Pendant que vous êtes quelque part en train de festoyer en famille et entre amis, vous reposer au chaud ou au froid, une étape décisive de la vie chrétienne dans son édition catholique va se produire.

Il s’agit de l’ouverture de l’Année sainte qui aura lieu à Rome juste avant la messe de Noël présidée par le pape François.

Localement, dans les diocèses du monde entier, cette ouverture aura lieu par la suite à Hong Kong le dimanche 29 décembre. Si vous y êtes, vous pouvez vous y rendre, rien que par curiosité, pour vivre quelque chose de bien original. D’abord une procession depuis la chapelle des sœurs cannociennes sur Caine road jusqu’à la cathédrale, puis la messe à 17h avec d’autres gestes marquants l’ouverture de l’Année sainte. 

 

C’est déjà la seconde fois que le pape François propose cette formule. 

En 2016 lors de l’Année sainte extraordinaire sur la miséricorde, pour la première fois le pape a proposé de vivre cet événement religieux localement, Année sainte qu’il avait lui-même ouverte étant en voyage apostolique en Afrique centrale.

 

J’ai vécu l’ouverture à Hong Kong et puis quelques semaines plus tard en Papouasie Nouvelle Guinée aux accents bien exotiques aussi.

 

Venir à Rome c’est bien, mais on peut le vivre chez soi. Si vous ne pouvez pas venir à Rome, Rome vient chez vous. C’est la stratégie pastorale que le pape François développe en allant aux périphéries. Dans tous les diocèses sont proposés plusieurs endroits : églises, chapelles, sanctuaires. On peut s’imaginer que dans le futur proche, les rencontres virtuelles pourront aussi avoir lieu, c’est le souhait qui émane de la nouvelle génération des catholiques. Réfléchir avant d’agir et agir pour comprendre les effets à évaluer…

 

Traditionnellement l’année sainte est officiellement ouverte par le pape.

Cette fois-ci l’ouverture aura lieu le 24 décembre, juste avant la messe de Noël présidée par le pape aussi. Le rite de l’ouverture de la porte de l’Année sainte consiste à frapper avec la crosse du pape la porte qui est ouverte uniquement pour cette occasion, puis passer par cette porte pour signifier une entrée dans un espace spirituel et mental, habité par les propositions visant la conversion et bénéficier des grâces y étant attachées. Nos frères protestants ou d’autres sourient déjà à une telle description de l’efficacité de la grâce. Laissons cela pour le moment en l’état. 

 

Mais reprenons dès le début.

 

Le pape a fait une annonce officielle de l’ouverture de l’Année sainte le 9 mai dernier, jeudi de l’Ascension, à la basilique Saint-Pierre du Vatican. Il l’a faite lors d’une homélie prononcée au cours de secondes vêpres avec la remise de la bulle d’indiction du Jubilé 2025. Des passages de la bulle d’indiction ont été lus pour communiquer la tonalité de l’événement. L’homélie et la bulle mettaient l’accent sur “l’espérance dans un monde plein de désespoir, d’individualisme, d’injustice, et déchiré par les guerres faisant énormément de victimes.”

 

Bulle et indication demandent une petite explication avant d’aller plus loin dans le contenu. 

Bulle vient du latin bulla, objet rond, ici signifiant le sceau du pape. “À partir du XIIIe siècle, le terme bulle a été utilisé pour désigner les documents portant un sceau de plomb, afin de les différencier de la brève apostolique, le mode de communication papale le moins formel, qui était authentifiée par un moule de cire représentant un anneau de pêcheur, de ceux qui ne portaient aucun sceau, tels que les motu proprio, les suppliques et les chirographes. Depuis la fin du XVIIIe siècle, le sceau de plomb a été remplacé par un cachet à l’encre rouge représentant les saints Pierre et Paul, le nom du Pape régnant entourant l’image, bien que des lettres très formelles, telles que la bulle de Jean XXIII convoquant le concile Vatican II, portent encore le sceau de plomb.”

 

Comme tous les documents signés ou approuvés par le pape, la bulle d’indiction de l’Année sainte est un document historique. Chaque document signé par le pape (y compris ceux des conciles) est identifié par les premiers mots du texte. Ainsi Incarnationis mysterium (Le mystère de l’Incarnation) pour Jean-Paul II en l’An 2000, Misericordiae vultus (Le visage de la Miséricorde), pour François en 2016 lors du Jubilé extraordinaire de la Miséricorde. Ici donc : Spes non Confundit. L’Espérance ne Déçoit pas, une citation de saint Paul (Rm 5,5).

