C’est Noël.
Dans l’histoire de la Crèche, l’année 2023 fait date. Il y a précisément 800 ans que saint François a fait la représentation d’une crèche vivante en 1223 à Greccio (Italie) mise en scène dans une grotte. L’objectif était très simple : rendre la Nativité plus parlante aux habitants de l’Ombrie. C’est donc traditionnellement à saint François que l’on attribue l’invention de la crèche vivante, ce qui n’est pas tout à fait exact.
Les premières représentations de la Nativité datent déjà du IV siècle, et à l’époque de Saint François, il y a déjà une habitude de mettre en scène la Nativité, d’abord à l’intérieur des églises, puis sur les parvis. C’est au moyen d’une théâtralisation qui s’empare des thèmes chrétiens (les mystères de la passion vont en faire partie) que l’on propose une catéchèse adaptée.
Les récits bibliques (Matthieu et Luc) fournissent des indications à partir desquelles les traditions de représentations de la Nativité vont se développer. Matthieu indique deux détails liés à la visite des mages : “Jésus étant naît à Bethléem de Judée, au temps du roi Hérode, voici que des mages…” (2,1) et “Entrant dans la maison, ils (les mages) virent l’Enfant avec Marie, sa mère… (2,11).”
Luc décrit la naissance de Jésus dans le contexte du recensement : “Elle accoucha de son fils premier-né, l’emmaillota et le déposa dans une mangeoire, parce qu’il n’y avait pas de place dans la salle d’hôtes.” (2,7). Le fait que le nouveau-né soit couché dans une mangeoire va être répété encore deux fois, comme si Luc voulait insister sur ce détail, lors de l’annonce du lieu par les anges aux bergers (2,11) et lors de leur constat (2,16).
Le mot « crèche », « cripia » en latin, désigne la mangeoire. Par extension, il désigne le lieu de la naissance de Jésus. Mais saint Luc veut surtout dire que Jésus n’est pas le roi puissant que l’on attendait pour restaurer la grandeur d’Israël ; il naît dans la pauvreté ! Une mangeoire est un lieu de nourriture pour les animaux. La pauvreté, de ce nouveau-né déposé là n’est pas seulement physique, à cause du dénuement dans lequel se sont trouvés les parents en déplacement et donc sans abris décent pour une femme qui était sur le point d’accoucher.
C’est aussi sur le plan symbolique une communion avec le monde animal en général, comme si le salut, que cet Enfant allait apporter, était aussi offert au monde animal dont, par Jésus, l’humain se rendit solidaire. Toute une catéchèse possible à déployer pour rejoindre les préoccupations modernes sur la place des humains sur la planète terre, au milieu des autres créatures et toute la création. Comment envisager une coexistence harmonieuse sous le regard de cet Enfant qui vient d’y être déposé, comme nourriture, comme un consommable spirituel sous forme de pain ou d’autre sorte d’aliment qui servira à le représenter, mieux à l’identifier.
A la tradition biblique de voir Jésus né dans une étable et déposé dans une mangeoire va s’agréger une autre, selon laquelle Jésus serait né dans une grotte. Les premières traces écrites de cette tradition datent du IIème siècle. Dès le IVème siècle, l’âne et le bœuf vont enrichir l’entourage du nouveau-né, en signifiant ainsi la proximité de l’incarnation du Fils de Dieu avec la création, servant à honorer Dieu dans ce petit d’homme. Comme quoi la pauvreté peut être source d’une énorme richesse, celle de la relation nouée, loin d’en faire une apologie de la pauvreté comme dénouement de ce qui est nécessaire, la grotte tout comme l’étable mettent en évidence cette richesse relationnelle.
La grotte est un abri le plus naturel qui soit qui servit à nos ancêtres d’abri et de demeure, un refuge et un foyer, la proximité avec la nature inanimée y étant ainsi signifiée. Ce petit d’homme y est déposé à sa naissance, il y est ainsi en communion avec l’univers matériel. La légende met en scène Marie qui accouche dans une grotte, deux jours plus tard, elle quitte la grotte, entre dans une étable et dépose l’Enfant dans une crèche.
