Depuis bien longtemps déjà que le 14 février est célébrée en grande pompe la saint Valentin. La fête des amoureux et de l’amitié.
Seulement en 1494, sous le pontificat d’Alexandre VI, saint Valentin devient le patron des amoureux (épileptiques). Tout cela se corse un peu et demande à être clarifié, démêlé. Quand on connaît la biographie de ce pape, tout comme celle de son successeur Jules II, on a de quoi se poser des questions sur l’institution de saint Valentin comme patron des amoureux. Une enquête plus approfondie s’avère nécessaire.
L’article de JOHN ROACH, initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise en 2019, mis à jour en février 2023, s’y penche avec sérieux.
La saint Valentin moderne serait l’héritier d’une tradition romaine, pour célébrer tous les 15 février la fertilité sous le nom de Lupercales.
« Les hommes se dévêtaient, sacrifiaient un mouton ou un chien, et se couvraient de la peau de l’animal sacrifié dans le but d’accroître, pensaient-ils, leur fertilité avant de rencontrer des jeunes filles »
Un aphrodisiaque, une sorte de viagra de l’époque.
Très populaires, les Lupercales ont survécu pendant 150 ans après l’officialisation sous Constantin, certes progressive, mais générale du christianisme comme religion dominante.
« C’est à la fin du 5e siècle que le pape Gélase Ier mit fin aux fameuses Lupercales. Peu après, l’Église catholique fit du 14 février un jour de fête, destiné à rendre hommage au martyr Saint Valentin. »
Puisque la nature a horreur du vide, il était tout à fait naturel de voir l’Eglise agir ainsi. Cette pratique s’inscrit dans une vieille tradition de remplacement des fêtes anciennes par des fêtes nouvelles. C’est une sorte d’inculturation qui agit par éviction de ce qui existait avant. La place étant désormais disponible, on peut l’occuper autrement. Avec des déplacements de populations c’est aussi ainsi.
Mille ans plus tard, le poète anglais Geoffrey Chaucer (1340-1400) fut la première personne à associer la Saint-Valentin au romantisme dans son livre-poème The Parliament of Fowls, en français : Le parlement des oiseaux. Cet auteur est le plus célèbre écrivain britannique du Moyen-Âge. Le poème est écrit en 1378 en Italie où Chaucer se rend pour la seconde fois en mission diplomatique pour le compte du roi Richard II. Il est peu probable qu’il ait rencontré en personne Pétrarque, Boccace ou encore Dante, mais leurs écrits l’inspire profondément.
L’association de la fête des amoureux avec la fête de la saint Valentin serait plutôt le fruit du hasard, « la Saint-Valentin correspondant au début de la saison des amours des oiseaux en Europe. De nouveaux poètes, dont Shakespeare, suivirent plus tard les traces de Chaucer et contribuèrent aux connotations romantiques de cette fête »
Donc apparemment ça n’a rien à voir avec les Borgia et leurs lustres. C’est déjà cela.
Mais poursuivons notre enquête.
Lupercales, puis saison des amours des oiseaux en Europe, tout se concentre autour du 14-15 février. Lesquels parmi plus de 30 Valentin et même parmi quelques Valentina est le nôtre ?
« Seuls deux Valentin semblent toutefois être de bons candidats au rôle de l’homme qui donna son nom à la fête de l’amour… mais aucun des deux ne traita de ce sujet de son vivant. »
Les deux étaient martyrisés au 3 siècle sous Claude le 14 février. Les historiens se posent la question de savoir si réellement il y en avait deux ou le même sous formes de deux traditions, tellement ils sont proches dans le temps, dans l’espace et par les circonstances. On peut aussi se poser la question de l’impact de la notoriété de Rudolph Valentino sur la fête.
Même si l’association du nom de la fête avec son contenu est le fruit du hasard, je propose de regarder de plus près le cas de ces deux “Valentin”. La fête de l’amour et de l’amitié aurait pu les concerner aussi, par le biais de la foi et de la fidélité qui en résulte. Sans oublier les miracles que l’amour et l’amitié peuvent engendrer.