 

L’indiction a une histoire tout aussi riche que la bulle. Indiction (1526) d’abord écrit indictiuns (1119) emprunté au bas latin, signifiant avis, notification concernant surtout les impôts, ou encore la planification du budget sur 15 ans dans l’Empire Romain. C’est cette seconde signification qui a fait que, dans le langage ecclésiastique, l’indiction annonce un événement comme synode, concile etc… et donc une Année sainte. 

 

La tradition de l’Année sainte est d’inspiration biblique dont l’application n’est pas certaine, mais l’idée est bien attestée dans le Lévitique, puis développée dans d’autres livres sacrés, dont nous allons faire amplement référence. L’idée de l’Année sainte dans la Bible est d’abord développée autour de l’année sabbatique, donc revenant tous les sept ans, en référence au septième jour de repos (25, 2-7). Sans travail de la terre, on se contentera de ce que la terre produit par elle-même, sans l’intervention de l’homme qui va se contenter de ramasser et se nourrir, et nourrir les animaux. Un retour de l’homme à la condition de cueilleur, pas celle d’agriculteur ainsi momentanément suspendue. Mais quid du chasseur ? 

 

La Bible contient la réponse à une autre objection, celle portant sur la nourriture lors de l’année sabbatique :

“Vous allez peut-être dire : Que mangerons-nous la septième année ? […] Eh bien ! j’ordonnerai à ma bénédiction d’aller sur vous en la sixième année et elle produira de la récolte nécessaire pour trois ans. La huitième année, vous sèmerez, mais vous mangerez de l’ancienne récolte.” (Lv 25,20-22). 

 

Il fallait avoir une foi bien accrochée pour s’y tenir. C’est de cette façon-là que la Bible exprime la confiance du peuple en Dieu, en toutes circonstances. La confiance et la capacité à ne pas vouloir tout commercialiser. A cause de la gratuité de la vie qui se profile à l’horizon de ce raisonnement, le texte porte une idée selon laquelle mettre la vie, y compris matérielle, entre les mains du Seigneur, c’est reconnaître que la vie du peuple dépend entièrement de Dieu. Et que cette dépendance constitue une heureuse nourriture pour le peuple.

 

La référence à l’Année sainte au sens chrétien se trouve dans la partie suivante consacrée au Jubilé : 7 fois sept ans donnant 49, tous les 50 ans un jubilé marqué par le Grand Pardon sera proclamé au son du cor ; “Vous déclarerez sainte la cinquantième année et vous proclamerez dans le pays la libération pour tous les habitants, ce sera pour vous un jubilé, chacun de vous retournera dans sa propriété et chacun de vous retournera dans son clan” (Lévitique 25, 9-10). Et pour ceux qui font du commerce, qu’au moins durant cette année personne n’exploite un acheteur ou un vendeur “que nul d’entre vous n’exploite son frère” (25,14).

 

Chez Isaïe nous trouvons le déploiement messianique de ce qu’est l’Année sainte. Elle se réalisera grâce au messie : “L’esprit du Seigneur est sur moi, le Seigneur, en effet, a fait de moi un messie, il m’a envoyé porter le joyeux message aux humiliés, poncer ceux qui ont le cœur brisé, proclamer aux captifs l’évasion, aux prisonniers l’éblouissement, proclamer l’année de la faveur du Seigneur…” (Isaïe 61,1-2a). 

 

C’est ce texte d’Isaïe que Jésus cite en début de sa mission publique dans la synagogue de Nazareth : “L’esprit du Seigneur est sur moi parce qu’il m’a conféré l’onction pour annoncer la bonne nouvelle aux pauvres. Il m’a envoyé proclamer aux captifs la libération et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer les opprimés en liberté, proclamer une année d’accueil par le Seigneur” (Luc 4,18-19) (traduction de la TOB). 

 

La tradition biblique célèbre surtout la joie du retour des exilés de Babylone. Dans son application réelle, la célébration du jubilé avec la mise en jachère des terres etc, demeure surtout théorique. Le christianisme va d’abord s’en saisir de façon générale pour transmettre le message sur la valeur salvifique du messie. Le Christ, par le don de sa vie offerte par amour, réalise ainsi cette annonce de libération, de justice et de pardon. Puis le christianisme occidental va se saisir de cette tradition biblique pour proclamer le Jubilé de l’Année sainte. Il va le faire aux pieds de la lettre pour l’appliquer à la vie des chrétiens. 

