Bien être et bien dire, tout le monde y aspire. Aujourd’hui c’est sur le bien dire.
Quand j’étais un jeune prof à Paris, je pensais que pour être un bon prof, il fallait tout dire. Plus tard, j’ai compris que pour être un bon prof, il fallait bien dire. Et enfin, j’ai compris que pour être un bon prof, il fallait savoir ce que l’on veut dire, et le dire le mieux possible. Ni exhaustif ni esthétique, mais avec un objectif téléologique.
A mon époque, là où j’étais, pour enseigner il n’y avait pas vraiment d’école de formation pour savoir comment former. La formation sur le tas a des avantages, mais aussi des inconvénients. Les premiers sont liés à la nécessité de faire attention à ce que l’on dit et l’effet que cela produit, l’inconvénient, c’est que cela peut coûter cher, surtout si on a l’esprit certes vif, mais un peu brouillon.
C’est comme pour un pâtissier qui, sans expérience, se lancerait dans la production commerciale des gâteaux, dont il ne maîtrise absolument pas le savoir-faire. Et ça passe, ou ça casse. S’il est facile de rater, pratiquement tous les chemins y mènent, il y a peu de chemins qui conduisent à la réussite. D’où la nécessité de la formation préalable avec la vérification et “diplômes”, qui sont des passeports pour conquérir les marchés. Pas forcément uniquement ceux octroyés par les écoles spécialisées, mais aussi ceux obtenus à la suite de la validation de leur expérience par leurs maîtres, et qui de fait, parfois n’ont pas besoin d’un circuit scolaire habituel pour réussir dans leur métier.
Quel est l’objectif de notre vie, comment y parvenir. La vie, on l’apprend sur le tas et c’est sur le tas aussi que l’on tire des conclusions transitoires pour éventuellement corriger le tir ; changer d’orientation professionnelle n’a rien de déshonorant. Combien de personnes le font, cherchant à mieux ajuster leur désir et leurs capacités au réel tel qu’ils le perçoivent. Les choses deviennent plus compliquées lorsque le changement concerne le partenaire de vie, et surtout lorsque la vie de la progéniture est engagée.
Éclairé par cette distinction entre trois étapes de prise de conscience de ce que veut dire être (bon ?) prof, et cela vaut pour tous les aspects de la vie, je me suis lancé dans cette réflexion sans plan préétabli, ni idées préconçues, juste de quoi vouloir avancer dans cette description, à l’aide de laquelle la clarification de la pensée est possible, souhaitable même.
Toute notre vie est marquée par des prises de conscience successives de notre présence au monde. Jetés dedans une fois expulsés du ventre de notre mère, nous avons appris d’abord à chercher de l’aide. Il n’y a pas de cris, de pleurs, ni de colères qui seraient à bannir de l’arsenal des moyens dont dispose le petit, qui d’ailleurs ne sait même pas qu’il cherche de l’aide, car tout basiquement il exprime son mal être.
Puis, nous avons appris à faire notre place au soleil pour finalement nous y installer le plus durablement possible, peu importe si cela plait aux autres ou pas. Composer avec les circonstances est devenu notre sport favori pour vivre, mais, souvent nous ne voyons pas bien la différence entre vivre et survivre.
Heureusement que notre compréhension de nous-même et du monde est progressive, comme le vieillissement du corps et du cerveau, mais pas vraiment nécessairement celui de l’esprit. Lui qui en principe s’améliore en engrangeant les effets des expériences, y compris négatives du vieillissement corporel et intellectuel.
Bien dire est toujours difficile, Jésus lui-même n’a pas toujours réussi à bien dire, pour se faire comprendre du premier coup. Les évangiles notent que les apôtres n’ont pas toujours compris ce qu’il voulait dire. Alors, nous, encore moins. On connaît la règle de la reformulation comme moyen pour se faire comprendre. Bien dire veut dire de façon différente la même chose, car ce n’est pas l’efficacité dans le temps qui compte, mais le fait que l’on prend du temps comme facteur favorisant l’efficacité dans la communication. Tout ce qui est dit à la va vite, rarement est concluant, l’objectif de se faire comprendre est plutôt raté. Ou alors, est seulement réussi, d’ailleurs bien involontairement, le fait de provoquer une réaction négative, ce qui n’était aucunement notre objectif. Une réaction pleine de défensive est déjà une condamnation d’un mal dit. Le bien dire n’échappe pas au danger de mal dire, d’où le besoin de réflexion préalable et de reformulation postérieure, car bien dire c’est réussir à se faire comprendre sans traîner toute une dose d’affection négative qui éloigne du porteur de message et du contenu originel de celui-ci.
