De manière significative, le terme qui vient à l’esprit d’un public cultivé occidental pour définir la culture chinoise est celui de « confucéenne ».
Dans le fond, le destin de la Chine, née de l’unification imposée par la force par l’empereur Qin Shihuangdi en 221 av. J.C., peut faire penser à ce qu’aurait été le destin d’un empire romain qui n’aurait pas connu le christianisme, mais aurait en revanche réussi à se maintenir d’une manière ou d’une autre jusqu’au XXe siècle, assimilant progressivement les différents peuples venus le menacer.
Au regard de cette histoire, le christianisme semble particulièrement éloigné de la Chine moderne. La première présence chrétienne, sans lendemain, remonte au lointain VIIe siècle à la cour des Tang, lorsque des missionnaires venus de Perse apportent en 635 à Chang’an le christianisme dit « nestorien », du nom d’une Église d’Orient qui s’est séparée au Ve siècle du tronc commun unissant alors Rome et Constantinople, d’où sont issus l’orthodoxie et le catholicisme. La première mission venue d’Europe est celle du franciscain Jean de Montecorvino, arrivé en Chine en 1294, à l’époque de la domination mongole, et nommé en 1307 par le pape Clément V premier archevêque catholique de Pékin. Mais cette première présence chrétienne essentiellement liée à la cour mongole ne réussit pas à s’implanter durablement, et s’étiole dès la seconde moitié du XIVe siècle.
Ce sont les missions jésuites de l’époque moderne, au moment où les Portugais circulent en Asie, qui font vraiment découvrir la Chine aux Européens
Ce sont les missions jésuites de l’époque moderne, au moment où les Portugais circulent en Asie, qui font vraiment découvrir la Chine aux Européens. Placées sous la figure de saint François-Xavier, mort en 1552 aux portes de la Chine dans l’île de Sancian, non loin de Macao et du futur Hong-Kong, les missions sont notamment dominées par la personnalité du jésuite italien Matteo Ricci, auteur de traités en chinois mandarin tentant de montrer la convergence de la pensée classique chinoise et d’un christianisme imprégné depuis le Moyen-Âge de philosophie aristotélicienne. Les jésuites, dans leur volonté d’accommodement destinée à rendre plus aisée la conversion, acceptent par exemple le culte des ancêtres comme un acte civique compatible avec le christianisme. Mais ces pratiques sont condamnées par le pape Clément XI en 1704, interdiction réitérée par Benoît XIV en 1742, tandis que le monde chinois reste finalement relativement imperméable à la conversion jésuite.
La question se pose d’une manière nouvelle avec la mise sous tutelle de la Chine par les puissances occidentales du XIXe siècle, dans un rapport colonial dont les guerres de l’opium et les traités inégaux sont restés le symbole . Les traités de Nankin en 1842, après la première guerre de l’opium, ou de Whampoa en 1844, pour la France, autorisent l’installation dans les ports chinois d’Occidentaux, missionnaires compris. Une présence chrétienne beaucoup plus conséquente peut s’installer à Hong-Kong, sous domination britannique depuis le traité de Nankin, et dans les quartiers occidentaux des « villes ouvertes » chinoises. Des missionnaires de toutes confessions s’installent en nombre à l’intérieur de la Chine, qui continue de fasciner et susciter les vocations. Le nombre de croyants augmente rapidement (les catholiques passent de 330 000 à 1,4 millions en 1912) tandis que se met en place tout un ensemble de structures qui maillent le territoire chinois, écoles, hôpitaux, orphelinats. Mais cette fois-ci, il s’agit aussi d’un christianisme souvent anglican ou protestant, tandis qu’une petite communauté orthodoxe se développe avec le soutien russe.
