De quoi est rempli l’espace blanc entre les mots, entre deux lignes, deux paragraphes ?
Pourquoi avons-nous besoin de plus en plus d’espace pour absorber le contenu du texte ?
Sommes-nous en train de devenir des consommateurs publicitaires dociles ?
Serions-nous moins aguerris dans l’absorption des contenus des textes que nos aînés ?
Est-ce la faute à l’image qui s’impose pour nous communiquer, en instantanée du regard, tout ce qui s’impose au-delà de notre volonté, sans l’effort intellectuel que la lecture requiert ?
Les blancs entre les lignes et là, les blancs entre les questions.
Si ces blancs sont le signe de quelque chose, c’est certainement d’une absence, dans la version du verre à moitié vide, et d’une présence dans la version du verre à moitié plein.
Partons de l’hypothèse positive. Les blancs entre les textes sont remplis de plein de choses. Ces choses sont totalement invisibles, mais elles ne sont pas pour autant absentes. Si elles étaient absentes, nous n’aurions pas eu besoin d’espacer autant les textes pour les étaler comme de la confiture sur la tartine.
Ce serait contre-productif, ou alors nous tomberions sous les charmes des producteurs des supports matériels ou virtuels (une nouvelle matérialisation du support) qui pourraient ainsi augmenter la marge pour tirer le prix vers le haut. Cela ressemblerait alors au vide dans la boîte de la lessive, pour le même volume de l’emballage, avec moins de poudre pour le même prix. Evidemment, je n’intègre pas dans ce raisonnement l’amélioration de la qualité de la poudre, ce qui sans doute parfois est aussi vrai.
Avec l’écriture, tout a commencé par la nécessité. Compter les biens matériels, la nourriture et les armes. Puis, narrer les hauts faits des puissants qui imposent leurs lois et immortalisent tant soit peu leur passage sur terre ; souvent marqué par l’effusion de sang.
La première écriture, la proto écriture, est sans doute celle qui est faite avec le sang versé, sang comme signature de la vie qui s’en va. Pour une autre vie qui en témoigne. Jésus en savait quelque chose. Et tant d’autres en lien avec lui, ou sans aucun autre rapport que celui de la communion dans l’humanité qui se défend comme elle peut.
L’abondance de telles signatures précède l’apparition de l’écriture figurative, picturale (la peinture est une proto écriture bis), pour s’affranchir des images pour garder les formes convenues et reconnues, tout au moins par ceux qui savent lire. S’en distingue la calligraphie asiatique et arabe ; les enluminures de nos Bibles et des Psautiers et autres chants grégoriens n’ont rien à leur envier. Ce sont des essais de résistance contre une symbolisation purement conventionnelle, sans aucun support ni figuratif ni esthétique, sans avoir de quoi nourrir l’imaginaire et réjouir l’âme connectée directement avec l’œil qui capte forme et couleurs. Ecrire à la main et taper sur des touches du clavier n’est pas la même chose (cela demanderait à être traité en soi).
L’âme, trop compressée, va réclamer son dû. L’imaginaire ne s’accroche pas seulement au blanc pour lui faire voir de toutes les couleurs. Tel un catalyseur, il capte les particules de la présence d’une autre vie, celle qui est cachée. Ces particules, tels les fantômes, squattent le vieux château ecossais où, à la faveur d’une nuit ventée, ils se promènent dans leurs habits blancs.
Lorsque les supports d’écritures furent matière rare (comme les métaux rares le sont aujourd’hui pour favoriser la communication), personne ne songeait à étaler le texte. Bien au contraire, sur des carapaces de tortues, sur les omoplates de grands animaux, sur la pierre, dans l’argile, sur le métal, puis sur le parchemin et enfin sur du papier, il ne fallait pas être trop gourmand de la surface. Primait l’économie du support. Mais les copistes, comme nos producteurs de lessive, savaient comment arrondir les fins de mois. Là où ce fut possible, ils allongeaient le “I” en le transformant en “Y” qui occupe plus d’espace qu’un point sur le i. L’orthographe de mon prénom a dû tremper dans cette tradition, dont bénéficient aussi des Henry etc.
