On peut guérir du départ, mais l’on ne peut pas guérir de l’absence. Par ce constat se terminait le podcast de la semaine précédente. Tout en restant dans la méditation sur les conditions de vie en expatriés, regardons aujourd’hui de plus près comment l’absence causée par le départ des enfants est vécue des deux côtés. Que veut dire que de quitter le foyer familial en situation d’expatriation.

 

L’effilochement des liens occasionné par l’expatriation ne se laisse pas facilement rembobiner. 

Il faut définitivement faire le deuil de certains aspects de la vie. Admirée surtout, jalousée comme conséquence de l’admiration, et même ignorée par les proches et observateurs non-alignés, la vie d’expatriés est un long fleuve tranquille, surtout pour ceux qui n’y sont pas. Vue depuis Hong Kong, cette réserve peut paraître démesurée et, pour une part importante, elle l’est, les faits le prouvent. Quelle autre ville peut offrir tant de valeurs : climat, paysage, montagne, mer, îles, continent, facilité de transport, de création d’entreprise ; sécurité de vie en société, de l’argent facile, de se loger…, la, je m’emballe un peu. 

 

A Hong Kong, le monde semble ouvert, à condition d’y revenir, non pas pour s’y enfermer avant l’escapade suivante, mais pour digérer la nourriture prise ailleurs. Hong Kong, le monde en miniature, où les odeurs de cuisine du monde entier sont pour l’estomac ce que l’odeur de l’argent est pour le pouvoir. Pouvoir d’achat, jusqu’à l’achat d’amitié éphémère.

 

En Europe, la moyenne d’âge du départ des enfants est de 23-24 ans, et parfois plus.

Cela semble tard, en comparaison avec Hong Kong, même si des Tanguy à la hongkongaise existent aussi, surtout dans la société locale, car précisément le logement pose problème. Un peu moins aux expatriés, même si pour certains c’est aussi un trou dans le budget qui est difficilement bouché.

 

En général, les études coûtent cher, suivant les moyens, parfois même très cher, mais pas autant que dans certains coins du monde (USA, UK par exemple) où on atteint le summum. La plupart du temps, les enfants partent pour étudier ailleurs, et certains précisément là-bas. Le bac en poche, pratiquement le seul permis de conduire sa vie en grand, smarts et responsables (comme ils l’entendent), ils partent, même dès l’âge de 14 ans, pour intégrer alors une bonne école (catholique !), en France ou en Grand Bretagne avec internat. 

 

Les parents veillent, la distance géographique impose ses lois sur la diminution du contrôle effectif sur l’état de vie et surtout sur l’état des études de leur enfant. Pour le reste, il est suffisamment grand pour se débrouiller tout seul. D’ailleurs, pour la plupart du temps, on lâche dans certains domaines dès la sixième, si cela n’est déjà pas fait avant. On ne peut pas tout imposer, ni suivre partout de près. Après tout, Dieu a aussi créé le monde en s’en retirant. Chacun son périmètre de vie et de ses responsabilités.

 

Les parents, heureux d’avoir conduit leurs enfants, en leur évitant la plupart des affres que la vie impitoyablement “offre” à tout vivant. Adolescents, physiquement, encore présents à la maison (l’autonomie financière laisse encore à désirer quand on est au collège ou au lycée). Mais de moins en moins présents dans les temps “perdus” pour, à la place, se confronter à la vie du dehors et se frotter aux nouveautés que l’on découvre avec avidité, même si on le fait tout tremblant. Les parents sont là, ou ils n’y sont pas, sont capables de détecter les vibrations du corps et de l’esprit de leurs enfants, ou ratent l’opportunité de le faire, surtout lorsqu’ils n’ont rien vu venir, alors que c’est grave docteur !? Chacun le fait à la bonne franquette. La terrible pression sociale conduit certains au bord du précipice. Jette-toi en bas ! disait le malin à Jésus tenté au désert, les anges vont te porter. Oui, mais pas sur ta commande, lui répond-il, donc pas de la façon que l’on espère. Les anges qui s’occupent de la vie physique sont bien incarnés ; ils s’appellent papa, maman, et leurs auxiliaires. 

 

Les parents vont donc d’abord lâcher dans les domaines les plus éloignés de la réussite scolaire.

