Après avoir présenté dans les deux premiers podcasts ce même thème, d’abord sous un angle général, puis celui des maux qui rongent la fraternité universelle, voici le temps de nous pencher sur les remèdes.
Le pape n’est avare ni en description des maux, ni en propositions des solutions. L’enjeu est trop grand pour traiter le sujet de la fraternité universelle de façon anecdotique.
Certes on va lui reprocher à l’extérieur comme à l’intérieur de l’Église sa naïveté perceptible au travers d’un tel rêve et la manière dont il le présente. Le rêve que les pessimistes qualifient de totalement inaccessible et au sujet duquel des observateurs se considérant sans parti pris donc “neutres” s’amusent à constater des apories.
Les uns comme les autres se posent en ceux qui savent, leur jugement est souvent proféré comme étant irréfutable. Comme toujours, jusqu’à preuve du contraire accepté, accueilli, et assimilé.
Le document du pape contient des analyses et des propositions fondées sur la foi chrétienne et son espérance. Rappelons ici une règle herméneutique de base. Pour être bien analysé le texte doit être pris en compte dans sa nature telle que voulue par l’auteur. Ce qui suppose des outils adaptés.
Difficile de faire une analyse juste de ce texte, comme tout texte sans tenir compte de cela. Ce qui ne veut pas dire que tout ce qui est mis dans son contenu et sa formulation ne demandent pas des précisions supplémentaires. Et que chacun peut en faire ce qui lui chante… Mais un homme averti en vaut deux.
Bien sûr, la lampe que le pape allume devant nos yeux, dont le rôle est de nous aider à nous éclairer sur la Bonne Nouvelle, peut avoir à sa surface des aspérités qui échappent à sa rétine, mais pas à celle des lectures. Combien plus ceci est vrai au sujet de l’auteur de ces podcasts.
L’indulgence et la recherche de la vérité sont deux vecteurs principaux de la démarche chrétienne.
Le Christ n’a jamais incité à la violence ou à l’intolérance (n° 238). Fort de ce modèle, il n’y a qu’à chercher dans cette direction.
En découle la charité marquée de sa douceur à l’image des soins apportés par le bon samaritain qui achète des huiles et d’autres remèdes pour soigner cet homme blessé à la suite d’une embuscade tendue à un voyageur ainsi dépouillé et abandonné.
La charité peut s’exprimer de différentes façons, mais chaque fois, nouant une relation singulière, elle engendre des ondes de résonance dans l’ensemble de la société. Et cela attire l’attention particulière sur les effets d’une telle résonance sur l’organisation sociale. Ce qui est évidemment visé par le pape, parler pour faire agir. Il le fait par un biais plutôt inattendu.
Le pape insiste sur la charité en termes d’organisation sociale. L’exemple qu’il prend est simple dans sa consistance chrétienne, moins dans sa résonance sociale et politique en général.
La charité, il la voit dans l’hospitalité qui caractérise les chrétiens dès les origines. Certes, il s’agit d’abord de l’hospitalité exercée notamment à l’égard des pèlerins se rendant aux lieux saints. Mais celle-ci résulte de cette hospitalité dont a bénéficié par exemple saint Paul lors de ses multiples voyages missionnaires. Elle est devenue le lieu concret de la mise en place de la charité.
A cette occasion, constate le pape, s’exerce notre désir de chercher le bien des autres (no 11). Par extension on y voit référence à toutes sortes de secours apportés à toutes les victimes de divers fléaux qui frappent régulièrement, comme la pandémie actuelle. Nombreuses sont des organisations internationales souvent d’inspiration chrétienne qui attirent une telle attention à l’égard de ceux qui ont besoin d’être secourus.
Le deuxième lieu de l’exercice de la charité est celui de l’attention portée plutôt à caractère personnel mental. C’est celle qui vise à ne pas s’enfermer dans le cercle restreint d’amis. Toutes les inclusions par intérêt, sont autant d’exclusions de facto. Il est bon de le savoir à tous les niveaux de responsabilité dans la promotion, la création et le maintien de divers groupes par lesquels nous sommes concernés.
Tout en le sachant, il est important d’être capable de s’ouvrir aux autres, les accueillir, cheminer avec eux (no 97). Ce n’est pas un privilège momentané, dont on va user dans certaines circonstances. C’est encore une fois une nécessité impérieuse, un devoir, digne de la noblesse accordée à la création divine et sa dignité, qui en découle.
