Il est heureux d’entendre une telle affirmation ou d’autres similaires. Cela contredit bien des affirmations, toutes réunies sous le vocable homo homini lupus est. Un zoom avec un arrêt sur images successives s’impose.
“L’humain est naturellement bon”, c’est déjà le titre d’une interview parue dans le magazine catholique, Le Pèlerin du 26 novembre de l’année passée. La formulation du titre renvoie à la fameuse expression de Jean-Jacques Rousseau. Nous y reviendrons plus loin.
Le résumé de l’interview tel qu’il apparaît dans le journal est le suivant: “l’homme n’est pas un loup pour l’homme. Sa vraie nature l’incite davantage à l’entraide qu’à l’égoïsme, démontre l’historien néerlandais. Un propos revigorant en ce temps d’inquiétude.”
Il s’agit d’un historien déjà bien connu, Rutger Bregman, car auteur d’un best-seller, Utopies réalistes. L’humain est naturellement bon est son quatrième ouvrage.
La première question du journaliste porte sur la naïveté de l’auteur, à quoi celui-ci répond qu’il se contente de faits. Il le dit en optimiste, s’appuyant sur les études scientifiques en anthropologie, psychologie, histoire… qui depuis quelques décennies démolissent la vision cynique de l’homme.
Et tant mieux, a-t-on a envie d’ajouter, car le cynisme est un aveu d’impuissance dans la démarche intellectuelle qui ne peut que s’en sortir, pensent les praticiens de la chose, que de façon brillante, pour ne pas dire intelligemment ; faute de mieux la course aux idées et leurs enchainements se termine dans une de nombreuses dunes du désert de notre monde raisonnable.
Ce cynisme nous viendrait, affirme l’historien, (sans doute entre autres, à notre avis) de la mémoire ancestrale qui dans l’instinct de survie captait plus facilement les dangers que les gestes de tendresse apaisants car paisibles. C’est de tout danger dont nous nous souvenons plus facilement, et cela déteint sur notre vision de l’humain.
Notre cerveau reptilien, pourrait-on ajouter, contient des messages transmis de façon innée. Ce à quoi s’ajoute une vision négative de la nature humaine telle que véhiculée par un certain christianisme.
Mais dans ces deux cas, il faut voir de plus près, car sans cela on risque de tomber dans le piège d’une généralisation qui n’est pas digne d’une approche scientifique, même si c’est celle d’un historien.
C’est un fait, la mémoire ancestrale qui conditionne nos réflexes mentaux est nourrie de la peur et de la volonté de la dépasser. La générosité spontanément exprimée vient de ce levier puissant qu’est la solidarité de survie. Elle s’organise dans le cadre du cercle de survie. Hors du groupe point de salut. C’est tout à fait à l’opposé de notre mode de vie bien individualiste rendant une liberté par ailleurs bien conditionnelle.
Le christianisme connaît cette donne que l’on pourrait identifier dans tout instinct grégaire. Il tente de l’enrichir d’une injection contenant l’attention à l’égard de tous ceux qui sont autour de lui, souvent sans une appartenance bien définie les liant de façon vitale pour eux et leur permettant d’y vivre et s’épanouir, comme le groupe en question l’entend.
Il s’agit tout autant de tous ceux qui sont visibles, comme ceux qui ne sont pas visibles, mais qu’il faut chercher pour les trouver. Tous ceux considérés comme étant utiles pour la collectivité. Sans oublier tous ceux que l’on considère comme un poids car n’étant pas ou n’étant plus productifs pour accroître les richesses du groupe auquel l’on s’identifie et pour qui on travaille.
Mais il faut aller encore plus en profondeur de la vision chrétienne pour comprendre le monde et la nature humaine dans ce qu’elle a de bon et de moins bon. La Bible, pour expliquer le bien et le mal, se sert d’un mythe des origines du monde et de l’humain. Elle met en scène les deux personnages principaux que sont Adam et Eve. Ils sont situés dans un décor paradisiaque au sens premier du terme et on n’a pas besoin de Netflix pour se nourrir de sa vision bien imagée.
Ce que Rousseau a mis en lumière et Bregman reprend, la Bible le contient déjà. Tous ces constats extra bibliques sont la confirmation de ce qu’elle contient déjà. Avec au passage un éclairage intéressant porté sur la manière dont on s’est saisi de cette vérité dans l’histoire humaine. Ces travaux ne sont pas seulement intéressants pour tout être humain, ils éclairent aussi la manière dont les donnés de la Bible étaient exploitées au cours des siècles. Et en tant qu’héritage, comment cela nourrit l’imaginaire contemporain considéré comme vivier culturel pour alimenter les idées et les organiser sous forme de vision du monde liée à celle de l’humain.
Y est à recevoir un avertissement contre toute sorte de gauchissement voire même falsification des données de la foi chrétienne d’où que celles-ci viennent, de l’intérieur de l’Eglise comme dépositaire du message biblique, comme de l’extérieur. Ni l’extérieur de la foi, ni même son intérieur, rien nulle part n’est exempt de l’influence qu’une idéologie peut exercer sur les données scientifiques au sens des sciences naturelles ou des sciences surnaturelles.
Le meilleur exemple de la liberté des scientifiques est celui des mages comme personnages centraux de la fête de l’Epiphanie. Ils sont de vrais scientifiques qui scrutent le ciel, à la fois pour comprendre comment fonctionne l’univers et en même temps pour tenter de répondre à la question de la place de l’humain dans l’univers.
