1.   Le brouhaha avant la fête.               

 

Dans la première partie je propose d’entendre les bruits de la rue, où je me promène et croise des Français, bruits auxquels j’ajoute parfois les miens, tout se mélangeant dans une cacophonie que les élections européennes et françaises sont en train de démêler pour identifier ceux qui ont raison et ceux qui ont tort.

 

Démocratie, liberté, le gain, un subtil glissement de la devise liberté, égalité, fraternité avec la démocratie qui se cherche et le gain que l’on cherche. L’accent est à mettre sur la liberté, car si la liberté n’y est pas, la démocratie se perd, parce que l’on y ment sur la situation réelle. Comme si dans la démocratie on ne mentait pas !? La liberté de mentir est appréciée différemment suivant le régime et la capacité à en user. Donc parlons vrai !

 

“On ne ment jamais autant que pendant les élections, pendant la guerre et après la chasse”, dixit le vieux Clémenceau. 

 

Se battre pour la liberté, c’est se libérer du monde capitaliste, de son exploitation ; la déflation, un respect de la nature s’impose… La ligne rouge pour savoir où s’arrête la liberté du citoyen est bien visible en Chine et aux États-Unis. Mais pas en Europe. Laquelle se cherche, d’abord elle-même. C’est pourquoi elle n’a pas encore trouvé sa propre ligne rouge. Ligne au-delà de laquelle elle serait capable de dire : non possumus. Pour le moment, elle n’existe pas, ou alors si on l’aperçoit, elle est flottante, instable, comme la météo de la zone prétendument dite tempérée.

 

L’Europe politique, non, car cela tue la particularité. Le patriotisme ne peut pas avoir les dimensions d’un continent qui s’était fait une renommée par sa diversité, alors que là, on nous soumet aux diktats de Bruxelles. Nous voulons être libres de décider de notre destin.

 

En France, et pas seulement, le refus du modèle actuel de société chez les jeunes est de 70 %, il est réparti de façon à peu près équilibrée entre l’extrême gauche et l’extrême droite. C’est à croire qu’ils ont même devancé les adultes. Interpellé dans la rue de Paris par un groupe de jeunes, la bière à la main et depuis déjà un certain temps aussi dans le corps, me demandant si des boxers votent plutôt à gauche ou plutôt à droite. D’un commun accord nous concluons kif kif.

 

Le gap entre deux France, éduquée et celle qui ne l’est pas, semble signer la fracture sociale et politique. Pour l’éducation, l’Asie a une vision à long terme, obéissance avant tout. Le laxisme occidental est la source de tous les vices que les autres arrivent à juguler. Même le pape n’est plus gardien de la morale.

 

La guerre entre l’investissement privé et public prend des dimensions planétaires. Travailler plus avec les investisseurs privés, une solution pour les uns, réglementer l’économie par les règles environnementales et dans le souci d’une meilleure répartition des richesses pour les autres. Changer totalement le gouvernement de l’Europe. Self centership est très difficile à combattre. Et ça passe par la France.

 

La fin d’un monde, pas la fin du monde !

 

Ces quelques expressions, glanées ces derniers temps au cours des rencontres, enrichies indistinctement des miennes, semblent résumer la situation de la France au lendemain des européennes, suivies de la dissolution du parlement par le Président de la République. Les élections, dont déjà les résultats envisagés semblaient prendre de court les uns, réconforter les autres. Et là, les dés sont jetés. Rideau. 

2.            Premier acte : l’inertie en action

 

Et les urnes ont parlé. De quoi ? Des changements tant attendus, du ras le bol du vieux monde, dans une ambiance d’euphorie qui masque une générale inertie. C’est l’hypothèse que je présente d’un œil humain légèrement teinté d’une couleur bleue du ciel désiré auquel la foi autorise parfois, mais qui souvent vire au gris turquoise quand la météo agitée s’y reflète.

 

L’inertie est partout, chez ceux qui agissent et chez ceux qui font profil bas. L’inertie de ceux qui n’ont pas voté, ni aujourd’hui ni hier, l’inertie de ceux qui ont voté aujourd’hui, alors que pas hier. Celle aussi de ceux qui votent toujours pour les mêmes et ceux qui n’ont pas bougés dans leur positionnement, alors que les parties en perte de vitesse ont déplacé leur curseur. Vers les extrêmes. En laissant du vide au centre.

