Notre vie est tracée par ces trois lignes, habitudes, hobby, addictions, dont chacune indique un degré différent de dépendance.
Habitudes, hobby et addictions, trois degrés de dépendance dont les conséquences ne sont pas les mêmes. Même si les Hobby et les addictions sont aussi des habitudes, distinguer les habitudes des deux autres, permet de visualiser la progression dans l’emprise de répétitions et leur impact sur notre existence.
Les habitudes peuvent être bonnes ou mauvaises. Se lever toujours à la même heure et garder le rythme durant la journée ne peut qu’être bénéfique pour le corps et l’esprit. Pianoter sur le téléphone ou le PC jusqu’à tard dans la nuit, n’est pas une bonne habitude, peu à peu elle affaiblit la capacité à gérer les activités suivant leurs priorités. Les habitudes peuvent être plus prosaïques, celles qui touchent à la nécessité vitale de notre existence : dormir, manger, travailler, se reposer etc., dans une succession plus ou moins régulière, répétitive. Et à force d’avancer dans le temps, avec le risque de vivre par habitude.
La vie est dirigée, prise en charge, assumée par un sous-traitant à qui nous confions « l’ordinaire » de notre vie. Il s’appelle pilote automatique.
Ce sous-traitant est un auxiliaire de notre vie, un assistant avec qui nous avons signé un contrat. Le contrat est très simple, il nous engage à vie, sauf exceptions constituées des soubresauts de révolte de notre part contre sa manière de nous mener par le bout du nez. Nous lui offrons gîte et couvert en échange des services rendus. Notre survie en dépend. Certes, les besoins physiologiques s’expriment de façon automatique, notre volonté n’intervient pas dans le cours des choses, ou si peu. Endurer la faim, le manque de sommeil, se retenir d’une envie pressante ne peuvent qu’être passagers, et tôt ou tard ces besoins sont comblés à l’insu de notre volonté de les contenir, suspendre, effacer.
Il y a des habitudes d’ordre culturel, social, développées dans un milieu particulier. Dans une famille, on a l’habitude de regarder un film le dimanche soir, jouer aux cartes ou au scrabble etc. Alors que dans une autre famille, adulte ou enfant, chacun dans sa chambre ou dans son coin, fait ce qui lui plait. Les premiers vivent dans une tentative de cohésion familiale, cela développe en eux la sociabilité. Les seconds développent les potentialités individuelles qui leur procureront la satisfaction de se réaliser personnellement. Les uns comme les autres vont contribuer à leur façon à la vie sociale.
Ces habitudes transgénérationnelles, familiales ou pas, modèlent l’espace mental de créativité fondé sur les modèles qui inspirent et rassurent. J’ai pu observer cela dans ma propre famille en Pologne, dans mon enfance : ma mère ou ma grand-mère, avant d’entamer une miche de pain, traçait sur la partie plate un signe de croix. Or, plus tard, en Pologne, où même à l’époque plus récente, les baguettes n’existant pas (difficile d’y faire un signe de croix) alors que le pain acheté, en général à la campagne jusqu’à l’époque récente, n’était jamais vendu, déjà coupé (difficile d’y faire un signe de croix aussi), et pourtant pratiquement nulle part plus de signe de croix sur la miche de pain. Le processus de ‘déchristianisation’ s’est accéléré partout, pas seulement dans le passage de la campagne vers la ville. La bénédiction du pain, en signant une miche de pain d’une croix avant de l’entamer, a petit à petit perdu de l’intérêt, et ce, pour des raisons tant matérielles, que dû à la baisse de culture religieuse.
Pendant bien longtemps, on a décrit les habitudes dans le domaine religieux, spirituel, en dénonçant une approche mécanique, sans réfléchir sur le sens. De telles habitudes sont alors considérées comme nuisibles à la pureté de la démarche. Pureté identifiée dans une décision personnelle prise face à une situation particulière. C’est en partie vrai, dans la mesure où le libre arbitre est le garant d’une expression personnelle et assumée. Cependant, tout apprentissage est fondé sur la répétition (sport, langues étrangères, métier etc.), et si celles-ci sont perdues, difficile de revenir aux habitudes qui pouvaient être considérées saines. Par quoi alors remplace-t-on les habitudes qui disparaissent ?
Dans la vie chrétienne, comme pour toute progression désirée, la régularité de la prière, de la messe ou d’autres lieux de formation biblique est fondamentale. On désire une telle progression, parfois tout en étouffant sous les contraintes qui empêchent de transformer le désir en réalité. Et si la pression est trop forte, tout en suffoquant, comme on suffoque par manque d’air, on finit par obéir à la loi du plus fort, en consentant par une lassitude terne, qu’au début aucun instrument de mesure ne pouvait détecter.