À terme, le christianisme finit même par être associé à la mise sous tutelle coloniale
À terme, le christianisme finit même par être associé à la mise sous tutelle coloniale. La révolte des Boxers est par exemple accompagnée de massacres de chrétiens et de destructions d’églises, avant d’aboutir en 1900 au siège des légations étrangères, libérées par une intervention occidentale. Cette révolte est encore officiellement perçue en Chine comme la première grande lutte contre la domination coloniale. L’histoire du christianisme en Chine est donc plus compliquée qu’elle n’en a l’air. C’est une religion qui est venue de l’extérieur, et a même fini par être perçue comme une des formes de la domination coloniale. La réunification de la Chine et l’affirmation de son indépendance sont finalement venues à partir de 1949 d’un modèle soviétique qui n’a pas tardé à se cxs, et qui, outre une dimension anti-occidentale importante, permettait de construire un État à l’échelle d’une nation-continent sous-développée.
Sur le principe, la pratique religieuse est encadrée par un Bureau national des Affaires religieuses créé en 1951 et par de grandes associations patriotiques come le Mouvement patriotique protestant triplement autonome de Chine, créé en 1951, l’Association bouddhiste de Chine (créé en 1953), l’Association islamique de Chine (1953) ou l’Association taoïste de Chine (1957). Le dispositif est enfin complété par la mise en place d’une « Association patriotique catholique chinoise » (1957), fondée avec une déclaration saluant les « grandioses résultats » obtenus par le parti communiste et le gouvernement populaire et qui appelait l’Église catholique à changer radicalement. S’il était possible de maintenir des « rapports religieux » avec la papauté, il fallait en échange rompre les rapports politiques et économiques, sans se laisser influencer par les « complots » du Vatican . En théorie, les évêques sont désignés de manière démocratique par les fidèles, mais sous le contrôle des autorités. Dans ce cadre, ne pas adhérer à cette association signifie commettre un acte de rébellion, qui plus est lié à des influences étrangères.
Ce cadre s’est perpétué jusqu’à aujourd’hui, et pose les bases du problème auquel l’accord de 2018 tente d’offrir une solution
Ce cadre s’est perpétué jusqu’à aujourd’hui, et pose les bases du problème auquel l’accord de 2018 tente d’offrir une solution. Pour l’Église catholique, ce contrôle par les autorités s’oppose frontalement aux principes romains qui se sont au contraire définis à travers les siècles par la volonté de construire une chrétienté universelle autour de l’institution pontificale, de manière transversale aux États et en refusant précisément le concept d’Église nationale séparée.
Cette position de l’église est renforcé par le renouveau de la foi religieuse parmi les jeunes générations renverse les schémas habituels que l’on voit à l’œuvre en Occident, et ce d’autant plus qu’en Chine ce phénomène touche d’abord les jeunes générations métropolitaines, connectées à la mondialisation.
Compte tenu de la méfiance des autorités chinoises, il est difficile d’avoir des chiffres précis. Les estimations peuvent varier considérablement, et ce d’autant plus que beaucoup de croyants pratiquent clandestinement. Il y aurait 12 millions de catholiques et 38 millions de protestants, une goutte d’eau dans la nation chinoise forte de plus d’un milliard et demi de nationaux.
Du cas général se distingue le cas de Hong-Kong qui compte une population d’à peu près 900 000 chrétiens
Du cas général se distingue le cas très particulier de Hong-Kong, qui selon les dernières statiques compte une population d’à peu près 900 000 chrétiens, soit 12% des 7,4 millions d’habitants du territoire, répartis de manière à peu près équilibrée entre protestants (500 000) et catholiques (390 000), auxquels il faut encore ajouter une communauté immigrée de quelques 166 000 Philippins catholiques. Cette situation reflète l’histoire de Hong-Kong, où les confessions chrétiennes ont pu continuer à se développer à l’abri du maoïsme au temps de la domination britannique et participent à l’identité spécifique du territoire. En d’autres termes, Hong-Kong, réintégrée en 1997 à la République populaire de Chine mais qui, dans le cadre du principe « un pays, deux systèmes », a été dotée d’une large autonomie et autorisée à garder pour une période d’au moins cinquante ans son système politique, juridique et économique propre, « capitaliste », marqué par l’héritage britannique, est aussi une tête de pont de la présence chrétienne en Chine, en même temps qu’elle offre le visage d’une ville chinoise où la présence de toutes les communautés religieuses d’un monde globalisé est chose normale, faisant partie de la vie quotidienne.