 

Tout semble bouger, mais dans un mouvement lent, impulsé par les constellations d’intérêts qui se croisent et s’entrechoquent, donnant parfois l’impression de faire accélérer l’histoire. Quelle histoire ? Celle sans issue. Mais après quelques secousses tout redeviendra “normal”. L’ordre règne déjà dans certaines têtes, la preuve suprême de l’inertie, précocement visible.

 

Pour le moment, l’heure est à l’agitation momentanée, l’heure est à une refondation, avec le droit de démolir avant de reconstruire. Le droit que certains s’octroient par la voie légale, électorale, alors que d’autres par l’action directe, sans demander l’autorisation à qui que ce soit. Si les urnes parlent d’un côté, la rue ne va pas se taire de son côté. Qui ne tente rien n’a rien. Il y a encore peu, on pensait qu’il suffisait d’être docile au progrès technique, de s’accommoder avec le précaire de la vie sociale, et tout le reste suivra. L’inertie généralisée d’hier est remplacée par celle d’aujourd’hui. L’une durant le temps de paix, l’autre pour le temps des troubles. Les troubles, dont tous espèrent d’une durée la plus courte possible, plutôt on en finit, mieux ce sera, car l’inertie malgré tout n’aime pas trop que les troubles l’assaillent trop. Si l’inertie en temps de paix et en temps de troubles est fondamentalement la même, celle dictée par l’instinct de survie, bien qu’adaptable à toutes les situations, préfère, et de loin, les périodes de somnolence à celles de réveil, même momentané, mais toujours dérangeant.

 

Malgré quelques soubresauts du passé récent (banlieue en feu, gilets jaunes en action etc…), à caractère bien hexagonal, local, l’inertie a persisté en plongeant la société dans un état comateux, une sorte de léthargie anesthésiant le rapport aux problèmes du pays : personne ne voit de solution, surtout ceux qui gouvernent, souvent en déconnexion quasi totale avec le cours du monde. Le caractère « provincial » (en polonais zasciankowy de l’epoque de Liberum Veto) de la politique de la vision de l’histoire à la polonaise apparait ici. Or, surtout actuellement, ce qui se passe localement a des répercussions bien plus larges et plus profondes que ce que l’on s’imagine avec la fleur au fusil pour chasser le mal de nos contrées, le mal dont les autres nous infectent. Assez durait.

 

Les masses restent toujours dociles, c’est leur façon d’exprimer l’inertie. Les grands événements ont toujours été affaires de quelques-uns, l’inertie pour ou l’inertie contre, on s’y engouffre massivement. Je n’ai fait que suivre les ordres, j’ai aussi un cœur.

 

Une telle inertie, présente à des degrés différents dans tous les pays (obéissance, accord tacite ou soutien effectif) ne date pas d’aujourd’hui, ou seulement d’hier. Paradoxalement elle a toujours été le moteur principal des changements opérés par quelques leaders, un accord tacite suffit, et si besoin, on va réactiver un tel soutien grâce à quelques grandes messes orchestrées par quelques mercenaires, spécialistes des grandes cérémonies qui en imposent.

 

L’inertie dans les périodes de paix (pour rappeler, à distinguer de celle de période de guerre ou elle prend une forme de survie plus cruellement réelle) est due au fait que la valeur des traités signés entre les belligérants pour clore un conflit ont une valeur immuable dans les périodes de paix. L’ordre nouveau contre lequel on ne peut rien. La loi du plus fort. Après Yalta, les accords de Minsk, sans oublier tous les traités à l’amiable pour figer les accords obtenus en situations de suprématie. A ce titre tous les traités sont inégaux, même ceux conclus entre les hommes et les divinités, à charge pour ces dernières de prendre la plus grande part de responsabilité. Encore l’inertie.

 

Tout le monde s’y accommode, jusqu’à la prochaine confrontation que personne parmi les “censés” n’envisage de provoquer, surtout si l’on est bien là où l’on est. Il n’y a pas de paix à l’intérieur d’un pays, si elle n’est pas assurée aux frontières, terrestres-aquatiques, horizontales ou verticales, physiques ou mentales. Fini le vagabondage (rêves de quelques épris des hauteurs népalaises, des Andes ou des îles exogènes), le retour à la maison est sifflé, et s’il n’y a pas de maison, il faut la trouver quitte à la construire, même dans les maquis sous forme de paillote.

