de 12 ans, une occasion de réunir famille et amis. Ainsi je me suis trouvé à table entre Imam et rabbin d’un côté et les invités de Paris de l’autre. Malgré le triste temps d’insécurité majeure en Israël et en Palestine, la fête a pu prendre forme de danse, probablement la meilleure façon de réagir face à des situations de troubles. Avant de partir, j’ai confié au père de la fillette que si je devais me convertir au judaïsme, cela ne serait pas pour la doctrine, car en tant que chrétien, j’estime avoir tout ce qu’il faut (pour l’essentiel), mais ce serait pour la totale intégration de la réjouissance à l’intérieur de la vie de la communauté religieuse (au sens existant à cause de la foi, et pas au sens de choix de mode de vie consacrée à Dieu en se retirant du monde), comme cette fois-ci sous la forme de la danse. 

 

C’est alors que j’ai mesuré à quel point nous, les chrétiens (de l’Occident), sommes dans une dichotomie qui impose une séparation entre les deux. Comme si on voulait cantonner la religion dans un espace-temps bien limité pour aussitôt après avoir vécu une cérémonie religieuse (mariage…), il fallait retourner au paganisme de plus ou moins bon aloi. Même, ce que je viens d’apprendre dans le livre, les relations sexuelles des époux font partie des réjouissances accomplies dans le cadre de la dimension religieuse, intégrées dans le rite des croyants. Je ne sais pas ce qui en est de fait et je ne sais pas comment c’est dans les synagogues plus libérales. Ce que j’ai expérimenté, c’est le fait que la danse était tout à fait naturelle pour fêter la Bat Mitzvah. 

 

C’est aussi dans cette approche que j’aborde le livre, comme une rencontre avec une culture religieuse qui n’a pas peur de chercher les traces de l’Éternel partout dans le temps et dans l’espace, chez les humains et dans toute la création. Ne l’ayant jamais vraiment constaté de façon définitive, au point de s’en contenter pour vivre sur les acquis d’une rencontre fossilisée, pour la foi juive, dans son ensemble et ce que le livre démontre, la recherche de la lumière du Shabbat est toujours en cours. Mettons-nous en route pour un voyage qui, grâce à nos frères aînés dans la foi, va nous conduire à l’intérieur du Shabbat, à l’intérieur d’une inlassable recherche d’un maître d’un autre monde. 

 

Bien loin d’une étude purement historique, ce podcast (comme les suivants sur le même thème) se veut une invitation à la réflexion sur la place que nous accordons au dimanche. Comment le shabbat éclaire le dimanche ? Les Lumières du Shabbat sont le Shabbat de Lumière, elles sont aussi lumières du dimanche. Pour preuve, le livre commence par un aveu de l’auteur tiré d’une expérience : 

 

« Je me suis […] efforcé de ne jamais ‘récupérer’ le judaïsme au profit de ma foi chrétienne. Au fils des années […] les enseignements de la tradition juive ont fini par m’habiter et c’est du fond de moi-même, qu’ils ont retentis discrètement, presque spontanément, sans effort, dans ma foi chrétienne. » 

 

Pour ajouter, toujours dans l’introduction : « Juifs et chrétiens, et tous les êtres humains créés à l’image et à la ressemblance de Dieu, nous nous rejoignons, grâce à nos différences, dans cette aspiration vers un au-delà de nous-mêmes que nous ne pouvons pas toujours nommer, mais qui nous dépasse et nous attire. Fidèles à ce que chacun, nous croyons, ouverts à ce qui doit encore nous être révélé, nous nous épaulons et nous nous stimulons les uns les autres, afin de révéler en vérité un Dieu Un toujours plus grand. »

 

Nous voilà équipés pour faire le chemin à la recherche des étincelles divines qui pourront devenir des lumières qui éclairent.