Pourtant le souvenir du manque est bien inscrit en nous. Est-ce aussi à cause du rapport affectif, révérencieux au texte sacré? Comme dans une relation interhumaine contrariée par la séparation? Tout texte a quelque chose de sacré, dans la mesure où il sort des profondeurs de l’âme qui se laisse comprendre à la surface d’un support écrit; et presque peu importe l’usage que l’on fait de son contenu et comment finalement on traite le support. Dans le temps de la disette, mais aussi celui d’une relative abondance, on ne gaspille pas le papier, pas plus que la nourriture, le temps et les énergies. J’ai encore, comme beaucoup, le réflexe d’utiliser les verso de feuilles imprimées ou écrites etc, qui demeurent vierges.
C’est ainsi que la feuille de l’homélie de dimanche bénéficie d’une seconde vie, souvent sans aucun rapport avec le thème, sauf celui de ma vie. C’est ainsi que la liste des participants à une activité, ou le formulaire reçu pour la réunion du doyenné etc., trouvent le revers de l’existence rempli par des signes d’une autre vie. Même si, sur mon bureau, le tas diminue un peu, il y a beaucoup de feuilles en attente pour les occuper de l’un ou même de deux côtés.
Certes, c’est plus facile d’utiliser le revers de la feuille, que de le faire comme pour le vêtement usé, en le retournant. Les vêtements, souvent, sont usés des deux côtés, le lavage intensif y est aussi pour quelque chose. Et surtout cela nécessiterait de les recoudre, ce qui semble une mission difficilement réalisable. À moins que l’on crée de la sorte une nouvelle mode (avis aux réalisateurs à la recherche d’idées).
C’est sans doute plus respectueux de la nature qui fournit la matière pour la fabrication des vêtements que de faire des trous pour les vendre plus cher, une valeur ajoutée par une absence (de tissu). Du blanc, en terme d’absence apparente, il n’y a pas que sur les feuilles, que’est-ce qui s’y cache? Comment apprendre à lire entre les lignes?
Ayant consacré un peu de temps à l’habillage du corps humain par les vêtements troués, par analogie, cela concerne aussi les livres et tout support d’écriture. Les blancs sont-ils associables aux trous dans les vêtements? Et les enchaînements des mots qui composent une sorte d’habit pour la pensée qui ainsi se matérialise, doivent avoir droit à la seconde jeunesse sous forme d’un sens caché que l’on va leur trouver à la suite de l’interaction entre ce qui est écrit et les choses qui se cachent derrières les blancs entre les mots, lignes, paragraphes…?
Le constat des blancs habités n’est pas une apologie des trous dans l’ensemble du tissu des mots. Leur manière d’exprimer la pensée est désormais mise au second plan par rapport à la manière de s’en saisir lors de la lecture.
Qui aujourd’hui peut lire les éditions de la Pléiade, surtout s’il est bien habitué à lire entre les lignes, pardon, si, pour ne pas perdre le fil, il doit se reposer sur du blanc!? En tout cas en tenir compte.
A tout problème, il y a une solution. Kindle, comme tout ordinateur, offre une variation de la police de l’écriture pour adapter la taille des mots aux besoins du lecteur. D’ailleurs, à l’époque informatique, on ne peut plus dire que les pages sont imprimées ou qu’elles sont écrites. Même si pour l’écriture à la main sur l’ordinateur c’est encore une autre question, car il faudrait tenir compte de l’accent ainsi mis davantage sur l’auteur que sur le lecteur, sur l’écriture que sur la lecture.
Les blancs entre les lignes et les chapitres sont nécessaires. Ils ont le droit de cité que personne ne conteste. Ils s’imposent comme un partenaire incontournable de la lecture. L’écriture existe depuis environ 6 000 ans. Le tiret est le premier signe de la ponctuation, (époque mycénienne 17-12 siècles avant J-C), mais pas le point dont vient le mot ponctuation. Cependant le tiret horizontal ou vertical se transforme en un point. L’évolution de l’écriture, ou plutôt l’évolution de sa lecture, amène à mettre de plus en plus de blancs. Cela signifie un accompagnement graphique pour une meilleure compréhension du texte. Une pédagogie de lecture, en somme. Dans l’inversion de l’attention entre l’auteur et le lecteur, contrairement à l’évolution d’un tiret qui peut être assimilé à la ligne qui se transforme en un point qui en résulte, pour avoir plus d’espace entre les paragraphe, d’un point, peut-on dire, on passe à la ligne.
