Depuis quelques années, l’Église catholique d’Allemagne est traversée par une dynamique de renouveau. Elle est déjà à mi-parcours de son chemin synodal qui doit se terminer en février 2022.
Rien d’exceptionnel, elle n’est pas la seule, tant d’autres églises aux dimensions d’un pays donné ont déjà vécu une expérience similaire, depuis que le concile Vatican II en a ouvert le chemin.
Mais son expérience historique de la Réformation protestante du XVI siècle dont les effets durent, attire particulièrement l’attention des observateurs, sans méconnaître la valeur propre des revendications que ce chemin synodal cristallise et porte. Une sorte de réveil des consciences sur les décombres de la position de l’Église face aux défis modernes.
Ses promoteurs allemands, parmi lesquels compte la majeure partie des évêques, y voient un nécessaire chemin de réforme de l’Église catholique. Cette nécessité apparaît dans le contexte des abus sexuels dans l’Église. Elle concerne essentiellement deux aspects : l’ordination des femmes et la suppression du célibat pour les prêtres. Même si les dernières images de prêtres bénissant les couples homosexuels en prolongent immédiatement la liste.
Le chemin synodal est une initiative parmi d’autres (voir plus loin), elle émane des laïcs, souvent comme celle-ci, soutenue par les prêtres et les évêques. Cela touche à la mission des laïcs, à leur manière d’être apôtre, au pouvoir de décision, à la capacité de s’entendre.
Cela suppose le dialogue interne à l’Église et le dialogue avec la société civile. Les laïcs étant le corps intermédiaire, une sorte de navette qui va et vient sur le métier à tisser pour tisser une partie de l’histoire commune de l’humanité. En prenant une autre image, les laïcs sont une sorte de filtre permettant une osmose entre les deux réalités vivant côte à côte.
Ces deux réalités, l’Église et la société dite civile, sont bien distinctes. L’Église est perçue de l’extérieur presque exclusivement au travers de sa structure humaine. Alors que dans son auto-conscience, elle est divinement inspirée et ainsi soutenue.
La société ambiante, quant à elle, se présente avec ses dynamiques propres, repérées comme vecteurs d’existence, ceux de changement et de croissance. Elle se comprend comme étant le produit d’elle-même.
Mais l’osmose entre les deux est incessante, car la porosité permet les échanges d’influences. Et la nourriture est bénéfique à la mesure où l’absorption est suivie d’une bonne digestion.
La vitalité de l’un dépend de la vitalité de l’autre, ce que le pape François rappelle dans sa dernière encyclique Fratelli tutti. Il ne suffit pas de se réclamer de l’un contre l’autre pour préserver sa propre identité, ce qui est tentant pour les deux.
D’un côté, vouloir se réfugier derrière l’inspiration divine pour ne pas vibrer avec les aspirations de la terre. De l’autre côté, vouloir tout ramener à la dimension de l’horizon plat de la terre, sous prétexte que l’on manque d’instruments capables de détecter les vibrations du ciel. Il faut encore se mettre en situation d’écoute mutuelle et donc en dialogue.
Le chemin synodal entrepris en Allemagne cristallise bien des attentes convergentes. Mais des voix s’élèvent pour dénoncer une tentative de sape de l’autorité hiérarchique de l’Église, de son enseignement dans le domaine moral. Ce qui pourrait conduire à un schisme, pire une hérésie.
L’Église d’Allemagne devient-elle un laboratoire d’idées neuves à mettre en place dans l’Église catholique, qui seraient suivies par d’autres ? Est-ce une nouvelle Pentecôte, dont nous célébrons aujourd’hui le souvenir et vivons comme chaque année son actualisation, qui se profile à l’horizon ébréché de l’Église catholique ?
A Rome, l’évolution de la situation est suivie de très près. Le gardien du dogme et de l’unité veille. Une hérésie ou un schisme, ou les deux à la fois ? C’est si facile, vu notre capacité humaine à tenir à nos convictions personnelles nées dans le creuset des différentes expériences personnelles et collectives.
Creuset d’expériences humaines, dont résultent des idées qui deviennent des guides suprêmes de notre conscience. C’est si facile de tomber dans ce piège, plutôt que tenter d’obéir à l’Esprit Saint qui dit aussi comment être à l’écoute de ceux qui nous dérangent. La difficulté majeure est là.
Voilà dans quel état d’esprit se trouve le chemin synodal en Allemagne. Voici maintenant dans quel état d’esprit j’aborde cette question de réforme de l’Église catholique qui touche à son ensemble et plus généralement à la manière de vivre la foi chrétienne.