Certaines activités para scolaires cessent, et en ce qui concerne l’éducation religieuse qui trinque en premier et de façon la plus massive, parmi eux le choix d’aller ou de ne pas aller à l’aumônerie, à la messe (au mieux, c’est comme tu veux, et l’on sait très bien ce qu’il veut), pour ne rester qu’avec le plus trivial sur l’orbite humaine, et parfois même spirituelle. Pas trop présent là-bas, c’est normal, il faut qu’il travaille, si pour sa vie spirituelle il fait le minimum, cela suffit, il a même besoin de s’en éloigner pour peut-être revenir un jour, mais cela le regarde. Comme nous les adultes, d’ailleurs.

Dans le meilleur des cas, on prévoit pour l’enfant un plan de progression sociale en lien avec la communauté chrétienne. Cette année la première communion, service de l’autel, l’année prochaine il sera scout pour qu’il puisse se débrouiller au contact avec la nature et en groupe en dehors de l’école. Aussi qu’il puisse lire en public dans l’église et puis il y aura la profession de foi et la confirmation avec les blancs pleins d’absence entre les étapes marquées par les fêtes. Pour les adultes aussi. Comme dans la chanson de Fernandel Félicie aussi. Les plus vaillants parmi les parents vont même se préoccuper des vacances pour mettre leur protégé dans les camps scouts, ou dans une communauté religieuse à laquelle l’on fait confiance.

 

Oui, c’est une méthode éducative menée par la société ambiante, qui se déroule, qui interagit à l’intérieur du périmètre de l’ouverture et de l’accueil que l’Église propose. Sous prétexte qu’une communauté religieuse se doit d’être accueillante (beh oui ! toujours et sans condition, du moins pour ce qui est de l’accueil lui-même), on en abuse parfois de façon, certes inconsciente et maladroite, qui pourrait sembler être effrontée, mais qui n’est qu’une recherche d’efficacité en toutes choses aux moindres frais possibles. Là aussi.

Le minimalisme n’est pas mauvais en soi, les aphorismes le prouvent. Cependant le plafonnement culturel de la dimension religieuse devient gênant pour la communion universelle du christianisme. Mais vu depuis l’expérience personnelle, on n’aboutit pas aux mêmes conclusions que lorsque l’on regarde d’un peu plus loin, sans que pour autant cela (dans le second cas) soit automatiquement plus en profondeur.

 

A peine entré dans la communauté, l’enfant, tout comme ses parents, est déjà à la sortie.

Une absence qui n’est constatée que de l’intérieur de la communauté, et ceci seulement par les esprits missionnaires qui la composent et qui savent compter bien au-delà des places vides dans une assemblée. Souvent, les parents, étant élevés dans une approche approfondie de la religion, à leur tour, se contentent d’offrir le strict minimum. Ce qui est déjà beaucoup, en comparaison avec ce que bien d’autres sont et font. Ceux qui, en majorité, s’en désintéressent depuis une, voire plusieurs générations. Si Dieu propose, l’homme en dispose. 

 

Ce détour par la case communauté chrétienne a pour but de montrer que les départs physiques s’accompagnent d’éloignement mental qui dans certains cas aboutissent à la séparation consommée, que ce soit à l’intérieur de la famille ou en dehors, tout au moins dans certains domaines bien spécifiques, comme celui-là, religieux, bien d’autres, les fractures politiques en sont à cet égard à signaler et à regarder de près, la cohésion sociale est en jeu. On ne le comprend plus, il a des goûts bizarres (c’est quoi la norme ?), et pourtant on l’a élevé comme les autres. Accueillir l’inattendue diversité, c’est faire preuve de l’acceptation d’un départ et d’un éloignement consentis et assumés dans le périmètre bien plus large que ce que l’on pouvait s’imaginer au départ de l’aventure parentale.

 

Puisque tu pars, donc vas-y ! Partout où tu dois aller. C’est ton départ qui désormais remplit notre présence auprès de toi.

Douloureux sont tous les départs lorsqu’ils ne sont pas consentis, effectués sous contrainte, dont l’amertume est gardée au fond du cœur. Aigre doux ne s’applique pas qu’à la cuisine. Présents et absents semblent se contredire, mais ne peuvent pas se séparer. Ils peuvent jouer à cache-cache, mais ne peuvent pas finir les jeux tant qu’ils ne se sont pas touchés et ainsi ramenés à la réalité. Être comme si l’on n’y était pas. Puis chacun ses problèmes, les grands-parents vieillissants, les parents eux même parfois aussi se rendent de plus en plus dépendants, les enfants qui partent rendent de plus de plus de monde en situation de dépendance à leur égard ; la réussite professionnelle passe par là, un nonchalant carpe diem en résulte. Pour un temps.

 

Quel métier difficile que celui d’être parents.