 

Dans la foi juive, le Shabbat est d’origine divine. « Ainsi furent achevés le ciel, la terre et toute leur armée. Et Dieu acheva au septième jour… » (Gn 2,1-2). C’est le verbe Kallah (achever, terminer) qui retient toute l’attention des commentateurs. Kallah est utilisé deux fois, une fois pour dire que le sixième jour, la création est achevée. Puis pour dire (c’est mon interprétation) que le septième jour, le jour du repos, la création a été prolongée dans son achèvement de façon active pour que, non plus Dieu, mais la création elle-même se prolonge sous la houlette de l’homme à qui la création et le shabbat sont donnés. Le Shabbat est donné par Dieu. Ce don prend différentes formes. D’abord celle de l’épouse d’Israël, comme finalité, mais aussi comme principe d’intégration, comme le jour où Dieu achève la création en se retirant. Il est l’instrument privilégié de la Révélation du Créateur. Nous allons les regarder dans les détails, en suivant l’enseignement de Sefat Emet, un rabbin hassidique du XIX siècle, maître en la matière de commentaire de la Genèse. 

 

1. Le Shabbat, fiancé d’Israël. On arrive à cette conclusion par le rapprochement dans l’usage du verbe Kallah qui est aussi utilisé dans le Cantique des Cantiques, ou le Bien aimé appelle sa Bien-aimée Kallah, car pour lui, elle est parfaite. Elle est comme l’achèvement de son bonheur. (RK-on peut aussi espérer que c’est réciproque). La dimension nuptiale du Shabbat se laisse pressentir, le Shabbat est le signe de l’alliance de Dieu avec son peuple. Le bien aimé est Israël et le Shabbat est sa fiancée. A chaque Shabbat s’accomplissent les épousailles. Dieu, Israël et le Shabbat sont les trois partenaires indissociables. 

2. Le Shabbat, achèvement, mais aussi but, finalité de la création. Le Shabbat en tant que septième jour conclut les six jours de la création. « Ainsi furent achevés… Dieu acheva ». Le shabbat n’est pas créé pour le repos des six jours, Dieu n’avait pas besoin du septième jour pour se reposer après les six jours d’un travail intense. Les anthropomorphismes peuvent induire en erreur. Le sens théologique est ailleurs. Ce sont les six jours de la semaine qui ont pour but le Shabbat. La prière du vendredi soir le rappelle : « Tu as sanctifié le septième jour en l’honneur de ton nom, finalité (takelit) de l’œuvre du ciel et de la terre. » 

 

3. Le Shabbat, principe d’intégration et d’unification. Les six jours sont rassemblés dans le Shabbat où on célèbre le mystère du Dieu Un et Unique. En paraphrasant la pensée rabbinique, on peut dire que la vie disparate aux quatre coins du monde vécu durant la semaine de travail a besoin d’être unifiée et réorientée pour devenir l’instrument pour le Seigneur afin de faire par les réalités ainsi unifiées sa volonté. La vie communautaire devient alors logiquement une parfaite illustration de ce désir d’unification qui passe par l’intégration. En d’autres termes, la qualité d’unification se mesure par la qualité d’intégration, (accueillant et accueilli).

 

4.            Le Shabbat, effacement de Dieu, effacement d’Israël. Célébrer le Créateur le jour du Shabbat, c’est, paradoxalement, faire mémoire de son repos. Dieu se restreint, se contracte pour se rendre présent dans un lieu précis (Buisson ardent, la Tente de la rencontre…). Dieu s’impose une contrainte, un retrait. Il l’impose à l’intérieur de son omniprésence pour laisser la place à la création du monde et à la liberté de l’homme. A cette contrainte, on peut aussi rapprocher le voilement de Dieu : Dieu se cacha pour que l’on puisse voir le monde, suivre ses lois et l’être humain, agir selon sa volonté. Cependant les étincelles de la présence du Créateur sont perceptibles dans la création pour maintenir la nostalgie de son absence. L’effacement de Dieu conduit à l’effacement d’Israël dont les membres s’abstiennent de leurs activités quotidiennes, condition indispensable pour pouvoir remonter à la source. Le repos d’Israël vise à s’installer dans le repos de Dieu. Repos est bien plus qu’un repos physique, il est l’avant-goût de l’éternité (nous y reviendrons dans la seconde partie). Le repos éternel en paix.

 

A.          Le Shabbat, mesure de la vie divine. L’analogie phonétique permet un rapprochement entre Kallah et Koul=mesurer. Dieu est capable de s’adapter à la capacité de la création de pouvoir communiquer sa mesure qui est au-delà de ce que nous pouvons imaginer et accueillir. En mesurant l’immensité de l’univers, on se rend compte de la difficulté de mesurer Dieu à sa mesure. 