 

Et pourtant, l’autarcie n’est bonne pour personne, les pays isolés deviennent non autosuffisants et les frontières sont devenues polyandriques, mais plates, comme les étendues des plaines entrecoupées de fleuves peuvent l’être, plates, même quand les chaînes de montagnes ou la mer les désignent, plates jusqu’à la platitude des verticalités lorsqu’on les bascule à l’horizontal et avec elles la transcendance qui ne peut qu’être gérée localement, les frontières obligent. Les aspirations ne sont plus que les réalisations des besoins des autres. Mais les fuites sont toujours possibles. La méfiance règne. Et avec elle la malédiction de ne pas savoir à quel saint se vouer. Finalement, le mieux, c’est faire le mort. Pour l’inertie ad mortem, c’est garanti, mais pas pour celle de post mortem, ou, de nouveau le corps mort, sous l’effet de la loi de la nature qui recompose tout, va se mettre à bouger.

 

Pause pub : je vous prends tant, ou plus, et ce en échange de la réalisation de mes besoins, auxquels les vôtres sont accessoirement attachés. Rien de libre désormais, ou plutôt aux frontières terrestres s’ajoutent, toutes aplaties, celles qui viennent du ciel, aériennes et même interstellaires. Encore mal définies, parfois insaisissables, mais étant consignées dans le rôle de murs invisibles, boucliers aériens constitués des technologies modernes et des modes de penser, leurs positionnements bien identifiés. Dans les deux cas c’est pour protéger de toute intrusion; ceci est chez nous, cela est chez vous, et discutons ensemble pour savoir comment envisager des relations, contacts et échanges qui en résultent pour notre bien, le nous étant clairement identifié, lui aussi. Les échanges commerciaux deviennent de moins en moins libres. Une fièvre de bougeotte prend tout le monde. Mais la fièvre d’y croire prend les uns et la fièvre de vouloir y croire les autres.  

 

En parallèle à ces agitations bien visibles, l’inertie est presque toute puissante. Si la catastrophe arrive, c’est sans notre participation, de toutes les façons c’est la faute des autres. Des aveux semblables ne proviennent pas seulement des hauts alpages européens, ils résonnent en plein chez ceux qui battent leur mea culpa sur la poitrine des autres, et en creux chez ceux qui se constituent partie civile de la défense des innocents outrageusement accusés de crimes qu’ils n’avaient pas commis.

 

Qu’est-ce que c’est agréable, car préférable de ne pas se sentir concerné, au moins là. Ou alors se sentir concerné par le soutien de ceux qui ne se sentent pas concernés. Et ce n’est pas seulement la question de savoir combien de citoyens se déplacent pour participer aux décisions qui lient leur avenir ? N’être satisfait d’aucun candidat, rend la participation difficile. En créer un qui ressemble à notre image, à moins de se lancer dans la bataille avec son propre produit, mission impossible, donc l’on s’abstient. En espérant que, malgré des troubles ailleurs, une certaine paix, surtout “bien” notée, peut continuer à garantir la stabilité de revenus, sinon plus, mais c’est au prorata des occasions que les conflits fournissent, et si besoin au prorata de la morale, sans scrupules. 

 

Et si on se résout à ne pas rester tranquille, on a des ressources, l’esprit révolutionnaire est bien présent chez les Gaulois toujours prêts à dire qu’ils ne sont pas d’accord. Ils cherchent seulement des occasions favorables pour le faire. Peu importe si les solutions de rechange sont réalistes ou comme nous décrivent les voisins d’outre-manche, fantasques, nourries d’illusions. Les solutions, quant à elles, ne demandent pas mieux que d’être confrontées à la réalité. Mais pas leurs auteurs, qui, une fois étant obligés de l’admettre, partiront chasser sur d’autres cieux, la survie des personnes remplacera vite celle des idées, sans même parler d’une certaine notion de bien commun qui y est attachée. On est tous impatients de savoir comment cela va évoluer. 

