La haine mène à Auschwitz

Le pardon a prévalu

La foi a prévalu

L’humanité a déçue

La force vitale gagne !

Témoignage d’Estelle. 

 

Lorsque je suis au Peak chez les MEP ce qui m’arrive parfois, surtout le lundi, je peux me nourrir de la culture française, l’accès à TV5monde et France24 y est possible. Ce lundi 27 janvier tombe l’anniversaire de 80 ans de la libération du camp d’Auschwitz.

La commémoration s’invite à la une des médias, ainsi l’histoire passée en témoin convoque le présent.

Les souvenirs racontés en direct par quelques survivants, par leur rareté deviennent d’autant plus précieux, avec les derniers survivants, dont l’existence fut remplie d’inlassables témoignages en soutien au combat en faveur de plus jamais ça.

Mais comme pour la dernière invasion en Lituanie pour recouvrir les dettes (le sous-titre du livre Messire Thadée, de Mickiewicz poète romantique litouno-polonais), plus jamais n’est jamais sûr. 

 

L’antisémitisme latent fut transformé en antisémitisme salvateur, avec sa volonté d’extirper de la terre tout un peuple. Il est devenu la fierté macabre de tout un système idéologique que la politique aidée par le levier économique a mis en place. Le nazisme, par son populisme, est devenu la puissante machine à tuer. Tuer par balle n’est pas très efficace, le rendement n’est pas assuré, alors que les besoins dépassent les moyens mis à disposition. Pour les soldats, c’est choquant, les yeux bandés de très futurs morts ne suffisent pas pour assurer les bonnes conditions de la besogne. Gaz d’échappement c’est tellement mieux, en plus c’est gratuit, finalement les bonnes conditions de travail rejoignent l’efficacité. À y réfléchir, pourquoi l’on ne l’avait pas trouvé plutôt, quel gaspillage. Avec ce système c’est nettement plus propre, on dirait aujourd’hui, plus écologique. 

 

Je regarde, j’écoute, je m’imprègne des messages qui affluent à haut débit de ces deux chaînes, on n’aura jamais fait le tour de la tragédie. A quoi bon remuer dans la plaie, fermer le livre de la vie avec la mort de leurs noms, noms de leur existence, de leur joie de vivre et de leurs combats qui s’arrêtent là, dans ce lieu, comme pour tout le monde, mais là, c’est bien plus. Cela n’a jamais été ma tentation, mais je l’entends dans le creux de mon cœur venant de la part de ceux qui voudront tourner la page. Mais ce livre ne se ferme pas, il reste ouvert, toujours inachevé, il se prolonge dans la vie de ceux qui restent, se souviennent et font quelque chose pour conjurer un mauvais destin, ceux de leur descendance génétique et spirituelle en particulier. Vie à laquelle tout chrétien est spirituellement rattaché. Tout chrétien est descendant d’Abraham, avec ceux de sa race ils portent ensemble le même destin. 

 

Je coupe la télé, je reviens, je ne décolle pas, tant que je ne décode pas, les prises de parole, leur fluidité ou au contraire leur rythme saccadé empreint d’une émotion qui vient d’outre-tombe, là où la visite guidée est réservée aux initiés, sinon elle devient une violation du domicile des disparus que l’on retrouve seulement là-bas. Se taire en écoutant la mort respirer convulsivement, son halètement saccadé.

 

Je regarde sur internet, les nouvelles sont presque les mêmes. 

 

À la répugnante description de la montée de l’antisémitisme de l’époque, s’ajoute une autre, toute aussi répugnante, faisant partie d’un tout. C’est l’inscription sur les registres “d’heureuse mémoire” d’un Reich millénaire (difficile d’envisager au-delà). Le numéro identifie uniquement ceux qui sont graciés car jugés utiles pour participer à la construction du royaume de la haine. Un peu de reconnaissance de la part des bénéficiaires s’impose ! La puissante administration chargée de veiller sur l’ordre (Das Ordnung muss sein) n’a pas les moyens d’accueillir tous les élus pour le sacrifice rituel de grande envergure. 

