Tao Fong Shan

 

Nous sommes en février. 

Ce samedi-là, je suis à Sha Tin avec les fiancés pour la journée de retraite sur le dialogue dans le couple. Entre deux sessions en commun, il y a des discussions en petits groupes. J’ai le loisir de passer d’un groupe à l’autre pour traîner les oreilles et essayer de comprendre le sens des échanges. 

 

Cet après midi-là, en sortant de la salle, je me laisse entraîner par le soleil qui, avec une conviction bienveillante à mon égard, m’invite à me laisser prendre par une douce somnolence. Je m’assieds sur le rebord de l’escalier et allonge les jambes, même les yeux fermés, le soleil donne. Je les ouvre et vois quelqu’un qui se tourne vers moi. La discussion s’engage. 

 

On se promet de se revoir. Ce qui ne manquera pas de se produire. Il vient avec deux brochures sur ces activités, ce qui expliquait sa présence à Sha Tin, dans ce centre de Tao Fong Shan. Il m’en a parlé lors de notre première rencontre, mais cette fois-ci c’est plus précis dans ma tête. Il plante les arbres, il réalise le projet d’une réimplantation des arbres sur le terrain du centre. Dans un endroit que j’avais déjà repéré lors de mes précédents passages pour accompagner des retraites. Et j’apprendrai plus tard qu’il travaille sur l’ensemble du terrain, car les dommages sont aussi apparus ailleurs. 

 

L’endroit emblématique se trouve derrière la salle à manger, un peu en contre-bas, pas loin du labyrinthe. C’est une place, une sorte d’étrange clairière, étrange car le sol n’est pas couvert de végétation, ce n’est pas une prairie, c’est de la terre battue, mais par qui? C’est un endroit sans vie. 

 

Il m’explique, et la brochure m’aide à compléter ma compréhension. Cet endroit était victime d’une plantation d’arbres, dont la présence était particulièrement mal venue dans ce climat et sur ce sol. C’est le PH des feuilles tombées par terre au pied des arbres qui ont fini par faire mourir leurs porteurs. 

 

La morale de l’histoire, il ne suffit pas de vouloir faire, il faut encore le faire bien. Mais pour bien faire, un savoir-faire s’impose. 

 

Les arbres et l’écosystème

 

Ce podcast est dédié aux arbres et à leur écosystème. 

Écosystème dont nous faisons partie. Comment cela nous renseigne sur votre manière d’être chrétien?

 

Concernant les arbres, l’histoire de Hong Kong est tout aussi fascinante par son côté exceptionnel du rapport de l’homme à l’arbre qui est symptomatique d’une méconnaissance d’un savoir vivre ensemble, vivre avec. La deforestation est un phenomène mondial, liée à l’expansion des homo sapiens qui adoptent le mode de vie de plus en plus sédentaire. Elle s’accompagne d’une sortie de la forêt effectuée par la suppression de la forêt pour la plupart d’endroits. Les clairières deviennent de plus en plus vastes, les champs ainsi dénudés, arrachés à la forêt, apparaissent pour cultiver la terre. On n’a plus besoin de courir pour trouver de la nourriture, on la produit dans les champs et les enclos.

 

C’est à l’époque d’industrialisation que l’on a vraiment pris conscience de la fonction des arbres dans l’écosystème, dans lequel l’humain évolue tout en le modifiant, alors qu’il en a besoin pour garantir sa survie physique. Les forêts en Europe, pour beaucoup d’espèces qui les composent, sont malades et condamnées à disparaître. l’année 2012 a été déclarée l’année internationale de forêts. C’est sans doute sans aucun lien avec la sortie du film Avatars en 2010 consacré à un arbre sacré et ses bienfaits pour quiconque le respecte et l’écoute. 