3.            Deuxième acte : Ordnung muss sein

Mais, quoiqu’il en soit, tout le monde est d’accord, en attendant, il faut mettre de l’ordre. Et pour mettre de l’ordre, il faut passer par des zones de désordre, momentanées bien sûr, pour un temps, ou deux temps, selon le rythme de tango à trois temps. En prémices d’un tel dérèglement, un règlement de comptes s’impose. Et les comptes sont lourds de conséquences, surtout ceux qui concernent les caisses de l’État qui gouverne mal, la preuve, s’ils nous avaient écouté avant, on n’en serait pas là. Et maintenant ça craque de partout.

 

Et pour remplir les caisses des lingots d’or, de façon plus ou moins fantasque, cela s’accompagne d’abord d’un remplissage de réservoir de confiance que l’on accorde de bonne ou de mauvaise grâce. Les deux étant chroniquement troués, l’inertie est aussi dans ce regard désabusé qui se contente de constater les faits, sans pour autant agir, non pas pour les colmater (ce serait une illusion conduisant vite à l’inertie paralysante), mais les remplir suffisamment vite pour ne jamais être à sec. Shadock en action.

 

Et aujourd’hui on se réveille avec le mal de crâne pour ceux qui y ont pendant si longtemps mis des anesthésiants à haute dose pour refuser la réalité, et avec un mal de gorge pour ceux qui ne se sont pas privés de crier victoire. Le crâne est pris à la gorge de ses propres fantômes qu’il croyait inoffensifs car endormis à l’aide d’un puissant anesthésiant administré lors de la séance de chacune de campagne électorale précédente. Et lors de la gestion entre les deux, aussi.

 

La gorge, quant à elle, est prise d’un sans-gêne entêté que connaissent les vainqueurs, confrontés à la rude épreuve de pouvoir non seulement y arriver, mais surtout l’exercer en servant autre chose qu’eux-mêmes. Certes, tous les actifs, les engagés pour une cause ou son contraire, sont d’accord quelque part pour sacrifier une partie d’eux-mêmes, surtout celle qu’ils envisagent comme susceptible d’être acceptée de bonne grâce. Même la baisse de revenus pour faire réussir l’augmentation du niveau avant tout celui de considération pour les valeurs toujours défendues, dont la voix silencieuse car étouffée, enfin peut être entendue ? C’est dans le meilleur des cas ! Deux visions du monde diamétralement opposées, dont une majoritaire à caractère universalisant, l’autre pour la beauté de la symbolique de ce qu’est l’humain (gestion de début et de fin de vie), s’affronte par des voix prépondérantes porteuse de l’inertie qui obéit soit à la tendance générale, soit au chef (fusse Dieu). 

 

Et pour tous, c’est la fin d’un monde, celui totalement ouvert et à ce titre disponible à ce que l’on désire, « enjoy mill » du passé. Mais on s’y accroche, on répète en boucle, on ne lâche rien, donc tout ou rien, surtout tout lorsqu’en fait, enfin les urnes ont parlé, en vérité. On laisse aux spécialistes de savoir ce que veut dire parler vrai. La vérité la plus criante, là voici :

 

Moi, je n’ai jamais bougé de ma position politique, avoue une amie à un ami, si encore naguère j’ai voté centre droite, aujourd’hui je me trouve de facto à l’extrême droite, sans vraiment vouloir être de droite extrême. 

 

Cela ne nécessite pas d’explication particulière, car ce déplacement de curseur est mécanique, dans la mesure où les sensibilités politiques se déplacent du centre vers les extrêmes, ce à quoi le wokisme et d’autres parties insoumises contribuent. 

 

Même si au XIXe siècle, on n’avait pas la moindre idée du wokisme, les règlements des comptes obéissaient aux règles semblables. Solder le passé par son amélioration future. Les nationalismes naissants de l’époque, fournissant à l’échiquier politique des ressources nouvelles pour alimenter les ‘“forces du progrès”, se sont, au profit de l’internationale qui les a englobés et soumis à son service, trouvés en situation d’esclave ; et si résistance, elles ont été expulsées vers les zones des forces obscures qui régnaient sur le flanc extrême droite de l’échiquier politique. 

 

Aujourd’hui les extrêmes, de quelque bord que ce soit, sont désormais considérés comme la norme, alors que le centre, jusqu’à lors jouissant d’une réputation de “casques bleus” chargés du maintien de la paix sociale, de façon aveugle, ne joue plus son rôle. En servant jusque maintenant de rempart, le centre devient un ventre mou, qui désormais perdant tout gainage si bénéfique naguère, n’étant plus capable de protéger contre les coups durs, finit par se préoccuper de lui-même, surtout. Les ambitions politiques, comme tout autre, ont toujours étaient opportunistes, le juste retour n’est qu’une justice enfin rendue. 