 

C’est bien mieux que 500 prêtres de Baal exécutés par le prophète Elie. Les prisonniers, après avoir été joyeusement accueillis en fanfare, finiront leur mise à l’écart et en sûreté dès que le camion sera disponible. Pour les amener dans le dernier voyage qu’ils pourront encore apprécier. Plus tard on disposera d’eux sans leur conscience, ce qui n’est pas à confondre avec le consentement. Comme avant, avec leur corps défendant dans un silence de l’agneau. Finalement, ceux sans numéro, à quoi bon le reporter sur la peau de leur bras, puisqu’il va disparaître dans si peu de temps, ils n’auront même pas le mérite d’être estampillé.  

 

Je m’attarde sur un texte dont voici les extraits.

 

Citations de l’article : 

Enregistrer la mort à Auschwitz : le certificat de décès comme source pour l’histoire de la Shoah

par Eva Bitton & Théophile Leroy in https://lubartworld.cnrs.fr/enregistrer-la-mort-a-auschwitz-le-certificat-de-deces-comme-source-pour-lhistoire-de-la-shoah/

 

Intercalé de mes réflexions.

 

« Le Standesamt […] avait trois fonctions : l’enregistrement des naissances, des mariages et des décès. 

 

“La notification de la mort d’un déporté à Auschwitz-Birkenau signifie que ce dernier a survécu à la sélection à la descente du convoi. A l’inverse, l’état civil des personnes non-sélectionnées, immédiatement conduites vers les chambres à gaz, est seulement inscrit sur les listes de départ.” 

 

L’avantage d’une telle comptabilité est évident, moins de morts à l’arrivée, moins de problème au cas où une visite des représentants d’organisme humanitaire se présenterait. La guerre aussi à ses règles, ne pas alerter les inconscients est pour le bien de tout, y compris pour les inconscients. Quand en 1945 les rescapés des camps vont arriver à Lutétia, l’interminable interrogatoire va les attendre, paraît-il pour débusquer des espions et autres profiteurs y compris. Comment ça se fait que vous ayez survécu ? Personne ne les croyait, être traité de la sorte par les siens, c’est encore et toujours être soumis au danger de mort, cérébrale, cette fois-ci. Ceux qui les accueillent ne pouvaient pas s’imaginer d’où ils venaient, et eux se sont tus. 

 

“Chaque prisonnière reçu un numéro ordinal et remplit un questionnaire. Outre le prénom, nom, date et lieu de naissance, elle devait aussi inscrire le nom de son mari et le nombre de ses enfants, mentionner ses études, son métier et sa dernière adresse. Dans la marge en bas, la direction notait sa date d’emprisonnement, le jour d’arrivée du convoi et le siège de la police ayant envoyé la détenue à Auschwitz. En marge du questionnaire, ils notaient l’appartenance nationale et parfois aussi le “crime” du prisonnier. […] Le questionnaire lui-même, portant la signature du prisonnier, était conservé dans le dossier de la Section politique du camp, sa copie, sans signature, restait au bureau. »

 

Pour recueillir l’identité c’était laborieux, mais nécessaire pour la sûreté nationale-socialiste du Reich. Aujourd’hui ça se serait passé sans doute plus facilement. Mais revenons à l’analyse faite par les historiens. 

 

“L’examen de ce certificat témoigne de la dissimulation, opérée par l’administration du camp, pour travestir les circonstances de la mort. Tout d’abord, aucun indice ne permet de savoir que Auschwitz est un camp de concentration. Il n’y a aucun lien qui relie le décédé à son statut de prisonnier : son matricule n’y figure pas, quant au lieu, désigné comme la Kasernenstrasse – soit la rue de la caserne – il est rattaché à la commune d’Auschwitz et non au camp. Ce phénomène s’observe dans les autres camps de concentration. Au camp de Dachau par exemple, les certificats indiquent, entre 1933 et 1939, le village de Prittlbach, situé à quelques kilomètres, comme lieu d’enregistrement des décès.”

 

Même la notification de la mort, dans une perspective de dissimulation et d’euphémisation sera abandonnée en 1943. Hélas, tout ce qui est fait en cachette, tôt ou tard, sera révélé au grand jour, parole de l’Évangile et peu importe si cette révélation est à prendre en compte dans le sens purement matériel et ou spirituel, devant les hommes et ou devant “les dieux”. 