Nous connaissons tous des personnes qui sont capables d’une neutralisation des mauvais sentiments, et c’est un grand art lorsque ceci par-delà le professionnalisme est connecté à la vérité de la personne elle-même. A quelques minutes de l’émission de la messe des Rameaux en direct depuis la paroisse d’Eaubonne ou j’ai été curé, le micro ne fonctionnait pas. Il fallait le changer immédiatement, il restait je crois deux minutes avant le départ de la sacristie pour commencer à la seconde près. Le stress est alors monté d’un cran, amplifiant celui déjà bien présent dû au fait que d’entrée de la célébration, il fallait dire une introduction apprise par cœur, aucun souffleur à la ronde. C’est alors que le responsable de la préparation a dit juste quelques mots qui ont fait dégonfler la baudruche d’angoisse qui empêche de respirer. Appréciable est alors le bénéfice pour les deux parties. Bien dire au bon moment c’est certainement mieux que bien dire sans que ceci soit vraiment perçu comme “parlant” car déconnecté d’un intérêt immédiat pour le corps et ou pour l’esprit.
Nous connaissons aussi des personnes qui sont, à l’égard des rapports entre les paroles et les sentiments, dans une neutralité “décevante”, un masque qui de l’intérieur vers l’extérieur ne transmet aucun message, ni apparemment aucune réaction négative de l’extérieur vers l’intérieur non plus. Un tel art de la diplomatie ne connaît pas de frontières, il est proportionnel à l’influence qu’exerce l’éducation dans certaines cultures et certains milieux. Rester de marbre ou parler pour ne rien dire, sont deux solutions payantes à court terme, et souvent c’est mieux ainsi. Mais le long terme se rappellera aux bons services et saura demander le solde de ce qui était initié, mais jamais clos.
Nous connaissons aussi des personnes qui ne savent pas bien parler, qui heurtent les oreilles et provoquent des sentiments négatifs, et ce n’est pas seulement la question de milieu et ou d’éducation. Parmi ces personnes, il y en a qui inconsciemment se mettent en situation de danger de mal dire afin de provoquer une réaction de sous-estime à l’égard d’elles-mêmes, et ceci sera conforme à ce qu’ils pensent d’elles-mêmes. S’y cache non seulement une maladresse dans la conduite d’un comportement d’ailleurs logique, s’y trouve aussi le cri au secours pour chercher dans les profondeurs de l’être ainsi écorché.
Nous connaissons aussi ceux qui, avares de mots, s’expriment seulement pour dire quelque chose qui souvent serait une pépite à retenir. Ils excellent dans le bien dire en ne disant presque rien. Ils ne sont pas forcément des cachotiers de leur misère, ils sont orientés vers le bien dire par le fait de chercher à tout prix à éviter de trop parler pour ne pas se tromper. D’une prudence à l’opportunisme il n’y a qu’un pas.
Bien dire quoi, à qui, comment… ?
On connaît tout cela, mais il y a des moments où on sait quoi dire sans pour autant avoir quelqu’un à qui le dire. Le bien dire dans un confessionnal par exemple est surtout celui de la part de Dieu qui annonce la libération. Un apriori positif de la part d’un Dieu qui pardonne est inouï, à peine audible surtout pour les oreilles qui sont exercées à s’entendre dire : tu peux avancer tout seul sans le dire.
En attendant :
“Dieu vit (et dit) que cela était bon”.
Le récit de la création part de cet apriori positif, et on peut dire que c’est bien dit, dans la mesure où cela conduit à établir (et faire durer) la relation amicale entre le Créateur et la création. Bien dire, c’est reconnaître du bon chez l’autre, le véhicule linguistique est un support, mais parfois on dit mieux sans rien dire, surtout lorsqu’on communique l’indicible de la vie.
Sans doute on parle trop, les moines l’ont compris, et les réseaux sociaux comme canaux d’échanges d’information sont saturés de mal-dits, pas seulement grammaticalement ou avec une mauvaise orthographe. J’ai débranché le correcteur automatique de mon téléphone, tellement les coquilles parcouraient le texte en y faisant la joie des sous-entendus involontaires, si ce n’est pas simplement l’illisibilité du message. Facile de condamner par contumace, de juger sur la base de preuves dont la teneur se manifeste aux yeux rapidement parcourant le message sans le lire en entier (je parle déjà pour moi-même), plus difficile est de se détacher des a priori condamnant à perpétuité.