Le premier Valentin est un prêtre, il refusa de renier sa foi et, en guise de punition, il fut mis sous résidence surveillée.
« Le chef de la maison qui le détenait le mit au défi de montrer la véritable puissance de son Dieu. Valentin rendit alors la vue à une jeune fille aveugle, ce qui poussa toute la maison à se convertir au christianisme. Une fois la nouvelle du miracle et de la conversion arrivée à l’oreille de l’empereur, Valentin fut immédiatement exécuté. »
La même chose est arrivée à l’autre, le nôtre, celui du début de ce podcast, également faiseur de miracles. Rien d’étonnant, les coups de pouce célestes accélèrent la christianisation, Valentin de Terni était capable de guérir les handicapés physiques.
« Un érudit (philosophe Craton-RK) le supplia de guérir son fils unique, qui ne pouvait ni parler, ni se tenir droit : après une nuit de prière, l’évêque parvint à guérir le garçon. La famille, ainsi que des érudits venus en visite, se convertirent alors au christianisme. Peu après, Valentin fut arrêté pour ses miracles et, après avoir refusé de se convertir à la religion païenne, il fut décapité. »
Saint Valentin était donc un martyr du III siècle, identifié dans Valentin de Terni, ou Valentin de Rome. Il était évêque que la vague de persécutions sous l’Empereur Claude II le Gothique a emporté en 273. Sa dépouille repose dans la Basilique de la Saint Valentin, à Terni.
Dans les deux cas, une récompense douteuse aux bienfaits prodigués, ce n’est pas étonnant vue les circonstances, mais c’est un autre sujet.
Si les catholiques célèbrent sa mémoire le 14 février, les orthodoxes le font le 6 août.
De la fin du Moyen-Âge et le début de la Renaissance, -comme déjà indiqué, à la faveur du poème de Chaucer, relayé par Shakespeare-, se développe la tradition de cadeaux échangés entre les amoureux. Mais aussi celle de mots doux écrits.
« La première carte de Saint-Valentin fut écrite en 1415 lorsque le duc d’Orléans, alors prisonnier à la tour de Londres, envoya une telle carte à sa femme. Aux États-Unis, il fallut attendre la guerre d’Indépendance pour que les cartes voient leur popularité s’envoler, les couples séparés par la guerre ayant pris l’habitude de s’envoyer des notes manuscrites. Ce n’est qu’au début du 20e siècle que les cartes de Saint-Valentin commencèrent à faire l’objet d’une production de masse. »
Au XIXe siècle, la tradition s’est renouvelée avec l’apparition des « valentines », que sont les cartes postales ornées de cœur que les jeunes gens utilisaient pour déclarer leur flamme.
Mais il y en a plus. Deux courants opposés vont s’affronter, sinon se succéder. La fête de la Saint Valentin donne lieu à une tradition, celle des « valentinages » que sont les danses paysannes où les couples se constituent par tirage au sort. Cette tradition, attestée par le poète Chaucer en 1381, a gagné ensuite la France. Une fois la fête terminée, on peut s’imaginer l’ambiance sous certaines chaumières pour clarifier certains débordements réels ou soupçonnés.
En 1401, le roi de France Charles VI le Fou donna un singulier prolongement à la fête de la Saint Valentin. Il choisit le jour de la Saint Valentin pour fonder une « cour d’amour ». C’est-à-dire un cercle poétique destiné à prolonger la tradition médiévale et aristocratique de l’amour courtois plutôt droite dans les bottes chrétiennes. Ce qui semble un peu contrebalancer la tradition attestée par Chaucer.
