Depuis le début de la crise sanitaire, je suis frappée par le fait que la majorité des gens que je rencontre est en deuil. Ces deuils sont petits ou grands mais bien réels et bien présents. Certains ont perdu des proches, d’autres un travail, une routine, ont vu leurs vacances et le retour en France annulés, pour d’autres ce fut un mariage repoussé ou un déménagement imposé…
Faire face à une perte, effectuer son deuil, on pourrait penser que ce ne sont pas des termes qui ont leur légitimité dans le monde de l’entreprise.
Et pourtant …
Les psychologues qui ont travaillé dans l’entreprise ont appliqué leur théorie aux organisations et observent que « tout changement est une perte et que toute perte doit être traitée ».
Ils sont même allés plus loin, en calculant le coût des deuils non réalisés : aux USA, une étude de 2003 a calculé que ce coût pourrait atteindre 75 milliards de dollars par an…
Il arrive qu’en coaching ou en formation, je vois arriver des collaborateurs qui sont en colère, sont devenus distants, cyniques et froids avec leurs équipes, ils sont moins efficaces qu’avant, ratent des missions alors qu’ils étaient les étoiles montantes de l’entreprise… Les séances révèlent souvent ce fameux deuil non compris, non évoqué et non traité…
Alors comment faire pour accompagner vos collaborateurs ou vos clients internes à trouver leur chemin dans ce processus ?
Le premier temps est celui de la reconnaissance du deuil, de la peine, de la perte. Tout changement est une perte, ce qui explique que même un changement positif comme une promotion, une fusion, une expatriation génère un deuil qu’il faudra traiter !
Alors, de quelle perte s’agit-il pour vous ou vos collaborateurs ?
Quel impact un changement récent a eu sur vos besoins fondamentaux que je rappelle ici : lien, appartenance, structure, identité, sens, contrôle …
Voici quelques questions pour vous aider à explorer les situations.
Le lien avec l’Autre : est-il toujours présent, se fait-il en sécurité, vous nourrit-il ?
L’appartenance à une entreprise, une équipe, à une communauté ou un pays: est-elle toujours aussi claire pour vous et pour les autres ?
La structure : votre rôle a-t-il changé, est-il nommé et reconnu, vous sentez-vous toujours aussi valorisé dans l’organisation ?
La direction : savez-vous vers où vous vous dirigez ? le faites-vous avec espoir et confiance ?
L’identité : vous savez qui vous êtes, vous connaissez vos valeurs, ou vous vous sentez perdu ?
Le sens : vos actions professionnelles ont-elles toujours du sens ?
Une fois que vous avez identifié la perte pour vous ou vos collaborateurs, voici venu le temps des émotions.
Soit de leurs expressions s’il s’agit de vous, soit de l’accueil des émotions chez les autres. Oui, nous avons été élevés dans l’idée que les émotions doivent rester à la porte de nos bureaux et cela a engendré de nombreux malentendus et pertes de productivité.
Si vous devez exprimer vos émotions, ressentez ce qui se passe dans votre corps (c’est là que nait chaque émotion, l’émotion est d’abord un mouvement) et si le vocabulaire émotionnel vous manque encore, décrivez vos sensations physiques … ce sera un bon début !
Si c’est l’autre qui traverse une difficulté, soyez prêt à lui faire de la place dans tous les sens du terme : fermer une porte, mettre un téléphone sur mode silencieux, rester soi-même silencieux … Ecouter avec son cœur et s’abstenir de tout jugement, critique ou analyse pendant quelques minutes c’est possible et oh combien bénéfique.
De même, si la personne dans votre bureau vous émeut, vous pouvez pleurer, vous êtes un être humain entrant en lien avec un autre être humain.
Les quelques phrases à éviter sont celles qui sous-tendent un déni de la situation comme « vous réagissez trop » « le temps va faire son œuvre » « soyez courageux » « les choses vont revenir à la normale ».
Je crois aussi que la reconnaissance de la difficulté de ce que vit l’autre et le verbaliser avec des mots simples est aussi très aidant.
Une fois que la perte est nommée, que les émotions sont exprimées, une dernière étape dans la résolution du deuil est d’en trouver le sens.
Nietzche a dit : « Celui qui a un pourquoi qui lui tient lieu de but, de finalité, peut vivre avec n’importe quel comment. ».
Plus proche de nous, Victor Frankl, psychiatre, a conçu, appliqué et enseigné la “logothérapie”, une méthode qui permet d’échapper au désespoir et de retrouver goût à la vie en lui découvrant… un sens (logos).
Il nous indique 3 pistes :
1/ Réaliser une œuvre ou passer à l’action : chacun de nous a des talents spécifiques, qu’il est le seul à pouvoir mettre en œuvre. Il s’agit de le reconnaître et… de les mettre à profit.
2/ Faire l’expérience de la beauté, de la vérité, de la bonté ou de l’amour qui font naitre l’émerveillement en nous. L’amour de l’autre ici est à prendre dans le sens de se battre pour l’accompagner dans la révélation de son potentiel.
3/ Souffrir courageusement : examiner la souffrance objectivement et se demander « En quoi cela peut-il être utile ? ». Souvent, la valeur première de la souffrance est la possibilité de renforcer ses croyances et ses valeurs. Si vous étiez un personnage de film, comment l’expérience de cette souffrance met en valeurs vos idéaux et croyances et inspire les autres dans le processus ?
Bien sûr certaines de ces étapes peuvent et/ou doivent se faire dans la sécurité d’un cabinet de thérapeute si le cas le nécessite mais comprendre le processus nous aide à accompagner notre entourage professionnel ou personnel sur le chemin du deuil.
A bientôt