L’accueil de pèlerins montrait déjà cette capacité d’ouverture à l’amour universel qui met en lumière la promotion des personnes concrètes (n°107). Et on se souvient que dans l’antiquité grecque et romaine, pour faire vite, on considérait l’attention aux faibles et les laissés pour compte quel que soit le lien familial ou social, comme une faiblesse, un inutile gaspillage d’énergie, du temps et de moyens.
Et dans cette promotion de personnes concrètes, dans toutes les personnes rencontrées, est visé le bien moral. La fraternité universelle vise les personnes concrètes, et non pas les idées ou idéologies (115). Le bien moral concerne l’être, pas l’avoir.
Par ricochet, le pape se défend d’une telle réduction idéologique, une réduction qui fait passer en premier les idées que l’on se fait des autres et de leur utilité, il se défend d’un rapport à l’autre ainsi biaisé. Ce que nous avons signalé plus haut, y compris contre cette velléité d’analyser son texte uniquement sous l’angle d’idées. Cela serait s’en saisir de façon étriquée sans tenir compte de son approche croyante. Ce serait en abuser, comme dans une entreprise de biens mal acquis.
Bien au-delà des idées, y est visé un développement intégral de la personne humaine en vue de sa maturité. Ce développement, n’en déplaise à certains, est référencé sur l’anthropologie biblique, dont la compréhension est soumise à des enrichissements incessants, stimulés par l’appétence du moment et nourris des apports nouveaux fournis par les sciences qui fouillent dans le passé des textes et se laissent apprécier par la pensée humaine actuelle.
Entrer dans la logique du respect de la dignité humaine de façon intégrale suppose déjà la capacité de changer nos plans (no 102). D’abord pour dégager de l’espace mental, puis concrètement pour dégager du temps à ceux qui ont besoin de notre présence active. Cela suppose aussi d’accepter de voir différemment le rapport pas seulement à l’autre, mais aussi aux biens dont nous disposons.
La destination commune des biens fait comprendre ce nouveau rapport à envisager à l’égard de nos biens matériels. Le pape Saint Grégoire le Grand (VI-VII siècle), que le pape François cite, a formulé ce qui est devenue une règle si difficilement audible et encore moins praticable, mais ô combien éclairante : Lorsque nous mettons à dispositions des pauvres ce qui leur est nécessaire pour vivre, nous leur donnons ce qui leur appartient, pas à nous” (no 119). Pour arriver à une telle disponibilité, il faut un zeste de vraie spiritualité.
Quatre mots clés caractérisent selon le pape l’attitude d’ouverture à l’autre dans le sens de fraternité universelle : l’accueil, la protection, la reconnaissance (de la dignité) et l’intégration. Cela n’est pas réservé aux situations de migrations auxquelles le pape est particulièrement attentif, mais cela concerne toutes les situations qui, de façon passagère ou durable, requièrent une telle acuité et une telle délicatesse.
Comment être ouvert au monde entier, c’est toute la question dans laquelle on peut se noyer si on l’aborde du point de vue théorique. Tout le chapitre IV y est consacré de façon bien concrète. La réponse y est donnée : avec l’attitude de reconnaissance d’être frère et de le prouver concrètement.
Et donc être le levain dans la pâte, favoriser l’enrichissement interpersonnel réciproque, promouvoir des mécanismes de subsidiarité (no 142). C’est la matrice d’un comportement qui est ainsi décrite. Une matrice qui, on pourrait dire, est à forger dans un atelier de fraternité universelle.
Un tel atelier fonctionne dans les cadres d’une culture qui est à considérer comme un vivier naturel dans lequel est plongé l’être humain, à la fois bénéficiaire de celle-ci et son contributeur. Et la portée universelle de la culture n’est pas une donnée négligeable, reléguée aux confins des rêves.
“La culture sans valeur universelle, n’est pas vraiment une culture” rappelle le pape François citant son prédécesseur saint Jean-Paul II (n° 146). L’horizon de la fraternité universelle est fait de la rencontre de l’invisible avec le visible. Dans sa noble expression, la culture engendre et porte cet horizon de façon positive. Sinon elle soupire vers, souvent sans même le savoir, comme un adolescent qui par la laideur exprime le désir profond du beau, et de la bonté qu’il cherche.
Dans toute vie, le pape en est convaincu, on peut faire de petites choses mais avec une large perspective (no 145). Cette large perspective est déjà possible à envisager, voire indispensable dans les relations entre les pays et les continents (153).