 

Actuellement 31 % des continents sont couverts de forêts, accueillant 80 % de biodiversité et 300 millions des humains y vivent. Chaque année, 13 millions d’hectares de forêts disparaissent. Les forêts absorbent un tiers de l’émission de CE2, leur disparition provoque l’érosion du sol. Sous la poussée des besoins des USA, de la Chine et de l’Europe essentiellement, la taille de plus grands bassins forestiers (Brésil, Congo, Indonésie etc) diminue dangereusement.  

 

Les forêts chinois par exemple ont une biodiversité la plus variée avec 2,800 espèces d’arbres. 40 % de l’énergie à l’usage domestique de la population rurale en Chine vient de la forêt. (données de 2010, cf wwf.org.hk Our Forest our future). À cette époque, la Chine a affiché une politique de protection de la forêt bien plus importante qu’ailleurs, mais il a fallu attendre la dernière décennie au cours de laquelle les progrès réels ont été constatés. En témoigne la reforestation massive sur les abords des déserts de Gobi etc. 

 

Actuellement, le mur vert (Green Wall) s’étend sur 13 provinces du nord, nord-est et nord-ouest de la Chine et couvre la superficie de plus de 4 millions kilomètres carrés. Il est réalisé dans les cadres du programme appelé Tree-North Shelterbelt Programme lancé en 1978. La 47ème journée de National Planting day, à la date du 12 mars, est l’occasion d’en parler dans la presse. Pour dire que la moitié de ce gigantesque programme est déjà réalisée.

 

Pour Hong Kong, avant l’arrivée des humains, le territoire était couvert de forêts tropicales. La première déforestation a eu lieu au XIIIe siècle, lorsque les coteaux de Tai Mo Shan étaient utilisés pour la culture du thé. La déforestation semble freinée après l’arrivée des Hakkas qui a coup de hache, s’installent au XVIIIe siècle sur ce qui sera plus tard appelé les Nouveaux Territoires. L’île de Hong Kong était déjà “bleak and bare”.  

 

Malgré les efforts visant à protéger les forêts, l’établissement de la colonie britannique s’est accompagné, lui aussi, d’une déforestation supplémentaire. Mais dès le début du XXe siècle les choses commencent à changer dans le bon sens. En 1938, 70% du territoire de Hong Kong est couvert par les forêts. Durant la seconde guerre mondiale, l’invasion japonaise a causé de grands dégâts. Seule la forêt du village de Fung Shui a survécu sur l’île. 

 

Actuellement, 75 % du territoire de Hong Kong est couvert par la forêt. L’urbanisation est maîtrisée par le souci de préserver l’écosystème pour garder en bonne harmonie une cohabitation entre l’homme et la nature. La beauté de la ville moderne, inscrite dans un écrin de la nature, laisse à Hong Kong le palmarès de la plus belle ville du monde (un brin de chauvinisme n’est pas de trop!, j’en prends toute la responsabilité!)   

 

Bauhinia à l’honneur

 

On connait tous l’histoire de Bauhinia et comment la fleur de cet arbre découvert sur le sol hongkongais par des missionnaires au XIXe siècle est devenue l’emblème de Hong Kong. Que la citation suivante nous servent d’aide-mémoire.

 

«Professeur Alain Le Pichon […] la relate dans ses recherches et dans son ouvrage Béthanie & Nazareth. Les Pères des Missions Étrangères à Hong Kong [éditions Hong Kong Academy For Performing Arts, 2008].

 

Tout d’abord, le nom de cet arbre, « Bauhinia », fut créé d’après le nom des frères Bauhin, Gaspard et Jean, deux herboristes suisses qui au XVIe siècle ont consacré leur vie à la botanique et l’ont répertorié dans de volumineux ouvrages recensant des milliers de plantes.

 

Les frères des Missions étrangères, de Paris quant à eux, le découvrent dans une ruine à Pok Fu Lam. 

