“Ils veulent assassiner les prêtres“.
C’est le titre d’un poste relatant l’incitation à l’acte, resté plusieurs jours sur tweeter cet automne, émanant d’un groupe politiquement engagé en Espagne.
Et en France quelques jours avant Noël, on apprend ces Lettres sur lesquelles était inscrit “Allah Akbar” envoyée à des curés, avec le commentaire d’un de prêtres visé : « Il y a des fidèles à qui ça fait peur ».
«Ce que la France a dilapidé de plus précieux, ce n’est pas sa croissance économique mais sa confiance démocratique» Libération 30 novembre 2020
Quel rapport existe-t-il entre les deux citations relatant le rapport aux prêtres, d’un côté et la démocratie de l’autre? Quel rapport entre la démocratie à l’occidentale, certes ! en déconfiture, et le traitement des prêtres que leur réservent les circonstances du temps présent?
La démocratie permet une coexistence de différentes composantes de la société d’un pays donné, coexistence plus ou moins pacifique, sans excès d’aucune sorte. Toute tentative visant la déstabilisation d’un tel système est un signal fort envoyé en direction de la transformation d’une démocratie en dictature. Cette dernière s’installant de façon durable comme un projet politique à mettre en place ou provisoire comme un passage par une zone trouble pour aboutir à autre chose…
Les périodes troubles, de plus aux dimensions quasi planétaires comme actuellement, sont propices aux excès en tous genres et deviennent le théâtre d’affrontements visant l’établissement d’un nouvel ordre mondial, régional, national. Ce n’est pas nouveau, ce qui est nouveau ce sont les canaux de communication et d’actions que les technologies modernes offrent pour y parvenir.
L’incitation au meurtre y côtoie alors les exemples édifiants de courage et de bonté qui souvent restent sans l’écho qu’ils méritent. Or, l’amplification de propos vulgaires et haineux, d’où qu’ils viennent et quoi qu’ils visent, pour le moment, est pour le meilleur de leurs instigateurs. Mais finalement le pire pour tous, car le vulgaire et le haineux ont plus de vigueur de pénétration dans les consciences que la voix douce d’un cœur en paix, alors que c’est la paix que tout le monde cherche naturellement in fine.
Leur éradication, tout au moins du champ public de communication, n’est pas seulement un enjeu de politique générale des gouvernements pour montrer qu’ils gouvernent. C’est avant tout la question de savoir quel type de société nous désirons pour nous et les générations futures. Car si la faiblesse démocratique à endiguer de tels comportements est évidente, ce qui est le moins c’est de savoir comment y remédier.
En attendant, la recomposition des rapports de force, et par conséquent celle des influences réellement exercées, passe par le règlement de comptes où les vieilles rancœurs deviennent un levier puissant dans les replacements de ce rapport de forces en vue d’un ordre nouveau. Les moyens modernes de communication en deviennent le levier puissant que tous les acteurs de la vie publique, les politiques, les religieux y compris, tentent à investir.
Et le malheur arrive lorsque les politiques et les religieux inversent leurs rôles. Les premiers gérant les affaires d’État comme s’il s’agissait des réalités éternelles, et les seconds comme s’ils avaient en charge les affaires temporelles.
Il est évident qu’une coexistence pacifique est toujours à envisager et une soumission pure et simple de l’un à l’autre n’est jamais une solution durable.
C’est sur le terrain de telles tensions qu’apparaissent ce que l’on appelle des populismes, qui ne sont que les caisses de résonance d’un mal être collectivement exprimé, car individuellement mal résorbé. La rébellion prend alors peu à peu forme d’une guérilla, muette d’abord, puis sourde vibrant de tweeters qui alertent et font peur.