Pour résumer, la vraie charité, constate le pape, intègre la loi, l’accueil, les échanges commerciaux, la justice sociale et la citoyenneté responsable (no 165). Une telle capacité à voir les relations aux personnes et le rapport aux biens suppose le changement des cœurs, des attitudes et des styles de vie (no 166).
Beaucoup de changements sont à envisager sur le chemin de la fraternité universelle. Et c’est demander beaucoup, mais c’est le seul chemin pour favoriser véritablement une telle fraternité, universelle.
La dimension purement politique semble être aux antipodes de la conversion et de son aspect intime. Croyant que c’est pourtant le chemin, le pape insiste sur la nécessité de renforcer le pôle politique dans la gouvernance du monde. Dans cette perspective, le concept de famille des nations est à repenser et à renforcer (n° 172), pointe le pape François avec un brin de nostalgie.
Toujours est-il que la charité doit être au cœur même de toute vision politique du monde (no 187). Cela me fait penser à ces échanges dans les cadres du groupe des entrepreneurs et dirigeants chrétiens (EDC).
Une des questions sérieusement posées était de savoir comment impulser dans les collaborateurs l’amour, la charité christique à l’égard des clients. Révolutionnaire, mais pas sanguinaire, juste bon, car nécessaire pour une évolution constante vers plus de fraternité.
D’où cette formule en miroir qui en dit long sur les conditions extérieures nécessaires au bon rayonnement de la charité, une écologie du bien-être de la fraternité universelle : La loi de la force doit être contrecarrée par la force de la loi (no 174). Mais cela suppose courage et générosité. Et le pôle politique en est tout naturellement chargé.
La charité politique est née dans l’attention portée par amour au bien commun. En voilà une autre notion à intégrer pour l’agglomérer à l’ensemble de la fraternité. Le service du bien commun aurait pu faire un joli titre à donner à un ministère ou au moins à un département sous l’autorité de la transition écologique. C’est l’auteur de ce podcast qui en formule le souhait.
Le pape quant à lui, tout bonnement se met à rêver en songeant à ce que la communauté humaine pourrait faire et ce dont, encore et encore, elle est capable pour aller dans cette direction. Et on s’en doute, la marge de progression est encore bien grande. Oui, la communauté humaine, affirme le pape, a des ressources pour se ressaisir et avancer dans la bonne direction.
Mais la vraie charité, celle qui vise la fraternité universelle, mais à partir des situations bien concrètes, a besoin de la lumière de la vérité que nous cherchons constamment (n° 185). Lumière qui fait mieux percevoir les contours véritables de la fraternité universelle.
Le rêve du pape va jusqu’à dire que c’est le sacrifice et la patience qui créent la belle réalité polyédrique de la vérité au sujet d’une telle charité. La charité ainsi envisagée ne peut s’accomplir sans tendresse (n° 195).
Les chapitres VI et VII sont consacrés au dialogue patient, mais qui suppose la capacité de reconnaître la différence bénéfique. Les différences sont sources de créativité. Cela suppose l’art de la rencontre. Travailler en faveur de l’unité qui est toujours plus grande que le conflit (no 245) devient un impératif constant.
Le futur de la survie de la fraternité et de l’humanité en dépend.
Dans le tout dernier chapitre, le pape montre les fondations principales et lance un ultime appel. Pour les fondations, il pointe la capacité à être ouvert au Père de tous dans un désir de fraternité réelle, mais fraternité universellement fondée. Il pointe la nécessité de reconnaître le témoignage de la présence de Dieu au bénéfice de la société.
Cela suppose de renforcer l’identité chrétienne. Celle-ci est à considérer comme étant une source de vérité parmi d’autres. Cette relativement nouvelle manière d’aborder la question de la vérité est saisie par le pape dans cette image de vérité polyèdre. Cela laisse supposer qu’ultimement toutes les sources de vérités ne sont que des étapes intermédiaires de la vérité qui s’originent toutes dans le Dieu d’amour.
Puisse Dieu inspirer un tel rêve pour être tous des frères universels, soupira le pape tout à la fin (no 285).
Le pape François s’adresse à nous, mais aussi au monde, à ceux qui le composent et qu’il considère souvent comme étant des apatrides spirituels. La question d’immigration lui tient à cœur. Elle devient chez lui une sorte de métaphore de toute transhumance que l’humanité effectue inlassablement depuis belle lurette.
Le bon accueil de tous ceux qui cherchent est primordial. Il l’est pour qu’aucun de ceux qui lui sont donnés, pour qu’aucun ne soit perdu. Le pape sait que cela ne sera réalisable que lorsque les derniers y seront. Fratelli Tutti.