Faire face aux différents détails de la vie quotidienne : nourriture, hygiène, sommeil, pour les plus petits, les petits bobos pour tous, les envies à canaliser et les chagrins à consoler, les points de sutures à poser, parfois à cœur ouvert, comme le crâne peut l’être. Et en plus, il faut du doigté pour faire comprendre à la marmaille que maman est fatiguée, que papa travaille beaucoup (comme la mère d’ailleurs) et rentre tard, même plus tard que la mère. Sans doute trop tard, mais c’est pour leur bien. Le bien que l’enfant ne voit pas. Ce qui l’intéresse, c’est d’être et d’avoir ce dont il a envie. S’il ne peut pas être, il va vite compenser par les avoirs qui se mettront en tête à avoirs. On ne peut pas tout avoir, puis on fait dans l’ordre, d’abord avoir, puis être. En soi rien de mauvais. Le savant mélange des deux met l’expatriation à des rudes épreuves. Épreuves de temps, d’économie, de consommation, d’envies, tout ou presque à outrance. Et puis, la nostalgie d’autrefois, la nostalgie d’ailleurs qui reste bien ancrée avec sa grille de lecture, enrichie par ce que les autres ont et que l’on n’a pas. Pas encore ! L’ambition se confond souvent avec l’arrivisme à tout prix, même en cravachant, pourvu que l’objectif soit atteint.

 

L’enfant part, on réaménage le temps et l’espace, et quand il revient, il n’y a plus sa chambre, il occupe le canapé dans le salon, vagabond plus ou moins heureux loin de la famille, vagabond aussi quand il revient pour repartir aussitôt. Le nid s’est rapetissé, il est devenu conforme aux dimensions des besoins et les moyens de parents. On ne peut pas à la fois payer les études à l’étranger et garder un grand appartement qui accueillait naguère parfois une famille nombreuse. Son départ est pour son bien. Mais parfois sans aucune ou si peu de préparation qu’un changement de situation implique. Et ses nerfs sont mis à rude épreuve, pas que les siens d’ailleurs. Tout le monde trinque. 

 

Savoir se débrouiller dans la vie quotidienne : cuisiner, ranger, gérer le compte bancaire et par-dessus-tout gérer le temps, ça ne s’acquiert pas du jour au lendemain. Plus de helper, plus de parents, plus de taxi, plus de femme de ménage, un peu d’argent en poche et surtout les souvenir des bonnes vacances passées à l’étranger, y compris en France chez les grands parents, que l’on se met à regretter et à en rêver parfois plus que d’être chez ses parents, au moins dans la vaste demeure familiale, ils avaient des chambres qui attendaient toujours d’être occupées, les occupants passagers y sont toujours les bienvenus. Car le vide est toujours prêt à être rempli, le besoin d’exister passe aussi par là. Et l’envie de vivre aussi. Ce serait semblable maintenant, lorsqu’ils retournent chez leurs parents ? Pas vraiment ! Pour certains c’est génial et pour d’autres moins. 

 

Déjà à leur sortie, les parents les accompagnaient dans leur installation dans le logement, un nouveau nid, celui de la progéniture. Quel pourcentage de familles catholiques, pour tapisser le nid d’un revêtement doux et agréable, pensent également aider à trouver une aumônerie d’étudiants ? Ce sont les bonnes occasions qui font de bons amis. Demander au prêtre de faire une lettre de recommandation pour entrer dans une prépa catho est parfois une obligation dont on va s’acquitter, et tant mieux ! Mais il y en a plus.

 

Quand on laisse partir l’enfant, on laisse couler entre les doigts le temps qui ne sera plus là.

Le plus grand regret est de ne pas pouvoir rattraper le temps, vite essuyer d’un revers de mains les yeux débordant des larmes de la joie, joie de le voir grandir par l’autonomie qu’il acquiert. Leur envie de se libérer du carcan familial est nourrie d’un sentiment d’être capable de conquérir le monde. Et souvent cela réussit. Et même si l’on part la fleur au fusil, l’inquiétude gagne et la peur parfois s’installe. 

 

Voir partir l’enfant qui n’est pas près, c’est le violenter. Lui faire apprendre à cuisiner, ou donner plus d’argent pour qu’il se paye de bons restos, un choix qui n’en est pas un, c’est comme apprendre à creuser un puits pour avoir de l’eau, ou payer la livraison d’eau. Le caractère mercantile de relation souvent obstrue l’horizon de la responsabilité qui appelle d’aller jusqu’au bout de la logique éducative. Heureusement, il y a pleins de parents, sous tous les soleils de choix de vie, qui ont le souci de vouloir dépasser une relation mercantile.