 

Par exemple, on le sait par les registres destinés à l’administration pénitentiaire, les décès enregistrés comme causés par arrêt cardiaque, étaient répertoriés comme tel pour dissimuler l’exécution par balle, difficile de s’imaginer un autre constat de cause à effet. Les traces de la dissimulation confirment la duplicité du système. Combien de situations similaires se sont déroulées dans le monde et se déroulent encore sous nos yeux, surtout de dissimulations faites à coups des déclarations d’innocence des uns et de duplicité du camp adverse.  

 

Mais tout ceci n’effacera jamais le caractère unique d’un cynisme inique (pardon pour cette redondance tautologique). 90% des victimes du camp sont des juifs de l’Europe entière, représentant un sixième du nombre total des juifs assassinés par un système politique. Ceci constitue encore aujourd’hui un frein à la confiance dans le monde politique qui oscille, pour ne pas dire bascule du monde dit démocratique, sans contenu satisfaisant pour tout au moins la majorité, et le populisme ; si l’un démobilise, l’autre mobilise. 

 

Les morts du passé ne hantent plus les futurs morts qui en sont, pour l’écrasante majorité, des causes banalement naturelles. Mais il n’y a plus de limites à l’imaginaire qui en vagabond insouciant des conséquences va s’aventurer dans ces zones frontalières entre la vie et la mort. Vite, il va se transformer en machine à sélectionner entre les bons et les méchants, le reste s’en suivra tout naturellement. De pire en banal, il n’y a qu’un canal, celui de la désensibilisation. 

 

Si la désensibilisation dentaire est irréversible, le canal nerveux étant détruit, on peut espérer que la désensibilisation humaine peut être réversible, les sciences de l’homme devraient pouvoir aider à y voir plus clair. On sait comment on parvient à désensibiliser, ce phénomène s’observe dans les situations bien différentes y compris celles des conditions humaines extrêmes de survie. En revanche, on ne sait pas très bien comment nourrir la mémoire pour la rendre sensible et en irradier la personne elle-même qui en est transformée. Ce travail est à faire par tout le monde. 

 

Pour ce qui concerne le traitement de la mémoire, ce qui m’a frappé lors des émissions consacrées à l’anniversaire d’Auschwitz, ce 27 janvier dernier, ce sont deux sortes de témoignages de si rares survivants. Celui d’Estelle, cité de façon paraphrasée au début et de Ginette qui interpellée répond sans hésitation : Pardonner ? Jamais, jamais, jamais ! Ces maudits ! Et qui distingue aussitôt, je distingue les Nazis et les Allemands.

 

Annette Wieviorka, l’historienne, en commentant cette interview constate que les nazis n’ont jamais demandé pardon, et que Ginette a raison. Qui peut pardonner, sinon les victimes elles-mêmes, mais elles sont presque toutes mortes, en ignorant ce qu’ils auraient fait, comment ne pas être solidaire avec eux. Nous, les témoins des témoins, qui sommes-nous pour dire ce qu’il faut faire. Pardonner, pas pardonner, 50%-50% ? 

 

En disant que les nazies n’ont jamais demandé pardon, l’historienne juge les faits objectivables, d’où on est dans une généralisation, car je ne peux pas imaginer qu’aucun d’entre eux ne s’était jamais repenti tout au moins dans son cœur. Ce qui étonne en revanche c’est que la plupart d’entre eux restent en Allemagne fédérale, laissés sans être inquiétés outre mesure. Mais Arbeit macht frei, de leur vivant pouvait s’apparenter à une récupération de repentance en longue échéance du silence. Le silence de l’agneau n’est pas de même nature que celui-ci. C’est un cri de justice contre le cri de haine. Il n’y a pas de passage de l’un à l’autre sans instrumentaliser l’un ou l’autre. La haine peut être instrumentalisée pour crier justice. Mais alors automatiquement la justice est victime de la haine méprisante et corrosive.  

 

Ces dernières années, on peut encore entendre les témoignages des survivants.

Avec la mort des derniers témoins directs, la valeur du témoignage direct va tomber dans le domaine public des historiens. Pour la plupart l’émotion directe cachée, retenue, diminuée, mal dissimulée, mal maîtrisée, traumatisée, utilisée, employée, exploitée, muselée, interdite et surtout niée. Si nous n’en parlons pas, nous devenons des complices des négationnistes qui nous transforment en leur serviteurs dociles. Et pendant ce temps-là, l’émotion s’engloutit dans la formoline de la documentation, dont les futurs historiens vont constituer le fond de leur recherche et les sociétés vont continuer à faire leur tri. 