L’Église catholique a donc attendu 1496 pour faire de saint Valentin le patron des amoureux, tout en condamnant les « valentinages ». Comme le note un site bien intentionné : “Aujourd’hui, elle [l’Eglise] profite du succès populaire de la Saint Valentin pour des réunions festives et spirituelles destinées à réfléchir sur le sens de l’amour conjugal ! »
Comme si l’ambiguïté de la décision du pape Alexandre VI planait toujours sur la fête. Et celle de Charles VI le fou aussi. Il est vrai que dans l’Eglise de France tout au moins, des soirées entre les couples mariés religieusement sont organisées, occasio furam fecit, l’occasion fait le bon larron. Encore une fois, pas de mal à tout cela, une fête chasse l’autre, comme pour Halloween et la Toussaint, les jeux d’influence se déroulent sous nos yeux. Finalement ce sont les destinataires qui décident, même si vox populi vox dei est plus facilement accepté dans le cas de certaines décisions, c’est la voix du peuple qui prime.
La saint Valentin n’est pas célébrée partout, soit à cause de la contradiction avec la religion (Indonésie etc), soit à cause de ses origines occidentales (Inde etc).
Pour fêter l’amour et l’amitié, la tradition chinoise, quant à elle, n’a pas attendu pour être initiée par la fête de la Saint Valentin. Le terme Qixi (pies, on comprendra plus loin pourquoi !) désigne le septième jour du septième mois. Il est employé dans une chanson connue sous le nom de “Jour du double sept”. La fête de Qixi est basée sur la légende du bouvier et de la tisserande.
Voici la légende : un jeune bouvier nommé Niulang aperçoit sur son chemin sept sœurs, toutes des fées, qui se baignent dans un lac. Avec son compagnon, le bœuf, il s’empare des vêtements des baigneuses et attend, caché dans un buisson. Les sœurs fées sorties de l’eau, se rendent compte de ce qui est arrivé. Elles choisissent la plus jeune qui est aussi la plus belle, pour aller récupérer les vêtements. Niulang ne peut l’apercevoir que toute nue et elle, pour ménager sa décence, ne peut que l’épouser. Tous les deux s’avèrent de bons époux, sont heureux. On peut espérer qu’ils auront beaucoup d’enfants pour remplir la maison de leur bonheur ainsi partagé. La version de la légende que je connais ne le dit pas tout de suite.
On le sait, même si les couples s’y emploient, le bonheur de conte de fées n’est jamais bien durable, la vie de deux saints Valentin le prouve de façon bien particulière, à l’extrême. Pour nous rapprocher de nos préoccupations actuelles, c’est un peu comme l’écologie et tous les produits bios qui sont aussi périssables.
En effet, la déesse du ciel apprend que la fée est mariée à un mortel, elle devient folle de rage. A l’aide de son épingle à cheveux, elle trace une rivière entre les deux époux pour les séparer à jamais. Ainsi on explique la présence de la voie lactée qui passe entre deux étoiles Véga et Altaïr. La fée doit donc rester de son côté de la rivière. Elle est condamnée à son métier à tisser sans jamais voir personne.
Niulang peut la voir, mais de loin pendant qu’elle prend soin de leurs deux enfants. Enfin, ils en ont. Tous les quatre ont des noms d’étoiles ce qui les rattache symboliquement au « septième ciel ». Les pies, tristes de voir ce couple charmant être aussi malmené par le destin, venues du monde entier, se rassemblent alors chaque année pour former un pont dans la constellation du Cygne afin de permettre aux époux de se retrouver une nuit par an. Pour voir ce pont il faut se cacher dans la vigne, et s’il n’y a pas de vigne on ne voit rien.
Qixi, une belle histoire d’amour
Bien que la Chine n’ait pas attendu pour célébrer la fête des amoureux, en Occident le nom de la fête est donc dû au hasard du calendrier. Un autre hasard de calendrier a fait que cette année dans la CCFHK, un des temps forts de la préparation au mariage a lieu le 15 février. Ce n’est pas la veille que les garçons vont faire la demande en mariage, c’est déjà fait, mais ils n’oublieront pas d’offrir les roses rouges à leurs fiancées. On peut espérer que plutôt que de nuire, la fête de la saint Valentin va générer une meilleure participation à la journée essentiellement consacrée au dialogue en couple.