L’Église catholique est en crise. C’est un fait. Le chemin synodal n’est pas la seule initiative de ce genre. Ainsi en Allemagne existe Wir sind Kirche (Nous Sommes Église), un mouvement laïc dont les membres essaient de se sentir responsables de l’Église.
Sur le terrain allemand, on répertorie aussi un autre mouvement, celui de femmes, Maria 2.0, fondé en 2019 en réaction aux abus sexuels. Dans ce contexte, ses membres perçoivent la nécessité de nettoyage en profondeur du sexisme dans l’Église. Et par ricochet posent la question aux organisateurs de savoir, comment le chemin synodal milite en faveur de l’ordination de femmes et la suppression du célibat des prêtres. Les deux fondatrices de ce mouvement sont formellement sorties de l’Église.
Il y a aussi a noter l’existence encore d’une autre initiative similaire en Pologne. Kongres Katoliczek et Katolików (Congrès des catholiques) qui peut être considéré comme une initiative pouvant conduire sur le chemin synodal à la polonaise. On se souvient aussi du comité de la jupe fondé en France dans le contexte des controverses liées à la place du cardinal Barbarin dans son rapport aux femmes et dans la gestion de la crise de pédophilie dans le diocèse de Lyon.
Pour toutes ces raisons, la liste n’est pas close, les laïcs investissent l’espace public de débats pour faire entendre leur voix et se sentir compris. Avec l’émergence d’une telle dynamique, il faut espérer qu’il s’agit d’une crise de croissance, c’est le sens du mot grec crysis. Faut-il encore voir les fruits positifs qui pourraient y mûrir.
L’image de l’Église catholique se dégrade dans l’opinion publique en général. Les voix intérieures sont aussi bien nombreuses pour s’élever en faveur d’un changement parfois envisagé de façon radicale. Les bénédictions des couples homosexuels par certains prêtres en sont les signes. On pourrait leur attribuer une valeur de provocation ou d’un acte inconscient de sa portée et pour la foi et pour la société. Il est certain que cela contribue à forger une image dégradée de l’Église, et l’apparition de fractures comme celle-ci ne sont pas de nature à l’améliorer.
Dans ces revendications, tout est mis un peu pêle-mêle : les différents sujets sont mis sur la table ainsi que la manière de les traiter. L’émotion devient souvent un moteur puissant, pour démarrer une action il faut être touché affectivement. Mais pour aboutir à un résultat probant, il faut encore que l’émotion cède de la place à une méditation profonde, en vérité.
L’émotion, d’un allié naguère, peut se transformer en ennemi de la route. Le chemin synodal, ou, comme on peut le craindre, l’agglomération des raisons soutenues par le sentiment de bien faire. Les critères de discernement s’imposent donc.
Pour un bon discernement il faut une bonne méthode. Déjà bien identifier de quoi l’on parle est le chemin de la sagesse.
Donc distinguer pour savoir s’il s’agit de la réforme de l’Église, dans l’Église et ou en Église. Si souvent on ne prête pas trop l’attention à toutes ces distinctions, alors que celles-ci ne sont pas neutres.
La réforme de l’Église peut concerner la réforme structurelle de l’organisation, comme cela peut concerner la manière de transmettre les données de la foi chrétienne.
Mais chaque fois pour être véritable, la réforme doit se dérouler en Église, c’est-à-dire en communauté rassemblée qui met en avant sa conscience de dépendre comme corps de sa tête qu’est le Christ. Le chemin synodal actuel en Allemagne ne semble pas l’indiquer, car pour faire pleinement Église faut-il encore le faire en communion avec toute l’Église représentée par le pape.
Ce qui n’est pas une mince affaire si l’on songe à la portée des sujets soulevés et soumis au débat. Certains s’aventurent parfois sur le terrain de la redéfinition des données de la foi chrétienne.
Dans ce cas-là on parlerait alors d’une révolution, voire d’une transformation d’une religion en une autre. Rousseau a ainsi épuré les Evangiles pour rendre le message du Christ convenable à son goût. D’autres sont bien tentés par le travail de réécriture semblable.
Si par exemple on décide d’un commun accord que la résurrection du Christ n’est pas le centre de la foi chrétienne, serait-elle encore la foi chrétienne ? D’où la question pour savoir jusqu’où aller dans la démocratisation dans l’Église. Certains militants en faveur de la reconnaissance de l’homosexualité, estimant l’opposition majoritaire dans l’Église catholique à l’égard de ce type de questions, ne le souhaitent pas, tout au moins pour le moment.