 

Tout cela, tout le monde le sait. Pourquoi un podcast sur des banalités pareilles. Est-ce uniquement parce que c’est une commande, et que pour l’honorer, il fallait reprendre des éléments bien connus. Mais, pour aller où ?

Pour consoler, pour alerter. Pour laisser partir, sans doute ! On laisse partir librement et sans contrainte, sans arrêt de mandat d’expulsion (18 ans passés, bye ! bye !), sans une lettre recommandée qui sans doute reviendrait à l’envoyeur (parent ou enfant). Sans aucune autre protection que celle que la fragilité d’amour fournit. Ni se débarrasser, ni s’en encombrer, surtout dans l’imaginaire, sans nécessairement passer aux mains pour se bagarrer et ou pour se donner une accolade. 

 

Je viens de me rendre compte que je suis en train de donner des conseils aux parents et un peu aux partants, alors que je n’ai pas ce privilège de savoir précisément ce qu’une telle situation engendre. L’avoir vécu adolescent qui partait et ayant la possibilité d’observer comment cela se passe dans les familles qui me permettent de les approcher, tout cela n’autorise pas d’avoir des paroles sûres, irrévocables. Revenons aux choses plus factuelles donc. 

 

Le syndrome du nid vide est bien connu.

Il remplit le cahier de charge que l’on s’est fixé. Le nid trop grand, est-il même utile à quelque chose ? Est-il nécessaire ? Comment font les oiseaux ? Restent-ils dans le nid après avoir expédié la progéniture vers le large ? Reviennent-ils pour la nuit de consolation, en faisant semblant de couver des œufs qui n’y sont plus, ou qui n’y sont pas encore ? Comment cela s’applique aux parents des homo sapiens ? Doivent-ils supprimer le vide du nid abandonné par les oisillons. La régularité avec laquelle la couvée d’oiseaux apparaît à chaque saison, sous forme de nouveaux frères et sœurs, mais aussi chaque année chacun un peu différent jusqu’à être transformé, est remplacée par la succession d’être parents puis grands-parents. Comme ça vient.

 

On navigue tout le temps entre l’attention que l’on croit la meilleure et l’opacité que l’inattention involontaire rend parfois préjudiciable. D’une certaine façon, laisser partir ne concerne surtout que ceux qui restent. Le vide ainsi créé est à aménager. Si l’on peut le faire en réduisant l’espace habitable, ou en s’occupant pour meubler le temps ainsi rendu vacant. Mais l’aménagement du vide concerne surtout la tête. Avec elle, l’on fait ce que l’on peut. 

 

L’aménagement du vide concerne aussi ceux qui partent, mais ce vide n’est pas visible et son aménagement se fait au loin, loin des yeux, près du cœur, on l’espère. Eux, ils auront à laisser partir leur parents et le reste de la famille avec la même vitesse et avec la même distance que ceux qui les laissent partir. Mais pas pour les mêmes raisons.

 

La séparation n’est jamais vécue de façon symétrique des deux côtés.

Pourquoi êtes-vous inquiets pour moi, ne saviez-vous pas, dit Jésus du haut de ces 12 ans, que je devais être aux affaires de mon Père. C’est un échange verbal qui se réalise, au mieux, par téléphone, souvent par trois mots sur Messagerie : Vous me manquez, ou C’est la dèche… Personne n’écrit plus de lettres, la télépathie que l’on active parfois suffit. Surtout lors de la séance de nostalgie sur la modulation de fréquences sur leur poste qui enregistre et émet les émotions, dont ils sont émetteurs et récepteurs. Suffit aussi un court message pour souhaiter l’anniversaire, gracieusement rappelé par Google qui sait presque tout… 

 

Puisque tu pars, 

surtout ne me quitte pas. 

 

Puisque l’on ne peut pas te retenir, 

on espère te voir revenir.

 

Puisque on retient les larmes, 

on les garde comme des armes.

 

Puisque le vide n’est jamais vide, 

il le vaut mieux en pleine santé, plutôt que livide.

 

Puisque la solitude ne fait pas le poids avec la trépidance,

il vaut mieux s’entraîner pour la dernière danse.

 

La solitude ne fait pas le poids avec la trépidance (j’assume totalement le néologisme, car trépidance est plus dynamique qu’une banale surtout médicale trépidation). Trépidance, au sens d’une agitation incessante, que surtout on donne à voir, mais qui ne peut tenir en cet état bien longtemps. Tout a une fin, même une trépidation intrépide et les tribulations qui l’accompagnent.