Le christianisme dans son ensemble, et le catholicisme en particulier, a pratiquement constamment négligé, pour des raisons prétendument religieuses, la valeur de l’amour sentiment, en lui préférant l’engagement dans la fidélité exclusive pour assumer les responsabilités parentales. Que l’on se rassure, l’engagement et la responsabilité dans la fidélité demeurent immuables dans l’Eglise, car ils sont basés sur l’engagement et la fidélité de Dieu à l’égard de sa création. Ce qui est nouveau, et ce depuis peu, c’est l’intégration de la dimension charnelle de l’amour conjugal dans la pensée théologique. Le premier qui en a parlé en ces termes fut le pape Jean-Paul II.
Au début de son pontificat, il a consacré 123 catéchèses à l’interprétation de la Genèse prononcées lors des audiences publiques du mercredi. Jean-Paul II y met en lumière la valeur de l’amour qui engage les corps, en faisant sortir la pensée chrétienne des limbes de la vision de sexualité considérée comme un mal nécessaire en vue de la procréation. Le dialogue des corps est fécond y compris sur le plan spirituel. Son successeur le pape Benoît XVI l’a confirmé dans son encyclique Deus caritas est, Dieu est amour, en reprenant les paroles de saint Jean, pour leur donner une valeur humaine, purement humaine et purement spirituelle, sans confusion ni séparation entre les deux.
« Dieu est amour : celui qui demeure dans l’amour demeure en Dieu, et Dieu en lui » (1 Jn 4, 16). Ces paroles de la Première Lettre de saint Jean expriment avec une particulière clarté ce qui fait le centre de la foi chrétienne : l’image chrétienne de Dieu, ainsi que l’image de l’homme et de son chemin, qui en découle.
Le centre de la foi chrétienne est là, dans cette capacité à aimer, à l’image de l’amour que Dieu a pour sa création. Selon l’expression de Jean Paul II dans sa première encyclique Redemptor Hominis, l’homme au sens de l’être humain, est la route de l’Eglise. En paraphrasant cette expression, on peut dire que le corps humain engagé dans l’amour véritable est la route de Dieu. Et dans cette aventure les deux sont en chemin, Dieu pour accompagner en témoin fidèle et l’homme et la femme pour se laisser accompagner sur la route d’une fidélité heureuse, épanouie.
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Pour terminer, comme il y a quelques semaines, je cherche ce qui s’est passé le 14 février dans l’histoire du monde.
14 février 1876, l’invention du téléphone par l’Américain Graham Bell qui dépose ce jour-là le brevet pour un système de transmission des voix par des moyens électriques. La voix comme agent de liaison, une première étape dans la dématérialisation de la rencontre et du dialogue à distance.
14 février 1779 James Cook meurt sous les coups des Hawaïens, une sorte de martyr de l’exploration de terres nouvelles, comme on peut le voir, des explorations sont toujours liées aux dangers de toute sorte. Pour preuve supplémentaire, le 14 février 1941 Rommel débarque à Tripoli et quatre ans plus tard le même jour Dresde est réduit en cendres. Finalement en 1945 Le pacte de Quincy est signé, je vous laisse chercher les détails.
Pas de lien direct avec la fête des amoureux et de l’amitié, pas plus que dans le cas de nos deux Valentin, mais c’est notre environnement. À nous les humains de savoir choisir. Nous qui avons souvent la capacité de transformer la fête de l’amitié (amoureuse ou pas) en cauchemar de destruction. La fête de la saint Valentin rappelle la raison de notre existence, aime comme Dieu t’aime et fais ce que tu veux, c’est à dire rien d’autre, car l’amour suffit. Faut-il encore bien comprendre la réalité complexe de l’amour et de l’amitié qui nous concerne tous. Et agir en conséquence.
Avec tout ceci, bonne fête aux couples qui partagent l’amour et l’amitié.