Nous sommes habitués à faire des déclarations et nous sommes environnés de déclarations faites par les autres. Le déclaratif fait partie de nos vies. Mais la réalité est parfois différente de nos discours.
Pour avancer dans la réflexion sur ce thème laissons résonner une déclaration bien d’à propos au sujet de nos déclarations. Laissons la résonner dans nos oreilles attentives, capables de débusquer la vérité dans toutes les déclarations.
L’écrivaine Vivian Gornick écrit à ce propos « Entre la rhétorique virulente et les exigences de la réalité, demeurait un vaste territoire de convictions inexplorées. Nous sommes donc devenues, pour bon nombre d’entre nous, des incarnations vivantes de l’écart entre la théorie et la pratique, le fossé qui subsistait entre ce que nous déclarions ressentir et le pathétique que nous ressentions se faisant chaque jour plus béant. » (Inépuisables, Les Rivages, 2020).
Que vaut aujourd’hui une déclaration sur l’honneur, sur la Bible, sur la constitution, sur une amicale recommandation pour vendre la maison, le terrain, pour trouver un partenaire de vie sur le site des rencontres… Y compris pour troquer la vérité contre un traité de paix qui est toujours inégal avec l’avenir jamais certain pour personne, en attendant, plus incertain pour ceux qui y sont soumis que pour ceux qui les font s’y soumettre.
Et cela va jusqu’à la confession à l’occasion du sacrement de la réconciliation, où, enfant ou pas, on raconte des accusations pour faire plus joli, plus sérieux, avoir de quoi alimenter la validité du pardon, tout en omettant bien proprement car en principe inconsciemment de faire la déclaration sur l’honneur de notre foi au sujet de la vérité réelle de nos vies.
Des zones grises sont partout, elles occupent souvent la majeure partie de notre espace mental. Le vaste champ de possibles écarts entre la vérité et le mensonge constitue le paysage principal de nos vies, tels les marécages où s’embourbent l’amour librement consenti et ses protagonistes, donc porteurs qui se demandent pourquoi c’est si lourd.
De l’amour il y en a toujours, l’amour de soi que l’on qualifierait souvent un peu rapidement d’égoïsme (il y a à boire à manger dedans), amour des proches, des idées et des convictions auxquelles on tient tout au moins tout autant qu’à la prunelle de l’œil et dont certaines font agir avec cruauté.
Amour d’intérêts et de leurs plus-values, amour de devoir enterrer les autres et amour du dévolu jeté sur la fortune de ceux que l’on enterre afin qu’en instantané celle-ci se transforme en malheur devenant notre héritage dont le poison de cupidité se transmet de génération en génération. En d’autres termes pourvu que la fortune change de camp, comme change de camp la peur entre les agresseurs et les agressés, si toutefois ces derniers réussissent à renverser la tendance.
Pour déclarer sur l’honneur, faut-il encore avoir de l’honneur, pour déclarer sur la bible faut-il encore avoir la Bible, pas seulement devant les yeux mais d’abord dans son cœur. Chaque déclaration suppose le justificatif, car la déclaration est verbale alors que le justificatif constitue le capital, le fond de commerce de nos déclarations.
La peur est le capital sur lequel il est le plus facile de fonder une déclaration, mais il n’y est plus question d’honneur. La déclaration sur la peur est la plus efficace dans ses effets immédiats. Le fond de commerce d’une telle transaction étant la peur elle même, heureux les peureux ils obtiendront la terre promise ! Qui alors n’est pas capable de constater l’étendue immense d’une terre promise ruisselante d’eau fraîche, de lait et de miel, le constater chez soit et surtout chez l’autre à qui la “proposition amicale” s’adresse. Et qui n’est pas un futur propriétaire d’une telle terre promise ?
La peur s’immisce entre la rhétorique virulente et les exigences de la réalité. La peur est un indicateur fort d’un signal faible du lien entre la déclaration et la réalité. Car la peur n’a jamais construit l’avenir, et la rhétorique déclarative seulement tente à faire plier la réalité, sans vraiment réussir autrement que justement par la peur.
Plier la réalité ce n’est pas la transformer, c’est l’écorner, c’est la blesser, c’est lui porter un coup fatal. Mais puisque l’avenir n’est jamais certain, ce n’est pas seulement la réalité qui ainsi pliée souffre, prise à la gorge et suffoque, le sont aussi ceux qui agissent sur elle.
L’exemple d’un père maltraité dans son enfance qui reproduit le même comportement à l’égard de ses propres enfants est classique, mais bien éclairant. Je vois qu’en le disant je viens de faire une déclaration qui vaut ce qu’elle vaut, car elle révèle le mécanisme de fatalité des atavismes familiaux, mais ne tient pas compte de la déclaration d’amour qui, forte de son espérance, contient en elle un agent puissant qui peut neutraliser cette fatalité et donc sortir du cercle vicieux de la peur.
Mais pour poursuivre, il faut voir comment se présentent les déclarations divines. La Bible en est pleine, elles sont plus ou moins audibles aujourd’hui. Dieu d’amour et Dieu vengeur, Dieu de paix et Dieu de guerre, Dieu du décalogue (dix commandements, les tables de la loi de Moïse) jusqu’à Jésus et ses béatitudes, lui, qui proclame de nombreuses fois “je vous déclare aucun de ceux qui…” ou celui qui…il aura…” Et ultimement, à qui la vie éternelle, à qui la condamnation en bonne et due forme, une divine déclaration sur l’honneur pas moins divin.