4.            Troisième acte : Et Dieu dans tout cela? 

 

Que l’on me pardonne une telle simplification dans la description de la situation actuelle. Je n’interviens dans mes podcasts qu’à partir de la vision chrétienne du monde que j’essaie de présenter, à mesure que leurs préparations et rédactions me permettent de la préciser. Sans jamais être totalement satisfait des résultats, ni sur le plan du contenu, ni celui de sa clarté. Si je me lance dans ce sujet, d’une actualité brûlante, ce n’est pas pour mettre le feu aux poudres, mais pour essayer de comprendre quelle est la meilleure attitude chrétienne à adopter par action, par pensée, en parole. Sans exclure pour autant qu’elle soit aussi empreinte d’une omission, après tout, l’omission est un puissant levier de l’inertie à laquelle le chrétien n’échappe pas. Sans non plus lui faire jouer le rôle de pompier de service, un rôle tout légitimement attendu d’une religion, et voici pourquoi. Chercher la paix de Dieu, celle que Jésus donne, c’est bien plus que chercher l’apaisement, même si, si l’on ne se perd pas en chemin, cela conduit à la paix de Dieu.

 

Tout signe d’apaisement envoyé de façon artificielle serait considéré comme une trahison. Certes, dans la vision sociale de la place de toute religion, on est en droit de s’attendre à s’employer à panser les plaies chrétiennement à l’aide des anesthésiants fournis par l’amour du prochain qui endure tout. Tout en se taisant ? Hélas, justement, en adoptant une telle attitude de soumission, ce serait se tromper dans l’usage des anesthésiants pacifiant appliqués à la politique durant les trente glandeuses, (qui ont suivies les glorieuses ?) et tromper les concitoyens. Plutôt que ceci, il vaut mieux cela : exposer la place du christianisme dans la compréhension de la société (moderne).

 

Quitte à le répéter, rendez à César ce qui est à César (Jésus) ne dispense pas du devoir de prier pour ceux qui nous gouvernent (st Paul), le second étant le développement du premier dans la mesure où tout pouvoir est donné par Dieu (Jésus lors d’un échange en vérité avec Pilate). 

 

Prier par intérêt, prier par dépit, ou en dépit (de bon sens ?). Prier par peur tout court, comme dans cette blague, ou le missionnaire attrapé par le lion supplie Dieu d’inspirer la bête d’un esprit chrétien, en réaction à quoi, la bête sauvage touchée par la grâce (nécessairement divine) se met à genoux en demandant à Dieu de bénir ce repas… on imagine la suite. 

 

La bonté se nourrit de la méchanceté des gens mauvais, c’est dans la version purement chrétienne, sans doute exagérée, car répondant davantage à l’attente de l’extérieur d’une certaine vision du christianisme. Au moins eux, ils sont capables de boire le poison sans être empoisonnés, alors que les gens normaux, dont nous voulons faire partie, non seulement n’en sont pas capables, et qui plus est, ne le veulent pas.  

 

À quoi bon déranger le maître des noces (à Cana en Galilée), il faut se débrouiller avec nos propres moyens ; les miracles, c’est pour les faibles, empressés d’obtenir les bons résultats de la transformation sociale sans effort particulier. Et si après tout, ils veulent prier, cela les regarde, pendant ce temps-là, ils ne nous ennuient pas avec leurs revendications rétrogrades de la défense de la vie et de sa prétendue dignité. Chrétiens, rangez-vous dans un camp ou dans un autre, mais surtout obéissez, l’idéologie politique, ce n’est pas pour vous, laissez cela aux grands. D’incandescence à l’arrogance, il n’y a qu’un pas. 

 

La bonté (comme si les chrétiens en avaient le triste privilège d’exclusivité) se nourrit de la méchanceté des gens mauvais. Dans ce qui est de l’axe du mal, on a déjà donné, tout messianisme à usage politique n’est que cristalliseur des bonnes intentions qui consistent à vouloir sauver la civilisation chrétienne par le détour en Asie, (en Amérique, on l’a déjà fait). Le christianisme a grandement contribué à l’apparition du messianisme, en contribuant à renforcer le messianisme politique. Si l’on vous dit, le messie est là, ou là, ne le croyez pas, dixit Jésus, qui apparemment savait ce qu’il disait, et pour cause !