Même si les évangiles ne parlent que de la mangeoire, la grotte comme lieu de la naissance est vite apparue dans la tradition chrétienne comme décor possible de l’accouchement. Dès le VIIIème siècle à cause de cette légende, les deux sont combinés par le fait possible qu’à flanc de collines des grottes pouvaient abriter des bergers et le bétail, ou aussi pouvaient habiter des familles entières avec les animaux. Et ces deux traditions fournissent des ingrédients de base pour toutes les représentations de la Nativité.
Il y a trois types de représentations de la Nativité : crèche statique, crèche mécanique et crèche vivante. Leur variété est presque infinie, à la hauteur de l’inventivité des créateurs. Et dans les temps modernes, il faudrait sans doute ajouter toutes les représentations en images projetées sur les façades de cathédrales ou encore en 3D holographiques.
Les crèches statiques et ou mécaniques apparaissent dans les églises, au XVIe siècle. Ce sont les ordres religieux qui encouragent leur installation. Les crèches familiales font leur apparition en France au XVIIIe siècle, dans les maisons bourgeoises. Quant aux crèches provençales, leur essor est dû… à la Révolution française !
Et la crèche fait rêver, on est tous ravis de la crèche, peu importe si nous ressemblons aux anges, aux bergers ou aux Mages, ou encore à Hérode. Ces derniers, “les Herodes” gênés par une telle congruence, se sentent dans l’obligation de devoir supprimer les crèches au plus vite, le rêve qui souvent devient réalité, quitte à produire des dispositions juridiques pour empêcher leur présence dans les espaces publics.
La bataille actuelle en France a atteint le paroxysme du ridicule, et la crèche exposée dans la cour de l’Institut catholique de Paris, dont mes anciens collègues m’ont envoyé la photo, fait figure d’héroïsme presque burlesque contre les exactions d’un Don Quichotte parti en guerre contre les moulins à vent. A moins que l’on prenne au sérieux le désir de vouloir éradiquer toute trace de la religion chrétienne dans le paysage culturel à la française. Alors sera lourde de conséquences la naïveté de vouloir réussir cela, une fois pour toutes.
Et ce qui porte aujourd’hui sur l’interdit des crèches et autres sapins de Noël dans les places publiques, sera un jour, comme c’est déjà le cas dans certains pays, interdit aussi dans les maisons (où elles se sont déjà réfugiées dans les temps révolutionnaires) en cherchant à extirper leurs traces des mémoires et de l’imaginaire. Le sapin de Noël, bien moins chrétien à la base, est aussi menacé d’un sort similaire. Peut-être que seule la popularité commerciale pourrait en enrayer le déclin.
En attendant, c’est à la faveur d’une dynamique commerciale de circonstances, mais pas de cœur sans parler de la foi, qu’est encore réalisé le concours des crèches dans bien des endroits, alors que dans d’autres, ceci est remplacé par des concours de la dénégation pure et simple. Ce n’est pas seulement la liberté d’expression qui est en jeu, c’est surtout la possibilité d’accéder à la richesse culturelle, tout au moins dans la civilisation occidentale qui est née avec, dont sera coupée pas seulement l’immense masse des indifférents ou hostiles, mais aussi ceux qui y attachent de l’importance pour se sentir chez eux, y compris dans l’espace public. Dans ces années sombres pour les chrétiens, l’Empire romain adoptait des attitudes similaires en faisant brûler publiquement des livres sacrés, etc.
Si l’imaginaire développé autour de la crèche est d’une importance pour l’éducation, c’est parce qu’il fournit des éléments de stabilité dans une histoire personnelle, en trouvant des racines dans le monde où l’innovation a le vent en poupe, un contre balancier sous forme d’un tel enracinement ne peut qu’être bénéfique. C’est à l’image de l’émission culturelle Les racines et Les ailes ; on sait que si l’on coupe les racines, on coupe aussi les ailes. Cependant, quelques idéologues, qui n’ont toujours pas compris les enjeux, donnent le ton à l’expression de la vie sociale en faveur d’une interdiction la plus totale possible des symboles chrétiens dans l’espace public.