 

Alain Le Pichon relate par la suite que le lien du Bauhinia avec Hong Kong relève de la tradition de la botanique pratiquée chez les frères des Missions Etrangères de Paris (MEP). Et ce, depuis le XVIIIe siècle : « Installés à la Maison de Béthanie, à Pok Fu Lam, les frères des MEP y poursuivent en effet cette tradition. Ils collectent plantes, herbes et arbres trouvés sur le territoire de Hong Kong et les font pousser aussi dans leur jardin de Béthanie. En 1888, le Père JM Delavay identifie pour la première fois près des ruines d’une maison située en bord de mer, au Mont Davis, une plante de la famille des Bauhinia, à la couleur violette et jusqu’alors inconnue. 

 

Les frères des MEP en récupèrent des boutures pour les planter dans leur jardin, mais ils n’omettent pas d’en confier d’autres au Jardin Botanique de Hong Kong, où la plante peut ainsi être cultivée et conservée. A la fin du XIXe siècle, Stéphane T. Dunn, responsable de la direction des Forêts de Hong Kong, complète le nom de cette plante que lui ont confié les frères des MEP. Au nom générique de Bauhinia il ajoute ainsi le qualificatif blakeana, en hommage à Sir Henry Blake, le gouverneur de la colonie britannique de Hong Kong à l’époque (1898-1903) » blog.courrierinternational.com 5 avril 2018 

 

Dès 1997 la fleur dessinée par l’architecte hongkongais Tao Ho, est intégrée dans le drapeau de Hong Kong qui fait consensus entre la politique et l’art. L’arbre devient aussi malgré lui, comme celui d’Eden, symbole de l’unité souvent contrariée, entre la religion et la politique. Mais, puisque chacun voit midi à sa porte, je suis désolé pour ceux qui ne partagent pas ce point de vue bien personnel. S’il y a une vérité qui est au-dessus de nous tous et qui nous échappe à nous tous, elle saura bien faire les choses pour nous mettre tous d’accord. 

 

Cette petite excursion, qui peut sembler hors de propos, a pour but de faire le lien entre l’arbre, la forêt, l’écosystème, la nature en général et notre humanité, parfois marquée d’une empreinte religieuse et chrétienne en l’occurrence.

 

La nature ne cesse de nous surprendre et surtout elle nous émerveille. Les sciences naturelles et les parasciences qui réfléchissent sur le lien entre tous les éléments de la nature, et donc tous les éléments qui font partie de notre environnement, s’accordent sur le fait que tout est connecté. Nous sommes tous connectés sans le savoir et parfois cela nous joue des mauvais tours. Alors les arbres qui, sans savoir s’ils le savent au sens humain ou autrement, se connectent entre eux, leur survie est en jeu. Grâce aux systèmes de connexion établis par les champignons qui peuvent transmettre des informations sur un millier de kilomètres, les arbres sont des heureux bénéficiaires de cette structure de communication pour transmettre des informations utiles à leur croissance, prévenir du danger, etc. 

 

Nous les humains, nous le savons, mais si souvent nous l’ignorons, feignant de ne pas être perturbés par le déséquilibre causé. Ou alors nous restreignons notre champ de connexion aux seuls intérêts partisans. Bien que limités par leur moyens de communication, les arbres le font, alors que nous, nous nous limitons obéissant aux penchants mauvais de notre nature qui annihilent notre volonté de bien faire. 

 

Sommes-nous moins que la réplique de la nature, sans souvent en être à la hauteur? Sommes-nous détenteurs d’une valeur ajoutée? Par quoi, par qui et comment? Est-ce le libre arbitre, si décrié par les sciences neurologiques, qui fait la différence? Et si oui, est-ce pour un bien ou pour un mal. Mais de qui?

 

Les philosophes cessent de spéculer sur les atomes, le corps humain et les étoiles, ils cèdent la place aux sciences qui deviennent le pourvoyeur quasiment unique de réponse à tout. Du point de vue de la stratégie plus ou moins inconsciemment mise en place, on accorde cette exclusivité aux sciences comme pourvoyeur unique de sens et donc de vérité. Ce n’est pourtant pas tout, on le sait, mais il faut bien faire de sorte à ce que cela soit suffisant. La paix des ménages et la paix sociale priment. 