Les habitudes évoluent d’un individu à l’autre, d’un âge à l’autre, etc. Les raisons sont sans doute multiples, par une influence extérieure et une appétence latente, parfois déjà bien éveillée et qui n’attend qu’à éclore. Dans certains milieux, il est de mise de partir au ski, ou faire de la planche à voile, habitudes que certains milieux ont l’envie et la capacité de faire plus facilement que d’autres.
Les habitudes changent aussi par le remplacement des centres d’intérêt qui varient avec l’âge, la conscience en évolution, les circonstances qui changent, comme des problèmes de santé, travail, stabilité de vie affective et familiale… L’habitude de prendre régulièrement les médicaments est de la responsabilité d’adulte, sauf s’il n’est plus en mesure de respecter de telles habitudes.
Les bonnes habitudes peuvent se transformer en hobby, alors que les mauvaises deviennent des addictions. Avant d’aller plus loin dans la description des différences, regardons de près le sens des mots dans leur évolution historique.
Habitude vient du latin habere, se tenir, posséder, avoir, d’où dérivent l’habit (celui qui fait ou ne fait pas le moine), et habitudo, manière d’être, ce qui a donné habitude. Le mot habitude est intégré dans le français à partir du XIV siècle pour désigner une relation, un rapport, puis évolue au XVs pour désigner une fréquentation ordinaire pour lui donner au XVIs, sous l’influence du verbe habituer, le sens moderne, celui de manière d’être, une disposition acquise par la répétition. Repetitio mater studiorum est est une manière d’inscrire le comportement acquis grâce à la répétition pour apprendre. Et le chemin inverse, celui de désapprendre, est tout aussi long sinon davantage, c’est le cas de la lutte contre les addictions. Mais ne devançons pas le cours des choses, puisque nous avons l’habitude de procéder de façon logique, dans la clarté de successions des énoncés, si non, nous sommes perdus en perdant l’enchaînement logique, tel un fil d’Ariane qui nous permet de passer par les méandres de la pensée qui est une sorte de labyrinthe. Le raisonnement dit logique est acquis par la répétition, par habitude, il n’est pas inné, car la première pensée est chaotique, elle se cherche. Pour communiquer, elle suit l’organisation par séparation et connexion pour obtenir l’enchaînement désiré d’idées, dont chacune est à sa place afin de, ensemble, favoriser la compréhension. C’est là, au passage, qu’il y a une différence entre s’exprimer (besoin de parler) et communiquer (faire comprendre un objectif). Là aussi on peut identifier de bonnes et de moins bonnes habitudes, chaque cerveau a ses propres circuits par lesquels passent les raisonnements.
Hobby a une histoire bien plus courte, car il est apparu en France au XIXs (1815-sans doute, sans aucun rapport avec Waterloo, ou à la limite plutôt avec le congrès de Vienne pour signifier le passe-temps de Napoléon sur sainte Hélène !?). Il est emprunté à l’anglais dans sa formule complète hobby-horse (hobby=petit cheval) et sous sa forme abrégée en 1930 pour signifier le cheval de bois pour les enfants. Comme la plupart d’entre nous, enfant, j’avais un cheval en bois (un aubin), mais à l’époque, l’enfant que j’étais, a totalement ignoré que c’était son premier hobby. A vrai dire, c’était mon premier hobby, en parallèle avec l’habitude d’écouter mon père, les histoires racontées par un narrateur très suggestif qu’il était, installé sur son genou, l’autre genou étant occupé par la concurrence, c’est-à-dire mon frère, voisinage généralement pas toujours de repos, mais là, l’un comme l’autre, nous étions sages comme une image.
Un Hobby ou passe-temps favori fait penser au jeu d’enfant, ce besoin créatif que l’adulte prolonge pour continuer à se réaliser en parallèle avec ce qu’il fait par nécessité.
Pour l’addiction, c’est encore une autre histoire. Le mot ne figure même pas dans mon dictionnaire historique offert par une “addicte” de la langue française. Donc le secours est dans Larousse.fr, qui parle de dépendance, d’intoxication et pour synonymes, d’aliénation, allégeance, asservissement, assujettissement, coupe, domination, inféodation, obédience, soumission, subordination ; et au sens littéraire de joug, servitude, sujétion. Ce sont ces trois derniers mots qui parlent le mieux de ce qu’est une addiction. Il m’a fallu recourir à Gaffiot pour avoir le sens originel, en latin addictus=esclave pour dette, d’où addiction=adjudication (par sentence du prêteur). Si en terme juridique, l’adjudication est une décision de la régulation des marchés publics, en choisissant l’entrepreneur ou le fournisseur le moins cher, les addictions généralement se payent au prix fort, parfois au prix de la vie.