A la limite, peu importe la référence à la foi chrétienne et son expression religieuse, il s’agit d’une conscience collective qui ainsi nourrie suffirait pour traverser des zones troubles de l’évolution du monde actuel, y compris dans l’accueil des étrangers ramenant d’autres croyances pour enrichir cette conscience collective a la chrétienne. Puisque l’on n’arrive pas à la supprimer purement et simplement, laïciser la fête de Noël par le recours aux symboles consensuels, surtout à caractère commercial, n’est qu’une mascarade sous les charmes desquelles tombent, y compris les chrétiens catholiques aussi. Mais comment donner à boire à un âne qui n’a pas soif ? Et qui pour autant n’arrive pas à se nourrir, ni nourrir les autres proprement. Il n’a pas seulement soif, il est aussi aveugle.
Lors d’un de mes premiers voyages en Italie, j’ai acheté une crèche en miniature sous forme d’une coquille d’œuf que l’on ouvrait avec à l’intérieur tout ce qu’il fallait pour parler de la crèche. Trop petite pour qu’elle ne se perde pas dans un des déménagements ultérieurs, mais sa mémoire n’a pas disparu.
A la sortie de la messe du deuxième samedi de l’Avent, un enfant me pose la question au sujet de la crèche qui est installée dans le préau, d’ailleurs grande et belle, il y a de quoi nourrir l’imaginaire des enfants et raviver les sensations des adultes : pourquoi dans la crèche il y a déjà le petit Jésus ? On se souvient de la tradition d’amener lors de la veillée de Noël le petit Jésus en procession dans la crèche disposée devant l’autel ou ailleurs. C’est peut-être parce que c’est une école qui sera fermée pour les vacances durant une bonne partie du temps de Noël, pour que les enfants en passant voient tout le décor pour mieux comprendre l’événement dans sa totalité. Pour cette raison, il y a aussi les rois mages, ils sont tous arrivés avant le temps, de façon prématurée, certes, mais parfois les circonstances exigent que l’on fasse une petite entorse aux règles qui font qu’avant l’heure ce n’est pas l’heure… Et pourtant, il est dommageable de ne pas faire attention à préserver le temps de l’Avent d’un “accouchement prématuré”, ce qui mettrait en péril l’enfant et la foi en lui, car pas bien préparé, lui à la vie, les croyants à leurs vies de foi.
La crèche statique s’anime parfois d’un ruisseau qui bruisse sur les cailloux, et comme dans la mécanique des petits trains, les personnages se déplacent… La crèche statique de l’église de mon enfance était animée seulement par la tête de l’ange qui bougeait chaque fois qu’on y mettait une petite pièce. Mais infiniment plus intéressante était la possibilité de chanter les chants de Noel et déclamer les prières sous forme de poèmes adressés à Jésus ou à son sujet. Je crois que ce furent mes premiers exploits artistiques devant un public composé des parents, familles et camarades, qui, en prime, proféraient des jugements sans appel à l’égard de tous ceux qui osaient s’exposer à une appréciation populaire, en gratifiant les malheureux compétiteurs de remarques d’a propos faite par les camarades pour amuser l’entourage par un rire étouffé, propagé en douce afin de faire rire les autres, surtout lorsque cela n’était pas drôle du tout.
La crèche, c’est comme la vie, ce n’est jamais comme prévu, rêvé, imaginé, planifié. Pas plus pour nous que cela n’était pour la sainte Famille. Sans de tels aléas de leur vie, nous aurions été nourris par un imaginaire bien ordinaire d’un enfant né dans une maison, comme c’était d’usage à l’époque, ou encore dans un palais, après tout c’est un roi qui aux dires des Mages était né.
Et si le roi nous envoyait un message, parlant de lui-même : regarde, l’Enfant est né et déposé dans une crèche, dans une mangeoire pour pétrir son corps et te donner non pas la recette pour savoir comment pétrir le tien, mais je te donne une part de son levain qui fait monter la pâte.
Et pendant ce temps Dieu se reposa, il y eut un matin et il eut un soir, septième jour, jour qui annonce le temps nouveau.
Mais que ça prend du temps, Seigneur ! Jusqu’à quand vas-tu te reposer pour faire lever la pâte de nos corps pour qu’ils deviennent du bon pain, une hostie pour communier avec Toi. Toi, tu le sais, moi je ne le sais pas, et pourtant je suis là, devant la crèche, devant toi. Fier et ravi.
Joyeuses fêtes ! Pardon, joyeuses fêtes de Noël ! Évidemment!