La ponctuation, au sens développé du terme, organisé en un système, la petite sœur de l’écriture, apparaît en Alexandrie au III siècle avant J-C. Les signes de ponctuation mis en place par les savants de la bibliothèque d’Alexandrie (tout au moins en partie, brûlée par excès de zèle par les chrétiens surtout quatrième siècle) sont une nouveauté absolue qui témoigne de l’intérêt du scribe (copiste ou celui à qui l’on dicte le texte) à l’égard du lecteur. Scriptio continua cède place à la scriptio dis-continua.
La rupture ainsi envisagée se fait d’abord à l’aide de l’introduction des signes jugés désormais indispensables pour la bonne lecture d’un texte. Les grecs d’Alexandrie se mettent à construire tout un système de ponctuation en commençant par l’introduction des trois traits, chacun mis à une hauteur différente. Ils sont alors pour la lecture, à l’aide d’une telle ponctuation, ce que sont trois mouvements de l’esprit du lecteur ainsi guidée, expliqué par un philosophe grec, Denys le Thrace, disciple d’Aristarque :
“Le point final signale une pensée complète. Le point moyen [point virgule] s’emploie pour signaler où il faut respirer; le point inférieur [virgule] signale une pensée incomplète.” Cependant, au début ces trois signes avaient de la peine à s’imposer, car ils étaient utilisés par les copistes pour faciliter la lecture, une manière nouvelle d’aborder le texte à partir du lecteur, alors que chez les auteurs et leur propagateurs primait encore l’intérêt de l’écriture et donc celui de l’écrivain.
Par ce procédé consistant à introduire des signes de “respiration” ou de trois mouvements d’esprit, l’oralité du texte fait entrer l’écriture dans une nouvelle phase de son utilisation. Cette évolution est signée par la découverte de la possibilité de lecture à voix basse, en visualisant les sens des mots et de leurs ensemble de façon purement mentale. L’abandon de la lecture à voix haute, au profit de la lecture silencieuse, est-elle une simple conséquence de la ponctuation? Le fait est que rapidement la lecture à voix haute fut remplacée par la lecture à voix basse, toute intérieure, mentale. Moins fatigante, plus rapide, tellement rapide que la lecture, appelée rapide permet de sauter des mots entiers, sans pour autant perdre le sens de l’ensemble. J’ai essayé, sans jamais vraiment réussir.
La lecture mentale s’était imposée par économie de moyens, st Augustin remarque l’habitude inhabituelle d’Ambroise de Milan de lire en silence. S’était-elle imposée grâce à la persévérance avec laquelle les moines copistes à l’époque massorète (5-12 siècles) se sont évertués à économiser des énergies, car personne n’avait besoin de les entendre, puisque chacun pouvait désormais lire pour soi-même uniquement? Une pure hypothèse. Ce qui est certain, qu’avec les siècles du Moyen-Age, le rapport à l’écriture change. Le rapport au travail de lecture en collectivité change aussi. La règle bénédictine Ora et labora gardera de collectif Ora, la prière, mais pas l’étude qui, faite par l’intermédiaire des livres (sacrés ou autres) sera de plus en plus personnelle. La ponctuation précède les blancs, appelés espace entre les mots et prépare leur place entre les lignes.
L’écriture en continue pratiquée chez les grecs et les latins, l’est aussi dans l’écriture hebreu de la Bible etc. Mais, la Bible, en premier, grâce aux massorètes, subit une telle transformation sur le plan de la présentation des textes (indiquant la manière de prononcer les mots) et de leur accessibilité adaptée à des lecteurs de plus en plus nombreux qui cherchent à entrer en contact direct avec les Saintes Ecritures, et pas uniquement par les moines savants, que cela devient une référence.
Pour la Bible, au VIII siècle de notre ère, les Massorètes introduisent les coupures entre les phrases, dont chacune commence par une lettre en majuscule et cela se manifeste par les coupures en termes d’espace blancs entre les phrases, puis entre les mots, aussi avec les virgules pour les subordonnées etc.
Le blanc viendra plus tard, toujours dans le même but, celui d’aider le lecteur à suivre le texte. C’est l’intérêt général qui se déplace, celui de l’auteur vers celui du lecteur. C’est aussi le passage de l’oralité conservée dans la scriptio continua, ou la lecture se faisait à voix haute, vers le rapport autonome du lecteur avec le texte, qui devient son texte, qu’il s’approprie “à sa guise” et qui en fait ce qu’il veut. D’où une fructueuse collaboration entre l’auteur qui donne à penser et le lecteur qui pense.
