“Réconciliation, une Odyssée et un don”.
Une simple citation d’un philosophe chrétien français, Paul Ricoeur (1913-2005). Il a eu le privilège d’être doyen de la faculté de philosophie de l’université de Nanterre entre 1968-70. On peut facilement comprendre que sa réflexion sur la réconciliation fut inspirée par des faits réels. Ceux-ci et bien d’autres, auxquels il était confronté durant sa vie, longue et riche en rebondissements. Chercher une inspiration dans une expérience personnelle est une démarche des plus naturelles. Aller puiser dans les métaphores comme celle-ci, Réconciliation, une Odyssée, est le propre de Paul Ricoeur, ce connaisseur de la Métaphore vive (titre d’un de ses ouvrages). Étonnante comme elle puisse paraître, la métaphore de l’Odyssée m’est devenue source d’inspiration. D’où ce podcast.
Nous sommes encore dans le Carême, le dimanche des Rameaux, et donc au début de la Semaine sainte qui va culminer dans la Veillée pascale et la fête de Pâques. Le Carême est un temps consacré à la réconciliation dans toutes ses dimensions: avec soi-même, avec les autres et avec l’Autre, ce Tout Autre qu’est Dieu. Pour les chrétiens, toutes les réconciliations interhumaines sont reliées et souvent motivées par la relation aimante avec Dieu qui les conditionnent toutes. Réconciliation comme un voyage, comme une Odyssée. Réconciliation comme un chemin. Réconciliation comme un pèlerinage. Pèlerinage vers ce lieu saint qu’est notre cœur, qui retrouve ainsi toute sa vitalité et toute sa brillance.
C’est lui, Dieu qui nous pousse au voyage. Ca, c’est en théorie. Dans les faits, c’est nous qui faisons le premier pas pour aller dans la direction de la réconciliation. Le côté visible, notre désir, rejoint alors le côté invisible, le désir de Dieu. C’est le désir de Dieu à notre égard qui précède toute notre action. Même à notre insu. Mais c’est notre action qui est activée par notre volonté. C’est dans une telle action que nous pouvons trouver des traces de la volonté de Dieu qui nous précède et accompagne. Lui, qui depuis toujours, depuis toute son éternité, nous désire heureux et en paix.
C’est pour cela que nous prétendons que sa volonté nous précède. Notre foi en la réconciliation est ainsi fondée. La réconciliation est un chemin, car cela prend du temps, beaucoup de temps, toute la vie. Pour les uns afin de l’accueillir enfin, pour les autres afin de la maintenir. « Pardonne leur car il ne savent pas ce qu’ils font » ce cri de Jésus du haut de la croix fut maintes fois répété par tant d’autres. Jésus l’a dit à la fin de sa vie. Beaucoup le disent au milieu d’une épreuve qui parfois dure des années.
Aller se confesser c’est un acte de volonté et de courage. C’est un point lumineux sur le chemin de réconciliation. Notre vie n’est jamais parfaitement pacifique et en bonne intelligence avec les autres. A chaque instant de notre vie nous avançons sur ce chemin de réconciliation. Même en reculant, car les reculades se déroulent dans un temps, qui, lui, ne recule pas et oblige à se repositionner chaque fois, peu importe où nous en sommes. Tant que nous sommes en vie, nous avançons sur le chemin de la réconciliation.
Ce qui me met sur la piste de l’Odyssée, celle de Ricoeur, c’est aussi le fait qu’il a reçu entre autres, en 1996 la distinction de Docteur honoris causa de l’Université de Saint Jacques de Compostelle. Chemin de Compostelle est un pèlerinage pour se retrouver. Le sien fut dans ce passage d’une attitude à l’autre: “Longtemps partisan du pacifisme et d’une théologie radicale, il se résout tardivement à l’importance des institutions étatiques.” (Wikipedia). Donc c’est quelqu’un qui chemine dans sa propre vie.