 

Sawaru Shaiji 

 

Sawaru Shaiji est professeur d’architecture à l’université de Hong Kong. Le programme de la reforestation de la malheureuse clairière de Tao Fong Shan inclut le travail de recherche sur la présence des espèces étrangères à l’écosystème naturel de la région de Hong Kong et leur pertinence aux côtés des essences locales qui y sont depuis toujours. L’idée du départ était louable, il s’agissait de planter des arbres qui aideraient à lutter contre l’érosion du sol qui menace la colline. 

 

Il y a près de 70 ans, on y a planté des arbres exotiques venus d’ailleurs qui répondaient à cette nécessité. Maintenant, ces arbres atteignent l’âge mûr, ce qui veut dire qu’ils sont prêts à disparaître. Leur présence a pourtant un impact négatif sur l’écosystème. Ces arbres ne s’adaptent pas bien au climat local et ont une valeur écologique sans importance à long terme. 

 

C’est alors que l’on arrive aux feuilles qui empoisonnent les arbres. À force de tomber, elles finissent par faire mourir leurs porteurs. Les ramasser pour éviter la dangereuse décomposition est-ce une solution? il faut que je le demande à Sawaru!

 

Avec son équipe, ils ont identifié toutes les espèces d’arbres du site. La plupart sont dans cette situation de fin de vie. Transformer un centre spirituel en une maison de repos pour les X-ème âge n’est pas vraiment l’objectif de ce centre interreligieux, même s’ il s’agit des arbres.  

 

Des nouveaux arbres soigneusement choisis vont être plantés par les enfants et adultes, chacun son arbre. Et cela fera toute une forêt. Les écoles locales et internationales sont déjà sollicitées et se mobilisent. 

 

Grâce à ce programme mené par une équipe sino-japonaise, l’écosystème naturel se verra renforcé par l’écosystème humain, qui se trouve entre l’écosystème naturel et celui que l’on appellera spirituel.  

 

Bonheur du croyant

 

Je suis comme un arbre planté au bord de l’eau, les feuilles sont le remède et les fruits une nourriture. (Cf Psaume 1)

 

En général, pour grandir les arbres ont besoin d’être en compagnie d’autres arbres qui ensemble vont se faire tirer vers le haut. Et quelques baobabs ou d’autres solitaires vont tracer les lignes du paysage de la savane pour signer l’exception à la règle des forêts. 

 

Les derniers incendies en Californie ont démontré qu’il ne suffit pas vouloir profiter du feuillage et des remèdes fournis par d’autres arbres. Faut-il encore s’intégrer dans l’écosystème, ce qui suppose participer activement à l’harmonie entre la nature animée dont nous faisons partie et les éléments qui s’invitent malgré nous. La balle est dans notre camp. Les éléments ont une belle carte à jouer pour contrarier notre tranquillité. Comme toujours. L’écosystème a aussi des atouts pour nous embrouiller dans notre jeu de profiteurs somnolents. 

 

Nous pouvons faire du mal aux deux, à la nature et à nous. Fatalement, cela se retournera contre nous-même. Mais la prise de conscience ne cesse de croître. Il y a mille façons de planter des arbres de la paix. Chaque arbre sera planté sur Tao Fong Shan, par une seule personne et ce sera son arbre dont chacun va prendre soin symboliquement. Un parrainage bien utile et heureux pour les deux protagonistes.

 

C’est une doublement Bonne Nouvelle! pour la nature et pour les humains. Et le chrétien en ajoute la sienne, celle qui s’appuie sur ces deux précédentes, pour dire qu’il est heureux comme un arbre dont le feuillage sert d’abri et les fruits sont des remèdes. La belle nature au service d’une belle vie sous le regard bienveillant de Dieu, c’est possible!

 

Le printemps nous y invite, le printemps nous y prépare.

Image : ©Pond5