Les déclarations de Jésus sont des promesses. Le pain qui donne la vie c’est moi, si quelqu’un vient à moi, il n’aura jamais faim. Si il croit il n’aura jamais soif : celui qui donne un verre d’eau à un de ces petits, aura sa récompense. Mais aussi des menaces: un tel ne sera pas libéré avant d’avoir payé jusqu’au dernier sous.
Et que dire de toutes les déclarations du style: “je vous déclare mari et femme”. La rutilance de la rhétorique et la sobriété de l’épreuve de la réalité laisse là aussi comme partout ailleurs un vaste champs à investir par conscience d’un amour qui peut mettre de la lumière et de la paix dans tout cela.
Toutes ces déclarations se résument par celle que Jésus fait sur la croix en s’adressant à celui qui aura été gratifié d’un titre pour le moins inattendu, celui de bon larron. Le titre de larron étant gardé en souvenir de sa civière sur laquelle il gisait sa vie durant et qui est en ce moment-là transformée en croix dressée sur le monde.
Comme cet autre, lui aussi paralysé de la vie, non seulement de l’âme mais aussi du corps que les porteurs descendent par le toit devant Jésus pour que celui-ci en fasse quelque chose. Et il le fait en déclarant: pour que vous croyez que j’ai le pouvoir de guérir l’âme sans blasphémer, dit-il au paralytique, lève-toi et marche (Mc 2, 1-12).
Et en guise de souvenir de son action auprès du paralytique, au cas où sans cela celui-ci aurait oublié, Jésus le gratifie de l’obligation de prendre sa civière et la porter à la maison, comme d’autres guéris laissaient leur béquilles à Lourdes ou ailleurs.
Alors qu’ici, sur la croix, il ne dit pas à l’autre, pas plus qu’à lui-même; lève-toi et marche. Jésus se permet une énormité inouïe car il déclare: “encore aujourd’hui tu seras avec moi au paradis.”
Il fallait avoir le coeur bien accroché pour pouvoir accueillir une telle nouvelle. Un vaste champ de zone grise entre la déclaration et la réalité était à parcourir par ce pauvre bougre de malfrat qui se voit ainsi emporté au ciel. Ciel interdit à des gens comme lui, ceux de sa condition et de sa constitution intérieure.
Ce que la morale déclare, la miséricorde le reformule en une autre déclaration. La promesse de vie est toujours au bout et puisque dans l’éternité il n’y a pas de bout, de fin, donc c’est une déclaration qui se répand à l’infini de l’éternité. Ou alors une telle déclaration se perd comme un signal faible dans l’immensité de l’univers qui l’enregistre et lui fait son accueil évanescent.
Les portes du ciel sont toujours ouvertes, mais le passage qui y mène est étroit et gare à ceux qui se trompent d’entrée en confondant la vraie porte qu’est le Christ et son amour, avec les leurres d’entrée dessinés habilement par tous les magiciens des images en trompe-l’oeil.
Les fake news résonnent jusqu’au ciel, les bourbiers de vie spirituelle sont toujours bien présents dans les marécages qui attendent d’être asséchés pour les transformer en vastes zones de jardin d’Eden en show room. En attendant le passage, mais d’ordinaire on n’en est pas pressé, au point que l’on s’y installe comme pour l’éternité.
C’est seulement les condamnés à mort qui savent que ce n’est pas vrai. Comme cette mamie de Nice qui n’a rien demandé d’autre que de connecter sa vie avec l’invisible, le chapelet à la main.
Tu es poussière et tu redeviendra poussière, déclare l’Eglise le mercredi des cendres. Et c’est joli du point de vue de l’esthétique religieuse que d’en être ainsi cendré.
Mais les bruits des pas des bourreaux dans les couloirs de la mort, que connaissent les autres, résonnent maintenant un peu plus précisément dans toutes les oreilles humaines durant ces temps derniers. Temps marqués par la pandémie en cours et ses effets collatéraux diverses et variées.
Ici dans les paroles du mercredi de cendres, c’est une déclaration qui n’est pas à associer à celle de vouloir faire peur, sinon, moi-même j’aurai peur du jugement des hommes et du jugement dernier. Être averti du danger de l’enfer et faire peur ce sont deux réalités à bien distinguer dans leur source.
Il a donc fallu au bon larron qu’il se laisse éclairer à la vitesse de l’éclair pour comprendre toute cette étendue marécageuse de son existence. Il lui a fallu rapidement, en un clin d’oeil, trouver dedans non seulement un signe d’espérance, mais l’accueillir comme une réalité agissant au présent.
Mais quand on est au pied du mur, on n’a pas le temps de tergiverser, de poiroter, de ruminer et “comploter” contre les assauts des imposteurs qui s’immiscent dans notre vie.
Au coeur de sa faiblesse, après avoir pris la défense de son compagnon momentané de misfortune, le bon larron accepte de se laisser emporter au septième ciel. Quel courage, ou quelle inconscience, surement quelle rapidité dans le recouvrement de l’innocence sans laquelle l’ouverture des portes du ciel n’est d’aucune utilité pratique pour celui qui n’y passe pas pour entrer à l’intérieur.
Les incarnations vivantes entre les déclarations et la réalité, entre la théorie et la pratique, nous les sommes. Mais nous sommes aussi l’incarnation d’une déclaration de promesse faite sur l’honneur divin signé sur la croix. Et cela a la valeur d’une signature à l’encre sympathique de notre foi.