Dans ce contexte, en reconnaissant la nécessité tout au moins structurelle, comment envisager de réformer l’Église de l’intérieur ? Car le faire de l’intérieur ce n’est pas la même chose que de le faire de l’extérieur. Les avis externes sont souvent utiles, mais pas décisifs. Si c’était le cas, une opinion extérieure se serait transformée en organisme de régulation. Du haut de son autorité ainsi arrogée, elle se serait mise à décider ce qui est admissible dans le domaine de la foi et ce qui ne l’est pas.
Qui alors est autorisé d’en statuer à nouveaux frais ? Un système de régulation interne est-il suffisant ? Et que faire de l’Esprit Saint qui non seulement fait des choses nouvelles, mais qui surtout souffle là où il veut. Une évolution douce ou une révolution brutale ? Que faire et comment aborder l’émergence des nouveaux lieux de réflexion, d’opinion et conséquemment nouveaux lieux d’autorité ?
Une réforme, aux allures d’une révolution ou pas ? Souvent, les conciles donnent des impulsions nouvelles pour corriger la direction et pour impulser des actions nouvelles afin de rester le plus fidèle possible à l’intuition première, celle qui vient de la foi en la résurrection.
Une réforme est toujours à désirer, ce désir doit sans cesse traverser la vie de l’Église à tous niveaux. Ecclesia semper reformanda, l’Église sans cesse à réformer, sous cette formule l’Église garde la conscience de la nécessité même d’être en réforme constante, la dynamique propre à l’Église s’exprime ainsi. Reformuler le contenu dans ses propositions pédagogiques pour en gagner des oreilles attentives, restructurer la charpente interne pour s’adapter à l’objectif précédent. Oui, mais par souci d’être fidèle à l’Esprit, ou pour flatter l’opinion majoritaire ?
Ou alors, stagnation et marasme, et se reposer sur les acquis ? Mais réagir ainsi, c’est faire offense à l’Esprit Saint qui de toutes choses fait des choses nouvelles. Donc, le premier réformateur, c’est l’Esprit Saint. Comment être à son écoute ?
La vraie question est de savoir comment l’Esprit Saint est intégré dans le processus de réforme envisagé ? L’Église intègre toutes ces considérations, mais du point de vue de l’intérêt de la communauté des croyants. Et à partir de l’ensemble d’outils qui sont à sa disposition, certains étant identifiables dans les analyses de toute société humaine, d’autres spécifiques à la religion chrétienne.
Une autre question à se poser à cette occasion c’est de chercher à savoir ce que croit le peuple chrétien. On ferait alors appel au sens commun de la foi chrétienne. C’est une conviction qui fait partie des données théologiques de la religion chrétienne.
La question de la réforme est ô combien toujours pertinente et par certains aspects bien délicate. Je l’aborde dans un esprit de service et d’humilité. Service de la conscience à éclairer, la mienne d’abord, elle a un peu gagné en clarté en rédigeant ce podcast. Humilité, car je suis conscient des limites dans la vision d’ensemble et dans l’assemblage des détails dont cet ensemble est composé.
Ni expert, ni totalement au clair, ni faiseur d’opinion, mais le reflet de ce qui se trame en Église et autour. Un résonateur donc qui enregistre les infos, les transmet et les met en circulation avec ses propres éclairages.
On se comprend mieux en se le disant, et je m’emploie comme je le peux pour être ce témoin du temps qui passe et de ce qui le remplit. Témoin de ce qui occupe la génération actuelle et me préoccupe, tout comme les contemporains à qui je m’adresse pour avancer ensemble en humains ouverts à la transcendance d’où qu’elle vienne et comme elle se présente. Dans cette présentation, comme dans tous mes podcasts, tout est relié à la particularité chrétienne dont je me réclame.
Et voici donc ce qui m’a décidé à traiter ce sujet. C’est la réaction d’un pasteur protestant. Il met en garde l’Église catholique d’Allemagne qui s’engage sur le chemin synodal.
C’est un cri de cœur, encore un. Mais cette fois-ci cela vient de l’endroit d’où il serait le moins attendu.
Il s’agit d’un pasteur allemand qui prend part à la mêlée. Et le poste qu’il occupe est loin d’être neutre. Il est pasteur de la communauté protestante qui se rassemble dans l’église où Martin Luther lui-même avait prêché maintes fois, l’église considérée comme l’église mère de la réformation. Symboliquement sa parole y prend une résonance bien particulière. Il est en poste à Wittenberg, ville d’où est partie la réforme luthérienne.