Mais pour revêtir l’habit du guerrier, faut-il vraiment remonter à la source, à Adam et Ève ? Du point de vue spirituel sûrement, du point de vue d’action politique, c’est ni possible ni souhaité, car ce n’est pas son objectif. L’action politique, elle n’en a pas les moyens et vouloir s’y aventurer, c’est provoquer une confusion supplémentaire, ce que l’on observe par exemple en Pologne actuellement.
C’est dans les contextes de troubles que se manifeste la pertinence de la dynamique paramétrée doublement, par la démocratie et par la liberté religieuse. Cette dynamique est présente sur la ligne de crête entre ce qu’est la démocratie et ce qu’elle ne l’est plus, ou pas encore.
L’accompagnent de nombreux indicateurs, parmi lesquels le rapport à la religion et en particulier au prêtre. C’est un indicateur du rapport entre ce que la liberté religieuse y garantit et ce qu’elle ne garantit plus. La liberté religieuse n’est pas seulement un postulat de la part de la religion à l’égard du monde politique. Elle s’exerce d’abord à l’intérieur d’elle-même, ce qui peut prendre des formes diverses et variées. Une d’entre elles est celle de connaître sa situation en termes mesurables par les chiffres et par les paroles qui les accompagnent.
Dans le développement qui suit je me limite à la situation européenne, celle de la France en particulier.
La conférence des évêques de France, l’organisme officiel de l’Eglise catholique, vient de publier les résultats d’une enquête auprès des prêtres diocésains en France. C’est une première à ma connaissance, et il était temps qu’une telle étude soit menée pour satisfaire les attentes maintes fois exprimées d’une photographie du terrain pour répondre ensemble, en Église, à des nombreux défis internes à l’Eglise et dans le rapport à la société et sa mentalité ambiante.
Je n’entre pas dans une présentation détaillée des résultats de l’enquête avec les pourcentages, commentaires des sociologues, on peut les trouver facilement sur l’internet. Au-delà des chiffres avec lesquels on peut faire à peu prêt tout ce que l’on veut, (on n’a pas besoin d’être diplômé en sociologie pour le savoir), quelques caractéristiques sont à relever.
J’en énumère quatre:
-Les réponses sont fournies par à peu près la moitié de la population ciblée, avec une surreprésentation des jeunes.
-Surcharge de travail, problèmes de santé,
-Manque de considération de la part de la hiérarchie.
-Sentiment de l’isolement et faible degré d’autoréalisation.
1° Il est difficile d’en tirer des conclusions générales, mais on peut supposer que les réponses de l’autre moitié des prêtres, ceux qui n’ont pas participé à l’enquête, avec les variantes dues surtout à l’âge, n’auraient pas fait modifier les grandes lignes de ces constats. Ma connaissance du terrain français et ma propre expérience confirment ces grandes lignes, avec quelques précisions nécessaires.
2° Parlant de la surcharge du travail, la publication des résultats fait état de plus de 9 heures de travail par jour et une journée et demie par semaine de repos. Il faudrait voir comment on calcule le temps de travail journalier, mais les chiffres me semblent bien inférieurs à ce que je connais dans mon entourage en France. La même remarque porte sur le repos hebdomadaire, qui, lui, me semble supérieur à ce que je connais en France.
Peut-être dans ces deux paramètres, travail-repos, on y a intégré le temps d’un mois de vacances, peut être les chiffres reflètent un changement générationnel, difficile à croire, mais pas à exclure. Prier plus et surtout mieux pour travailler surtout mieux a toujours été la devise mise en avant dans la formation des futurs prêtres.
Le temps de prière, ne fait-il pas partie du temps de travail, car le prêtre y est aussi au travail, tout en étant ainsi aux œuvres de Dieu.
Indirectement, Jésus était interrogé par son entourage à ce sujet :
“Ils lui dirent alors : « Que devons-nous faire pour travailler aux œuvres de Dieu ? » Jésus leur répondit : « L’œuvre de Dieu, c’est que vous croyiez en celui qu’il a envoyé. » (Jn 6, 28-29).