 

Or, dans la version originale de cette expression, c’est la méchanceté des gens mauvais qui se nourrit de la bonté des bons. Peu importent où sont les uns et où sont les autres, dans les proportions les moins désavantageuses pour nous, chacun l’espère, cela concerne aussi les chrétiens. Trop de politique dans l’Église, j’ai encore entendu cela récemment, non sans raison, si l’Église fait de la politique politicienne, comment en attendre des éclairages les plus objectifs possibles sur ce qui se passe dans la gestion de la vie de la société par ceux qui en sont chargés par un mandat populaire (et divin ?).

 

Le problème des gens mauvais, même s’ils acceptent ce qualificatif, tout au moins en partie, c’est qu’ils considèrent que c’est sans aucun doute pour une bonne cause. Avec les bons, c’est pareil, s’ils acceptent tout au moins en partie ce qualificatif peu enfonçant, c’est pour mettre une réserve, à savoir qu’il leur arrive de ne pas l’être toujours ; si malgré tout on y insiste pour mettre en avant de telles qualités, ils vont s’excuser de l’être par nature, par grâce, en aucun cas par leur propre mérite. 

 

La foi chrétienne que je distingue de la religion, son entourage, emballage, montgolfière et son ballaste (ce qu’est le corps pour l’âme), tente à se maintenir sur la ligne de crête entre les idéologies qui l’attirent et celles qui la repoussent. C’est quand elle est exposée au témoignage que l’on attend d’elle, qui est pour nous, qui est avec nous, qui rassemble et dans quelles dimensions et qui disperse qui et pourquoi ? Alors que lorsque la foi rentre chez elle, comment se nourrit-elle aux sources d’eau vive ? Nourrie par les eaux pures de baptême, elle va rarement à la source véritable, en s’arrêtant en chemin près des ruisseaux qui drainent des alluvions diverses de la terre. C’est plus court, plus facile et plus immédiatement satisfaisant pour la vie quotidienne.

 

Les chrétiens connaissent la ligne rouge entre les bons et les mauvais, mais concrètement, de peur d’être pas seulement orgueilleux, mais de passer pour des boniches du service publique, ils expriment la difficulté à être eux-mêmes, surtout des gens bons. Et ce n’est pas seulement l’idéologie qui corrode la pureté de la foi qui est la cause d’une bonté constatée avec lucidité. C’est aussi et avant tout à cause de l’ambiguïté de la nature humaine qui parfois ne sait plus sur quel pied danser. Et les chrétiens comme les autres sont pris dans ce tourbillon.

 

Une citation de l’auteur du Petit prince qui dans ses notes consigne la réflexion suivante :

Lorsque les gens retirent Dieu de leur vie, leurs gouvernements deviennent désorientés, les mensonges abondent, les dettes sont innombrables, les réunions sont inutiles, l’éducation n’a pas de sens, les politiciens n’ont pas de caractère, les chrétiens ne prient pas, les églises n’ont pas de pouvoir, les nations n’ont pas de pax, la morale décline.

Antoine de Saint-Éxupéry, Carnets (1900-1944)

La fonction régulatrice de la religion est bien connue. Réussira-t-elle à favoriser la paix, dont elle est par sa naissance chargée. Le réveil politique est possible seulement pour les gens qui sortent du sommeil, les chrétiens sont constamment réveillés par la liturgie qui de façon cyclique tous les ans les fait passer par toutes les phases de la vie, de la naissance jusqu’à la mort, non, pardon, jusqu’à la résurrection. Et pour eux c’est un gentil (liturgiquement symbolique) rappel de sortir de la léthargie grâce à laquelle l’inertie prolifère.

 

Et si la valeur de la foi chrétienne, comme celle du mérite en politique, se mesurait à l’aune de la volonté engagée pour le bien commun localement envisagé, mais universellement connecté ? Au moins on pourra constater les effets de bonnes actions, localement, universellement. Et même dans les cieux ? Peu importe les dommages collatéraux, qu’il faut accepter par principe, et surtout dans les détails ? 

 

L’histoire plus ou moins sainte appréciera et les descendants plus ou moins heureux en goûteront.