 

B.  Du coup, devient logique le constat selon lequel seule la Thora est sans limite, car elle émane de Dieu. C’est grâce à Shabbat que Dieu peut communiquer sa vie illimitée a des êtres limités. « Le Shabbat agit comme une sorte de filtre qui mesure le don de la vie divine, l’adapte aux capacités humaines lui permettant ainsi de s’épancher sur l’être humain sans l’écraser. » (p.22).

5.            Le Shabbat, instrument privilégié entre les mains de Dieu. Le nom de Shabbat est Shalom (paix) et plénitude. Le Shabbat est aussi le sceau de la Création. L’image du sceau se combine ici avec celle de l’Épouse et renvoie inévitablement au Cantique des Cantiques : « Pose-moi comme un sceau sur ton cœur » (Ct 8,6)

 

Le chapitre se termine par cette belle conclusion : « La racine Kalah est comme le feu duquel Sefat Emet- à la suite de nombreux commentateurs- a su faire jaillir de multiples étincelles, ou comme un roc qu’il a fait voler en éclats. Le marteau est l’effort assidu des sages, qui ne cessent de creuser l’Écriture, de l’interroger, de chercher son sens avec amour. Ainsi est manifestée l’unité de la torah écrite et la torah orale, leur complémentarité, leur indissociabilité. A l’image du Dieu Un qui n’a qu’une Parole et qui a fait du Shabbat le chemin vers son Unité. » 

 

Pour la conclusion de cette partie quelques remarques s’imposent.

 

1.   Le feu se divise et le roc vole en éclat

2.   Le marteau entre les mains de sages

3.   Tradition écrite et orale

4.   Interroger

5.   Le chemin vers…

 

1.   « Rabbi Yohanan dit : Le Seigneur a donné une parole annoncée par une armée nombreuse (Ps 68,12) Chaque parole qui est sortie de la bouche de la Toute-Puissance se divisa en soixante-dix langues. Il a été enseigné à l’école de Rabbi Ishmael : ‘Est-ce que ma Parole n’est pas ainsi, comme le feu, oracle du Seigneur, et comme un marteau qui frappe le roc ?’ (Jérémie 23, 29).

 

2.            De même que ce marteau fait que le rocher se divise en de nombreuses étincelles, de même chaque parole qui sort de la bouche de la Toute-Puissance se divisa en soixante-dix langues” p.24/5.

 

3.            Tradition écrite et tradition orale sont inséparables aussi bien dans le judaïsme que dans le christianisme. C’est la tradition orale qui accumule des connaissances supplémentaires qui jaillissent de la tradition écrite ainsi auscultée. Tous les débats sur les rapports entre les deux pour être féconds doivent obéir à cette règle. Ainsi fonctionne le Magistère de l’Église (celui des papes et des conciles).

4.            Interroger, questionner, chercher à comprendre, ne pas se contenter des réponses à l’eau de rose ou des réponses qui font broyer du noir. La révélation est donnée pour l’essentiel, mais jamais elle n’est totalement dévoilée. Le mystère reste un mystère, et notre devoir de l’approcher fait partie de notre Credo.

5.            Rien n’est parfait, rien n’est définitif, rien n’est absolu (sauf Dieu lui-même). Nous sommes des marcheurs en chemin vers. Comme les disciples d’Emmaüs. Si notre cœur est brûlant, comme le leur, nous sommes sur la bonne voie et dans la bonne direction. 

 

A la semaine prochaine pour poursuivre cette méditation.

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« Lumières du Shabbat – Shabbat de Lumière »

Anne-Catherine Avril*

Éditeur : LESSIUS Éditions Jésuites

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* Religieuse de Notre Dame de Sion, a passé 50 ans en Israël. Titulaire d’une maîtrise de théologie avec spécialisation en Études Juives, elle a notamment étudié à l’Université Hébraïque de Jérusalem où elle s’est formée à la manière juive d’étudier et de transmettre. Elle a enseigné la tradition rabbinique et la liturgie juive à Jérusalem et à l’Université de Bethléem.