Comment, si non dans la prière que s’affine la foi. Et c’est dans un tel travail que le prêtre se repose: “mon âme se repose en Dieu seul, en lui elle prend appui”. (Chant de Taizé inspiré du psaume ?)
Les problèmes de santé quant à eux, fondamentalement sont ceux de tout le monde, même si la variante liée aux maladies professionnelles est bien présente. Une certaine négligence dans l’hygiène de vie qui s’exprime entre autres par le manque d’une bonne alternance travail-repos, la place de la prière personnelle et collective, une bonne alimentation et une détente qui profite au corps et à l’esprit.
Les ingrédients sont bien connus, faut-il encore veiller à leur bonne application. Et l’environnement y est pour beaucoup.
Je me souviens de l’histoire qui est arrivée à un évêque en France. Après une journée harassante, comme souvent, il est rentré dans sa modeste demeure épiscopale (en France il y en a plus que l’on ne le pense), épuisé cherchant dans le frigo quelque chose à manger. Mais il n’y avait rien, la faute à l’approvisionnement, dont il était probablement le seul responsable.
Le lendemain on l’a trouvé à l’hôpital pour soigner l’état d’épuisement et de fatigue générale liée à la mauvaise hygiène de vie où le corps était exposé à des pressions trop fortes pour porter le poids du jour en réponse aux exigences de la volonté qui, elle venait d’un désir de bien faire et le faire bien.
3° Le manque de considération de la part de la hiérarchie peut s’expliquer de deux manières. Ne sont pas rares les frustrations liées aux déceptions, elles-mêmes générées, certes, par une surcharge de travail, et surtout par une gestion de l’hygiène de vie qui parfois laisse à désirer. Il peut y avoir aussi un manque de réglage subtil, mais indispensable, du rapport entre les ambitions professionnelles personnelles et l’obéissance à l’Esprit Saint, cette dernière s’exprimant, non sans discernement, aussi par l’obéissance aux décisions de l’évêque.
4° Autoréalisation est au cœur de tout être humain. Elle concerne aussi le prêtre. Jeune prêtre, j’ai été marqué par la découverte des attentes qui pouvaient habiter les uns et les autres, et je les ai confrontées avec les miennes. C’est à l’intérieur d’une telle dynamique humaine et spirituelle que s’opère un discernement, qui parfois prend beaucoup de temps, des années durant. Ce discernement qui vise à savoir quelle est la part de l’inspiration divine dans tout cela, dans de telles aspirations personnelles qui persistent et en quelque sorte accompagnent la réalisation de la vocation, quitte à la titiller de la sorte.
En d’autres termes, comment par exemple les propensions naturelles à voyager et découvrir des horizons nouveaux en termes de paysages naturels, humains et spirituels, peuvent être un lit pour l’engendrement d’une vocation missionnaire. Si dans le cas d’un jeune, la nature humaine le pousse à la contemplation ininterrompue, il se peut que la vocation monastique y naisse. Plus la vocation correspond aux prédispositions visibles existantes ou révélées à cette occasion, plus facile sera la réalisation de sa mission et par conséquent, moins il sera exposé au risque de frustrations.
Quant aux frustrations générées par les circonstances extérieures, parfois en mettant en danger la vie, elles tentent à se laisser résorber dans le témoignage de la foi qui en rend compte et cherche la paix.
Et pour conclure:
Si la haine peut parfois devenir un carburant puissant dans le moteur d’une idéologie, en aucun cas elle ne peut être présente dans une religion.
Si la démocratie sous une forme ou une autre est appliquée pour le bien du peuple dont elle prend soin, elle peut devenir un lieu naturel d’une religion qui elle œuvre aussi pour le bien non seulement céleste, mais aussi terrestre. La bonne mémoire appuyée sur une photographie réelle de la vie des prêtres peut aider à n’oublier ni l’un ni l’autre.
Bientôt Noël avec son message de paix.