 

Dans ce sens, la tradition chrétienne a démarré en 1300 sous Boniface VIII, une période bien chargée historiquement, pour la France y compris, par la querelle du pape avec Philippe le Bel et la chute des Templiers. L’Année sainte est proclamée pas seulement tous les 50 ans, mais tous les vingt-cinq ans. Si on y inclut des années saintes extraordinaires, lancées au XXè siècles (1933 et 1983 pour célébrer la mort et la résurrection de Jésus et en 2016 sur la miséricorde), chaque catholique a normalement la possibilité d’en vivre au moins une, sinon davantage. C’est donc au bout d’un long processus que nous arrivons à cette manière de célébrer l’Année sainte. Tous les 25 ans semblent un bon compromis entre les années sabbatiques tous les 7 ans, jugée, même dans sa résonance purement spirituelle, très fréquentes et les années jubilaires tous les 50 ans, jugées trop espacées dans le temps. 

 

Seuls des extraits saillants de la bulle seront lus par le régent de la préfecture de la Maison pontificale, Mgr Leonardo Sapienza. Ils doivent préciser les dates de l’année jubilaire et les modalités de son déroulement Urbi et Orbi, à Rome et dans le monde. Le calendrier officiel prévoit 35 jubilés différents en 2025, des jeunes aux prisonniers, en passant par le monde du sport et des entrepreneurs. Trente-deux millions de pèlerins sont attendus dans la Ville éternelle.” 

 

La ville de Rome s’y prépare aussi, en lançant de grands chantiers qui semblent respecter les délais. Car l’Année sainte n’attend pas, elle va se dérouler comme prévu. En préparation du Jubilé à venir avec l’Année de la prière, qui en quelque sort s’y superpose, l’évêque de Rome a invité les fidèles catholiques en cette solennité de l’Ascension à « élever nos cœurs vers le Christ, pour devenir des chanteurs d’espérance dans un monde marqué par trop de désespoir ».

 

Tout le monde a besoin de l’espérance : “Avec nos gestes, avec nos paroles, avec la patience de semer un peu de beauté et de bonté partout où nous sommes, nous voulons chanter l’espérance, pour que sa mélodie fasse vibrer les cordes de l’humanité. ”

De craintes et de peurs sont omniprésentes, “alors que les injustices se poursuivent avec arrogance, que les pauvres sont rejetés, que les guerres sèment la mort, que les derniers restent encore à la traîne et que le rêve d’un monde fraternel risque d’apparaître comme un mirage. Les jeunes souvent désorientés mais désireux de vivre pleinement ont aussi besoin d’espérance, ainsi que les personnes âgées que la culture de l’efficacité et du rejet ne sait plus respecter et écouter. François a également eu une pensée pour les malades et tous ceux qui sont blessés dans leur corps et dans leur esprit, « qui peuvent être soulagés par notre proximité et notre attention ».

 

L’Église a aussi besoin de l’espérance.

François a invité à «ne jamais oublier qu’elle est l’Épouse du Christ », aimée d’un « amour éternel et fidèle », appelée à « garder la lumière de l’Évangile », envoyée pour « transmettre à tous le feu que Jésus a apporté» et allumé dans le monde une fois pour toutes. « Chacun de nous a besoin d’espérance », a insisté François.

Pour résumer.  

L’année jubilaire telle que nous la connaissons dans l’Église catholique s’enracine dans la tradition biblique qui met en avant la joie de la libération de toute sorte d’esclavage. 

Cette joie concerne aussi la terre et toute la création. A chaque fois, des bénédictions et des grâces particulières sont attendues pour exprimer et englober cette injonction biblique. Dans la perspective chrétienne, aux remises des dettes matérielles et la libération des prisonniers, esclaves, s’ajoute la remise spirituelle en termes d’indulgences. Celles-ci, avec ses limites théologiques (remise des peines attendues dans l’au-delà, comment les mesurer alors?) et pastorales (en faire une affaire commerciale comme une autre), sont accordées sous certaines conditions : confession, communion sacramentelle, aumônes ou autres œuvres, et le pèlerinage de Rome avec la visite de quatre basiliques majeurs. Cette dernière condition est “allégée” par le pape François, en ouvrant la possibilité de se rendre dans les endroits prévus pour vivre ce passage par une autre dimension que le passage par la Porte de l’Année sainte signifie. 

 

Pèlerins d’espérance, nous pouvons l’être partout !