Et moi-même, ne le connaissant que par ses livres, j’ai tout de même eu la chance de le croiser dans les dernières années de sa riche existence. Et grâce à de telles rencontres de cheminer à ma façon. Chacun la sienne, chacun son Odyssée composée des allers et des retours. Entre les deux, on fait le tour du monde. Le tour d’un monde, celui qui nous est propre, constitué de notre système solaire et des constellations de notre univers, au milieu desquels nous gravitons. Et nous entrons en interaction avec d’autres mondes, ceux des autres personnes.
Pour son voyage, Paul Ricoeur fut embarqué sur un navire composite, constitué de différents courants philosophiques et politiques qui l’ont porté et parfois l’ont déporté. Durant son Odyssée, il était poussé par le positionnement de ses voiles, positionnement auquel il a contribué, mais seulement en partie. En partie maîtrisant les vents. En partie en se laissant emporter par les courants des vents et des eaux de son époque. Ces courants qui activaient les moulins à vent et ou à eau pour moudre le blé de leur réflexion et servir de farine. Le pain fait de farine et d’eau est devenu la nourriture quotidienne pour les affamés de la vérité. Toute une époque où tout semblait possible, même un chretien laïc engagé dans la vie politique en philosophe et en théologien. Tous avec le vent en poupe.
La réconciliation avec lui-même d’abord, puis avec d’autres, s’est faite en plusieurs étapes. Elle pouvait avoir lieu grâce aux signes qu’il accueillait comme étant des messages lui destinés et que selon son jugement, il parvenait à déchiffrer, correctement. Ainsi une rencontre décisive lui a permis de ne pas se tromper sur Munich de 1938. Plus tard, embarqué dans les émeutes de 1968-70, en signe de désaveux, et aussi d’impuissance, il démissionne de sa fonction de doyen de Philosophie de l’Université de Nanterre. Puis “exilé” à Louvain et surtout à Chicago, il poursuit son Odyssée à la recherche de lui-même. Et de ce qui lui tient à cœur. Sa recherche sera estampillée par une autre rencontre, celle avec un doctorant, Emmanuel Macron, qui dès 1999 l’aidera à finaliser son ouvrage, La mémoire, l’histoire et l’oubli. La relation se poursuivra jusqu’à sa mort.
Réconciliation comme Odyssée.
L’Odyssée de Ricoeur se fera entre les sources non philosophiques, notamment les textes bibliques, et la philosophie. A cet égard, son Odyssée peut éclairer la nôtre pour savoir comment la pensée humaine (“philosopher” sur sa vie) peut se laisser éclairer par la “pensée” de Dieu à notre égard. Et inversement.
Un rappel historique de ce que fut l’Odyssée d’Ulysse.
Merci à l’Éducation Nationale pour cette fiche de lecture👌. Ulysse est parti de Calypso et est rentré à Calypso. J’ignore sur quel bateau, sans doute pas du nom de Calypso, comme l’a fait au XX siècle un explorateur des profondeurs de mer et le défenseur d’une écologie responsable, commandant Cousteau, dont l’Odyssée est gravée dans les mémoires, tout au moins des Français.
« Portant le nom de Calypso, nymphe de la mer de la mythologie grecque, le navire et son équipage parcoururent les mers et océans du globe du 24 novembre 1951 jusqu’en janvier 1996. Grâce à la télévision et aux livres, la Calypso devint un des emblèmes de l’exploration maritime et de l’écologie mondiale dans la seconde moitié du XX siècle. » Merci à Wikipedia.
Quel rapport avec la réconciliation? Se réconcilier avec la nature est une attitude spirituelle toute naturelle dans le bouddhisme par exemple. Ceci est moins vrai dans le christianisme qui, en dépit de l’injonction divine donnée aux premiers parents de s’occuper de la nature, a tout (trop!?) misé sur l’homme. Sa responsabilité à l’égard de la nature étant reléguée au second plan. Et pourtant si l’on est bien réconcilié avec la nature, d’autant plus facile sera la réconciliation avec les autres humains. Ulysse devait expérimenter ce besoin de la réconciliation avec la nature en faisant face à tant de dangers (comme Paul, infatigable prédicateur de la Bonne Nouvelle). Mais, une fois ceux-ci surmontés, il a pu se réconcilier avec les siens en les rejoignant et en leur tenant compagnie pour une paisible existence.