Mais aussi ce basculement de l’intérêt vers le lecteur occasionne un tas d’approximations, voire d’inepties et même de simples stupidités visibles dans les commentaires écrits ou oralement transmis, surtout pour des raisons d’apologétique contre. Toutes ces approximations qui nourrissent les nouvelles générations de non lecteurs de la Bible, qui pour autant ont des idées bien arrêtées, savamment entretenues commes des vérités à croire, continuent de peupler l’espace culturel moderne. Ainsi, pour se dédouaner de toute possibilité d’aller plus loin dans la compréhension des écrits, on dénonce les contradictions dans les descriptions des mêmes faits, le bricolage des textes à partir d’éléments épars, mal ficelés, faits historiques imaginaires etc. Ils constituent des arguments majeurs pour nourrir une apologétique contre. Ils sont souvent le reflet de ce que cela occasionne comme réaction pour défendre l’opposition contre l’éventualité de prendre au sérieux leur contenu.
Ils sont souvent le reflet de ce que l’on pense plutôt que de chercher ce que cela donne à penser. Et la pensée chrétienne, comme toute autre, n’a pas peur des blancs, des ratures, des trous, des mauvaises coutures, au contraire, les accueille et compose avec leurs locateurs pour faire jaillir une nouvelle prise de conscience. Comme résultat d’une cohabitation à l’amiable, la pensée a quelque chose d’aimable. Ne pas avoir peur de ses propres fantômes qui s’y cachent, le blanc devient un champ à labourer par le lecteur, l’auteur s’y effaçant de façon bien bénéfique pour le lecteur. Comme Dieu s’efface derrière ce que l’on dit de lui pourvue que l’on ne cesse de le chercher.
La signature du lecteur vaut bien plus que celle de l’auteur. D’ailleurs c’était dans ce sens que la tradition du moyen âge suggérait aux auteurs d’omettre leur nom, estimant que le véritable auteur, comme pour la Bible, est Dieu lui-même. Ce n’est pas qu’ils se prennent pour Dieu ou ses messagers imbus de leur pouvoir d’intermédiaires angéliques. Ils s’effacent devant Dieu, devant la mémoire de leurs contemporains et surtout la mémoire de leur postérité.
Le blanc, c’est bien plus qu’un besoin physiologique de respirer. Le blanc mène à la vie du lecteur et l’y nourrit. Dans les expériences spirituelles d’exercices visant à apprendre à écouter Dieu en s’écoutant soi-même, les blancs, ces temps dits morts sont au contraire, plein de vie, mais pour le percevoir, saisir et en goûter il faut arrêter le temps. C’est une autre étape qui est à franchir, celle d’une adaptation à la capacité toujours évolutive de l’écriture au service du lecteur qui a besoin de plus de temps pour se concentrer. Ou pour aller vers une autre compréhension, différemment?
C’est la deuxième hypothèse que je soutiens, en tentant de démontrer que nous sommes dans le rapport à l’écriture, comme nous sommes dans le rapport à la mode, aux courses et aux achats. Nous attendons que tout ceci soit de plus en plus personnalisé ; la restauration, le tourisme ou les déplacements professionnels (surtout lorsque l’on a les moyens de le faire valoir) ou autres, n’y échappent pas. L’écriture en fait partie.
Nous cherchons de l’aire, de l’espace, de la reconnaissance de notre singularité. Nous cherchons à nous épanouir, de préférence sans fatigue ni contrainte, juste avec le plaisir que les autres (personnes ou objets, cela devient secondaire) nous procurent, et que nous acceptons comme étant le nôtre. C’est ainsi que l’on fait la lecture où la projection empêche d’accéder à soi-même, pour contourner la difficulté oblative qui se manifeste, qui, une fois dépassée s’impose d’elle-même. Nous avons du mal à nous défaire de cette liberté que la lecture nous permet. Et pourtant en nous captivant, le texte nous soumet à sa propre liberté.
En nous défendant, nous voulons imposer des limites à notre compréhension du texte, car en somme, celle-ci est plus forte que le sens du texte; notre exigence, celle de l’adapter à nos besoins, a le dernier mot. L’écriture est donc à notre service, mais sans respecter celui-ci dans sa vie propre.