 

Les témoignages doivent être éclairés par les données historiques, rappellent les historiens. Ceci vaut pour toutes sortes de témoignages. Le christianisme, comme d’autres religions, le savent, témoigner de l’amour c’est bien, le faire en contextualisant, c’est mieux. L’émotion n’est pas le seul canal de vérité, mais il est le plus sensible qui parle au cœur, que constitue cet organe central pour la vie et qui est douée d’enregistrement et de stockage des émotions. Le cœur, comme son homonyme symbolique, aux prérogatives cardiaques. Les deux cœurs ont besoin d’aller au large pour se confronter à d’autres stimulus et d’autres moyens de communiquer. 

 

Une fille, sachant grâce à un gardien qui a eu pitié d’elle (il a une fille qui lui ressemble tant) en nettoyant le couloir de la prison, chante à voix haute, surtout devant une porte, elle sait dans quelle cellule se trouve son père qui l’entend :  

 

O sole mio… 

Là-haut sur la montagne…

 

Reconnaître dans les cendres un musulman, un Protestant, un tzigane… impossible, constate l’historienne. Le catholique n’est pas nommé, le polonais non plus. Dans un reportage sur LGTB+ qui passe entre les deux émissions sur la Shoah, en parlant de l’exclusion aux Philippines, on montre une image de la Vierge donc bien catholique, sans indiquer qu’il s’agit des catholiques, cela se comprend sans paroles. Surement il y a du vrai ! Mais je m’intéresse de plus en plus à la manière dont les médias, de tout bord, présentent l’Eglise catholique et les fidèles. De plus en plus, je suis frappé par le traitement négatif, voire très négatif qui leur est réservé, surtout aux heures de grande écoute, quand on n’a pas le temps de faire plus vrai, on fait au plus pressé.

 

L’antisémitisme en France le plus virulent a eu lieu durant trois siècles qui ont suivi l’expulsion des juifs de France alors qu’il n’y avait pas de juifs expulsés. C’est tout à fait normal, en Indonésie par exemple c’est pareil.  

 

« C’est avec l’assimilation prônée par Napoléon que l’hostilité religieuse envers les Juifs, jadis reconnaissables à des caractères extérieurs comme la rouelle ou le chapeau conique, se mue en antisémitisme moderne. Un antisémitisme qui cherche une justification dans la science : il s’agit désormais d’établir des critères « objectifs » de distinction du Juif. » Les trois âges de l’antisémitisme

Serge Berstein dans mensuel 148 / daté octobre 1991

 

« Les trois antisémitismes – anticapitaliste, catholique et raciste – se mêlent étroitement pour aboutir à la vision d’une France inféodée aux Juifs.

L’antisémitisme ne devient donc une doctrine politique, un principe d’explication du monde et une pratique militante, qu’à la fin du XIXe siècle. »

 

Le reste ne sont que les conséquences, les catholiques « tremblaient » pour leur salut, celui de juifs, les socialistes les jugent complices d’un capitalisme oppressant, l’assimilation partiellement échouée (plus facile de changer d’habit pour se fondre dans la masse que de penser et croire comme les autres). Ces trois facteurs continuent à alimenter la méfiance.  

 

“Que faire des juifs” livre de Yoann Sfar qui parle, car fait parler des individus de tout bord. « J’aimerais faire un livre pour “mettre en sécurité tous les Juifs de mon village ?”, comme disait Chagall. Une histoire des Juifs, mais aussi une histoire de l’antisémitisme. Que faire des Juifs ?? Que faire du regard sur les Juifs ? Enfant, Yoann Sfar est un très mauvais élève du Talmud, de la Torah alors que son père anime une émission de télé… » présentation sur le site de ventes.

 

80 ans de la découverte et de la libération, titre journalistique, qui en parlant de la découverte dédouane un peu trop vite ceux qui savaient et n’ont pas fait ce qu’ils auraient pu faire pour l’empêcher. Mais agir en amont pour lutter contre ceci est réservé à quelques-uns qui bravent la pensée unique. Et la peur est toujours là.

 

La haine mène à Auschwitz

Le pardon a prévalu

La foi a prévalu

L’humanité a déçue

La force vitale gagne !

 

O sole mio…

Photo : ©L’ECHIQUIER SOCIAL