Réconciliation comme pèlerinage.
A l’approche de sa mort, saint Thomas d’Aquin, comme c’était de coutume à l’époque, parle de sa vie comme d’un pèlerinage sur terre. Pèlerinage qui prend fin. Il en parle avec force et clarté qui lui sont propres, et qui font de lui, à cause de son immense œuvre, un docteur angélique. Il parle d’un voyage ultime, du viatique qui l’accompagne. Il parle d’un résumé de sa vie empreint d’une fidélité à Dieu et à ses préceptes. Tout en étant lucide sur le besoin d’être purifié pour se présenter devant l’Eternel. Chaque Odyssée est une telle occasion pour se laisser purifier. Les pèlerins de Santiago de Compostela et de bien d’autres chemins le savent bien. Ils sont en route pour une meilleure manière de passer le temps après.
Pour toute Odyssee, tout comme pour toute réconciliation, pour ne pas tourner en rond, le déplacement doit changer le voyageur. Le pèlerin le sait dès le départ, le touriste l’apprend éventuellement en cours de route. Pèlerinage est une expérience de l’etranger. Peregrinatio désigne un voyage ou un séjour à l’etranger, et spécialement en latin chretien désigne la vie terrestre considérée par une métaphore comme un voyage loin du Ciel, vraie patrie du croyant. Il peut aussi voyager vers les lieux saints.
La réconciliation ne va jamais de soi. Souvent on confond un simple besoin de tout dire, y compris ce qui nous pèse. C’est le travail des psychologues qui permet de recueillir de telles confidences en vue d’une guérison psychosomatique. La réconciliation dans sa dimension croyante se réfère à la source de la Vie.
Previou Ne
Réconciliation comme don.
Lorsque le chemin est accompli, les bénéfices apparaissent. Ils sont déjà présents en cours de route. Mais ils se prolongent après. Cela veut dire que le pèlerinage était fructueux et que l’Odyssée avait un sens. Pour profiter d’un tel don, il serait peut-être bon de suivre la recommandation d’un médecin japonais, qui va à contre sens de ce que l’on entend souvent. C’est une indication pour savoir comment prolonger la vie d’un pèlerin qui vit son Odyssée.
Patient: docteur, j’ai entendu que les exercices cardio-vasculaires peuvent prolonger la vie.
Docteur : Le cœur est seulement bon pour un certain nombre de battements. Ne perdez pas le temps à faire des exercices. Finalement tout s’use. L’accélération du rythme cardiaque ne prolongera pas la durée de la vie. Car, c’est comme si on disait que l’on prolongerait la durée de fonctionnement d’une voiture, en roulant plus vite.
Veux-tu vivre plus longtemps, fait la sieste. “
Il y a certainement à pondérer, mais l’essentiel du message en lien avec ce podcast est là: sans vouloir devenir stakhanoviste de la bonne santé, à quelque niveau de considération que ce soit, des efforts démesurés nuisent à la santé. Il vaut mieux s’occuper de l’essentiel. Nos réconciliations comme des Odyssées, comme des pèlerinages sont toujours liées aux circonstances de notre vie qui sont à prendre comme elles viennent. Aucun jusqu’au boutisme n’est bon. Se régénérer en faisant la sieste, c’est mettre de bon côté le travail sur ce qui doit être réconcilié. Le cholestérol de rancune, de jalousie, d’aigreur ne diminue pas avec le sommeil, mais le sommeil aide à les aborder plus sereinement. Même la sieste est alors un don de Dieu, un don de réconciliation.