Puisqu’ils travaillent sans filtre, pourrait-on dire, ils sont libres de tout esclavage idéologique. Par conséquent, ils arrivent tout naturellement à reconnaître le messie dans cet Enfant de la crèche. Rien ne les trouble dans cette démarche, ils en ont la paisible certitude.
La colonisation idéologique est infectieuse et peut provoquer une paralysie de l’agent normalement actif de telle science qui permet, tel un révélateur utilisé autrefois dans la photographie, de rendre compte uniquement des faits, sans se croire obligé de leur assigner une autre valeur que factuelle, en s’exprimant uniquement au niveau des faits.
Or, dans cette colonisation omniprésente, il y a une vision qui, tout en s’appuyant sur les faits, les transforment en agent d’action politique. L’action politique a toujours pour but un intérêt général ou particulier, mais sans ni vouloir envisager de pouvoir atteindre les dimensions universelles de l’existence de l’humain en termes du bien commun, au sens le plus neutre et désintéressé du terme.
Pour comprendre la colonisation idéologique à l’intérieur du christianisme dans ce domaine de la vision anthropologique, il faut revenir à saint Augustin. Lui, qui avec une puissance intellectuelle de génie au service de l’homme et de sa recherche de sens, a mis en lumière les profondeurs de l’être humain dans sa quête du divin. Mais qui, à la même occasion, a inoculé un virus dont on n’avait pas vu la présence tout de suite, et qui a mis du temps à être circonscrit, voire éradiqué.
Ce virus est celui de la tare, sexuellement transmissible, sous forme du péché originel. Il a fallu attendre le milieu du XX siècle et surtout Jean Paul II, puis Benoît XVI pour rectifier la vision en accordant à l’amour humain, charnel, une grande valeur divinement désirée.
A ces deux papes on trouverait aussi sans difficulté d’autres faiblesses, et un regard idéologique pourrait se contenter aussi d’une dépréciation radicale de tout message positif émanant d’eux. Comme souvent, le chemin de la vérité est long et il faut passer par bien des détours pour arriver à la retrouver logée en toute simplicité, comme l’enfant de la crèche entourée de ceux qui l’aiment pour leur plus grand bonheur, eux qui sont de tels chercheurs.
Coller une étiquette idéologique, parfois on le ferait pour faire diminuer leur autorité dans ce domaine comme dans bien d’autres. Mais, parfois aussi on le ferait uniquement par souci de vérité qui se moque de tous les enjoliveurs que l’on voudrait mettre sur les roues de l’histoire humaine de ses représentants qui sont les plus exposés aux regards extérieurs.
Rien d’étonnant à cela, puisque l’esprit humain fonctionne sur deux pieds. Cela occasionne le mouvement de balancier du corps entier: un coup à gauche, un coup à droite.
La nature humaine est fondamentalement bonne, prétend la Bible. La faille qui la fragilise, n’est pas un agent nocif au point d’affecter de façon purement négative l’ensemble de son être.
Certes, l’homme a rompu la possibilité d’être en relation amicale avec Dieu et par conséquent les portes du paradis lui sont désormais fermées. Mais il peut user des éclats de la bonté confiée comme d’un trésor au départ. Il y a des situations où il on en use bien plus facilement que dans d’autres.
Le livre de Bregman arrive à point nommé comme une consolation utile. Il permet de corriger la trajectoire de la conscience de bien des chrétiens marqués par la vision augustinienne de la nature humaine. Il permet aussi de maintenir le bon niveau du moral de l’homme qui cherche des éclats de lumière de l’espérance.
Et finalement sont là tous ces éclats de la foi pour croire, sinon en Dieu, au moins en l’homme lui-même. Ils constituent autant de ressources pour l’humain qui sont mises à sa disposition et n’attendent qu’ à être exploitées.
C’est déjà pas si mal, il faut continuer le chemin pour ne pas nous arrêter aux premières difficultés, pas plus que sur les avant dernières non plus. Car le chemin pour parvenir à la vérité de la nature humaine est toujours plus long que l’on ne le pense.
Y mènent de vraies sciences, celles qui sont libérées des contraintes y compris pseudo religieuses imposées dans les religions. Comme dehors, y compris celles constituées en bloc du refus de croire à la proposition chrétienne en l’occurrence. Et elles sont bien vivaces, solides, et puissamment établies dans le sens du vent de l’histoire.
L’humain est foncièrement bon, mais ce n’est pas seulement la société qui le corrompt, comme l’affirmait fort de sa croyance Rousseau. Lui, il ne pouvait pas voir que les puissances du mal sont, bien plus que nous, structures du péché dont parle si clairement Jean-Paul II. Dans le collimateur desquelles nous tombons si facilement sans nous rendre compte que ces structures du mal constituent seulement la face visible et tangible d’un monde de puissances obscures. C’est en quoi certains se complaisent, sans se rendre compte de l’ampleur des dégâts en eux et autour.
L’humain est naturellement bon, mais sa bonté est dans certaines circonstances tellement déréglée qu’elle devient contre-productive. Vouloir le bien de l’autre à l’image de ce qui nous ferait plaisir est louable en soi, mais avec les limites qu’une conscience droite, réglée selon les principes de la loi divine qui accompagne la réalisation de son plan, intègre et applique.