Pourtant, Ne touchez pas à mon texte, semble crier l’écriture elle-même. Vous pouvez m’entendre, étaler, aplatir, jouer sur les proportions et les gammes des sentiments que moi, votre écriture génère sous votre regard. Mais vous n’avez pas le droit de m’interdire de respirer de ma propre vie. C’est ma dignité d’écriture libre et autonome à mi-chemin entre l’auteur et le lecteur qui l’exige.
Face à un tel plaidoyer, un blanc s’impose, il faut s’arreter pour respirer à fond, avant de reprendre cette plainte formulée par la lecture, sous laquelle, maltraitée, l’ecriture suffoque. De la respiration pour l’écriture, comme de la respiration pour la lecture. Les deux s’y retrouvent, les deux se complaisent, les deux communient, s’informent et se projettent ensemble. Jusqu’à un baiser de paix.
Si le blanc est vraiment ressenti comme nécessaire, même là, où il n’y en a pas dans le texte, il faut s’arrêter avant de reprendre la lecture. C’est ce que l’on fait habituellement. Mais doit-il y avoir autant de blancs? Ne sont-ils pas abusifs par leur présence? Comme s’ils voulaient s’imposer et montrer qu’ils sont plus importants que le texte lui-même.
Le seul livre blanc que j’ai eu entre les mains est celui, écrit pour savoir Tout ce que l’homme sait de la femme; un editeur plaisantin l’a fait dans les années 70-80. Quand il n’y a que du blanc, c’est aussi gênant, ce n’est pas très sérieux. Car on soupçonne du coup le blanc, ce qui correspond au vide sidéral, de vouloir s’imposer avant le texte qui l’acceuille généreusement. C’est un exemple bien exageré de la supériorité du lecteur sur l’auteur, ce dernier étant réduit au silence, alors que le premier expose le vide sideral du blanc des pages comme seul contenu plausible, son propre imaginaire étant convoqué au service de ses propres projections. Se laisser guider sans les rennes que représentent l’écriture, c’est autant dire laisser les chiens de l’attelage aller chacun son chemin, car l’attelage est remplacé par une course à pied pour savoir qui courre plus vite, sans pouvoir statuer pour quoi faire.
La page blanche rendue par un bachelier qui, sous les tranquilisants, etait incapable de réflechir et écrire, m’a beaucoup marquée.
Or, c’est l’inverse, c’est le blanc qui est au service du texte, le lecteur y compose avec sa propre présence, en occupant les blancs par sa propre pensée et ses prises de conscience. Mais sur un autre plan, celui de la lecture, celui de la libre lecture de toute contrainte que l’écriture suppose, c’est tout l’inverse. Et alors, c’est une prise de l’écriture au piège du blanc.
Mais n’arrêtons pas notre analyse à ce niveau. Il y a de l’invisible dans le blanc, et il est très occupé par des choses qui ne sont pas lui, mais qui le remplissent, jusque parfois en l’encombrant.
Là est le pivot de mon raisonnement. Les blancs sont indispensables pour les esprits encombrés que nous sommes. Indispensables pour quoi alors?
Dans ce qui précède, il y a déjà des indices, depuis le rouge du sang au bleu de l’encre, depuis les images aux figures convenues, depuis la nécessité aux abus de langage, depuis la commodité à l’exaltation. Ils sont tous là, ça grouille de leur présence, Il faut un effort surhumain pour pouvoir passer outre. Ils sont souvent gênants, mais souvent aussi se mettent en partenaire collaborant gentiment avec nos lectures.
Tous ces blancs nous aident à nourrir notre réflexion, car ils reflètent notre compréhension de ce que nous lisons. D’où la diversité des compréhensions d’un texte par différents lecteurs, d’où aussi la richesse d’interprétation (même en mathématiques?).
Sûrement, c’est plus facile en poésie, ou en religion, ou encore dans une autre manière d’exprimer l’incertitude, l’à peu près, l’incomplétude, même sans hésitation, de façon affirmée, raisonnablement assurée.
Le mystère se love-t-il sous les gravas des décombres que la rationalité, avide de certitude, quitte à se contredire, (de bonne foi, par des modélisations qui évoluent pour expliquer le monde), démolie et rend caduque toute espérance d’y trouver de la vie?
Décrire, dénicher appelle à bien plus que conclure, pleurnicher!
(Photo ©BNF)