Le pasteur met en garde l’Église catholique des dangers de ce qui se trame dans l’Église catholique d’Allemagne à travers le chemin synodal. Ce chemin, il le considère comme mauvais.
En lisant son post, je me suis alors posé la question suivante : et si la dystopie (société imaginaire régie par un pouvoir totalitaire ou une idéologie néfaste, telle que la conçoit un auteur donné) menaçait aussi l’Église. C’est bien plus qu’une simple anti-héroïne d’utopie, les deux bien imaginaires. Mais les deux donnant des idées pour en constituer une sorte de réceptacle conceptuel où recueillir certains phénomènes qui traversent les sociétés modernes.
Mais puisqu’il faut se méfier de tout abus de langage, sans plus savoir en quoi ni quand les mots deviennent désuets, car en perte de vitesse de leur puissance sémantique, on peut aussi le rapprocher de la situation de l’Église qui traverse une énième crise en ces dernières décennies.
Certains se contenteront de revendiquer pour que les laïcs restent laïcs et que les prêtres et évêques restent dans leur rôle. Le cléricalisme des laïcs et la laïcisation du clergé sont toujours des inversions dangereuses. Lorsqu’il s’agit de faire de sorte que les uns soient moins laïcs, et que les autres soient moins cléricaux, c’est chercher à ce que leur identité respective, qui est à corriger, se modifie au profit de l’identité des baptisés avec des missions complémentaires.
Le pasteur de Wittenberg note que le chemin synodal conduit à forcer l’Église catholique à prendre le chemin de la protestantisation de l’Église catholique.
Dans sa lettre adressée au mensuel allemand Vatican Magazin, le pasteur Alexander Garth de l’église Notre-Dame de Wittenberg observe que la démocratisation de l’Église nationale en Allemagne signifie que le christianisme minimaliste devient le standard de l’Église. Ce qui d’après lui conduit à la banalisation du message et à la dilution de l’Évangile.
Il préconise, non sans un brin d’ironie, que de tels réformateurs devraient devenir des protestants. Comme il le souligne, ils pourront y trouver ce pour quoi ils s’engagent et livrent bataille. Ils y trouveront des femmes prêtres, une structure synodale (elle existe aussi dans l’Église catholique mais un peu différemment), des pasteurs mariés, le féminisme. Il met en garde devant l’état spirituel et physique de l’Église protestante qu’il ne trouve pas bon du tout, et la sécularisation y est bien plus forte que dans l’Église catholique.
Dans sa lettre le pasteur Garth se définit comme un protestant avec un cœur catholique et pasteur lorsqu’il monte en chaire, celle de Martin Luther. Il déplore la protestantisation de l’Église catholique comme un grand malheur. Alors que d’après lui, actuellement le monde a bien besoin de la marque catholique dans la spiritualité, de la fidélité au pape, de la piété mariale et de l’exemple des saints de l’Église. La couleur de la foi chrétienne doit garder son intensité particulière, propre à l’Église catholique.
Il rappelle que le chemin synodal dans les églises protestantes d’Allemagne à l’époque du troisième Reich s’est déroulé dans un contexte où le courant nazie représentait le courant majoritaire. C’est lui qui a intoxiqué et gauchi les débats, et spirituellement a paralysé l’église protestante avec un démon nazi. Il a aussi rappelé que l’histoire de l’Église protestante du troisième Reich a été marquée par des trahisons de la foi. Excepté le pasteur luthérien Dietrich Bonhoeffer, exécuté en 1945 pour la tentative d’assassinat d’Hitler.
Réformer l’Église oui, supprimer le célibat et ordonner des femmes comme prêtres sur le fond des solutions proposées au problème de pédophilie non. Que ce soit un bon prétexte pour accélérer la vitesse avec laquelle l’Église aborde ses propres réformes, oui. Que l’on se tienne qu’à la nécessité de répondre selon les standards du monde, non.
Le Cardinal Sarah a coécrit avec le pape émérite Benoît XVI un livre très intéressant intitulé le Cri de cœur. Sur le célibat, le livre est convaincant pour le lecteur que je suis, or, il l’est moins sur l’accès des femmes au sacerdoce.
Visiblement il faudrait une armée de bons théologiens pour avancer sur ce sujet aussi. Espérant que l’Église ne va pas retomber dans les travers d’une dynamique politique où l’idéologie dominante, d’où qu’elle vienne, ne soit le moteur principal d’action et de réformes. Mais de l’Esprit Saint qui de toutes choses fait de choses nouvelles. C’est une bonne nouvelle qui met le cœur en joie.