D’autant plus grande est alors la tentation de prêter docilement une oreille à des paroles bien claires, faciles à comprendre, à notre hauteur. C’est préférable en effet dans toute relation langagière de savoir se mettre à la hauteur de son auditoire et ou de son interlocuteur. Tout en essayant de le tirer vers le haut. Il n’y a pas que les enfants qui ont le devoir d’apprendre des nouveaux mots pour pouvoir s’exprimer plus précisément et construire des concepts qui leur permettront de construire un raisonnement dans lequel l’application professionnelle ou existentielle sera possible à un moment de la vie. Les adultes ont aussi le devoir d’apprendre. “Je ne suis pas croyant et je dis (bien !) que je ne peux pas avancer sur le chemin de la connaissance chrétienne par exemple”. “Je ne peux pas” est alors synonyme de “je ne sais pas” comment pourrais-je faire autrement, et finalement pour conclure que je “ne veux pas”. Ceci a une allure de bien dit tout en étant vite dit. Et on passe à autre chose. Les stratégies d’éviction sont d’un secours immédiat efficace, mais elles ne rendent pas service à long terme, car au fond, elles n’aident pas à si bien dire.
Comme si les croyants étaient figés dans leur croyance et, à l’image des non croyants, n’avaient aucune possibilité d’évoluer dans un sens ou dans un autre. Mais dire ce que l’on est, tout en s’interdisant de dire ce que l’on pourrait être, est sans doute plus rassurant que de prendre le bâton de pèlerin pour parcourir des chemins ou le bateau pour voguer sur des eaux incertaines, où on apprend à bien vivre et donc à bien dire. Le bien dire exprime le bien vivre, sans statuer sur la qualité que ces deux peuvent recouvrer.
Préserver ce que l’on a est un objectif de survie, explorer ce que l’on n’a pas encore (surtout compris) est le propre d’une vie ouverte. Est-ce vraiment d’inspiration divine que d’exercer une vie ouverte ? Probablement, car sans une telle ouverture, impossible serait l’aspiration vers lui, tout autant que l’accueil de sa (bonne) Parole.
Je ne sais pas si tout ce que je dis est bien dit, cela me pousse à l’examen de conscience de ce que je dis et comment. Pourquoi certaines paroles me vont droit au cœur et d’autres non ? Et entre ce qui se communique et ce qui y fait obstacle, il y a des paroles insipides : c’est creux, c’est une mascarade, c’est un habillage par les mots pour ne rien dire, et en attendant occuper le terrain, ça au moins c’est (très) payant. Je me souviens des émissions à la télé française ou l’animateur était toujours aussi policé, toujours accueillant, toujours avenant qu’on finissait par se demander si ses paroles pour bien dire étaient pour faire uniquement de l’audimat.
Je ne suis pas là pour chercher une bagarre verbale, mais parfois je préfère pousser le bouchon un peu plus loin pour faire sortir l’autre de sa réserve. Certes, je ne fais pas partie de ceux qui savent dire la vérité avec une élégance divine, celle à qui on ne reproche rien, mais attire l’attention sur un point particulier. Décidément, il n’y a que l’élégance divine pour exercer l’art de bien dire. Mais il n’est jamais trop tard pour se soigner en acceptant d’abord le diagnostic ou prendre les remèdes qui vont aider à être un peu plus près de bien dire. Toujours dans l’à peu près, cela va sans le dire.
Le temps de l’Avent préparait les fidèles à la fête de Noël pour célébrer l’Enfant. L’enfant est celui qui ne sait pas parler, mais ce sont les autres, ses parents, les bergers, les anges et tous les autres innocents qui parlent. C’est dans leur innocence qu’ils parlent bien, comme un enfant qui n’a pas de retenu, ce qui parfois indispose les adultes. Que disent ceux qui sont autour de la crèche ? Ils disent que le meilleur de l’humain est appelé à se faire connaître et faire valoir pour se laisser grandir. Avec cet Enfant, c’est l’histoire d’une humanité augmentée qui marque une nouvelle ère, celle de l’audace de croire en l’Amour, la seule réalité qui ne pourra jamais disparaître.
Que cela plaise ou pas, indispose ou prédispose, appose ou propose, se retient ou ose, personne n’est virtuose du bien dire. Chacun peut participer à la symphonie de tous les “sans voix” qui se font entendre par de tels porte-paroles.
On aurait pu se dire tout ça ailleurs qu’au café d’en bas ; Je sais bien que je te l’ai trop dit, mais j’te l’dis quand même (chanson de Patrick Bruel).