Comment distinguer alors entre un hobby et une addiction. Hobby est un passe-temps qui nous fait du bien. Comme dans le cas d’un enfant qui aime se balancer sur un cheval en bois pour imiter la course (similaire au tapis roulant pour courir dans l’appartement ou dans une salle de gym). Comme pour les ados qui s’adonnent aux jeux électroniques ou autres. Comme les adultes qui vont au casino ou dans une boite de nuit, ou dans un bar pour boire un coup avec des amis…. Comme pour tous, bricoler, jardiner, observer les étoiles, collectionner papillons ou timbres, voitures, avions, les sous-marins, fusées spatiales…
Où est la ligne rouge qui sépare l’addiction du hobby ? Entre les deux, cela s’appelle une obsession.
Quand un hobby devient-il une obsession ?
C’est lorsque vous vous réveillez vers 3 heures du matin que vous pensez à votre hobby.
“Une nuit je me suis réveillé après avoir vu une partie d’échecs devant moi sur un échiquier imaginaire. C’était trop, j’ai abandonné les échecs tout de suite.” Trouvé sur Internet.
L’obsession n’est pas toujours une ligne que l’on voit nettement pour rester du bon côté. Pour la plupart, c’est un espace assez large, une sorte d’autoroute sur laquelle on roule de plus en plus vite, sans pouvoir maîtriser l’engin, et qui tôt ou tard finit dans le fossé ou pire.
Et là, ce que l’on ne savait pas, c’est que l’autoroute passait entre un ravin dans lequel on peut tomber et dégringoler à toute vitesse et à grand fracas pour les dommages collatéraux et parfois pire, et de l’autre côté une falaise, à première vue impossible à escalader. Donc une fois tombé, on survit, si l’on a la chance de se trouver dans un fossé qui par endroit longe l’autoroute, ce qui ainsi préserve de la dégringolade immédiate. Alors si l’on veut bien, on peut se laisser secourir par des âmes charitables. Mais elles ne vont pas nous remonter en hélico dans un hôpital, les bobos de la tête, du système central de commande de la vie étant touchés, ne se soignent pas comme les fractures liées à la violence physique. Le déplacement dans un autre espace ne résoudra pas le problème, car il est lié au centre de commande qui doit se régénérer de lui-même, avec l’assistance sur place et dans l’escalade par des professionnels de l’amour du prochain, (les techniciens purs s’abstenir, changez de métier).
Avant de venir à Hong Kong, habitant quasiment sur le lac d’Enghien, en bordure duquel se trouve le Casino, je pus voir les dégâts produits par l’addiction aux jeux. Plus d’un joueur est sorti au petit matin les poches vides pour rentrer à pied à Paris, pour ensuite travailler dur (parfois dans le show business, le métier depuis toujours) pour payer les dettes. Préparer un physionomiste au mariage aide à comprendre ce qui se joue dans ce type de situations.
Pour préparer ce podcast, j’ai regardé un documentaire sur l’histoire d’un jeune américain tombé dans la drogue (drogue dure, mais ça ne change pas grand-chose à l’histoire). Ce documentaire est très touchant car s’il s’en est pratiquement sorti, c’est parce que quelqu’un qui l’aimait a tout fait pour l’accompagner. Sa propre sœur a laissé son travail et l’a suivi dans ses errances, relèvements et chutes etc, au prix de combats titanesques. Je ne sais pas où il en est actuellement, mais sans doute sa sœur a tout au moins réussi à freiner ses déchéances en espérant lui offrir ce qu’elle avait de meilleur, sa confiance en lui et la lucidité qui doit aller avec.
Pour toutes sortes d’addictions, la lutte est très onéreuse en temps et en moyens.
La duplicité de la société en général n’aide pas, l’alcool étant socialement admis, détruit plus de vies que tout autre addiction, mais ce n’est pas une incitation à donner libre cours à d’autres addictions. Ce n’est pas l’autorisation dépénalisante (même réglementée), ou au contraire la peine de mort pratiquée dans certains pays qui vont régler le problème. Avoir le courage d’aller dans les profondeurs du dedans de soi ne s’improvise pas, et il y a plus de chance de tomber dans un trou noir que d’en être préservé. Pourtant tout le monde n’y tombe pas, heureusement. Même si pour beaucoup, la zone grise entre les bonnes et les mauvaises habitudes, identifiée comme obsessionnelle, n’est pas vecteur assurant le maintien d’une vie bonne (chacun y met ce que bon lui semble).
Toutes les dépendances ne sont pas mauvaises, mais toutes, absolument toutes appellent au discernement afin de passer régulièrement le contrôle de qualité et de pertinence. Si je découvre que la caféine est mauvaise pour ma santé, je diminue la consommation de café, ou je m’en abstiens totalement. Mais le contrôle de qualité (et de pertinence) est plus dur pour les gens qui n’ont pas une telle propension naturelle. Ils doivent faire encore plus d’efforts que d’autres pour essayer d’y voir clair.