Tout a commencé le soir de la visioconférence ce 26 septembre dernier. A la fin reste Patricia, coordinatrice depuis Paris des Communautés Catholiques Francophones. Pourrais-tu dire l’homélie le vendredi lors des journées pastorales à Varsovie (9-12 octobre) ? Chaque année est organisée une réunion pour permettre à ceux qui peuvent et veulent se retrouver, rencontrer, échanger et repartir pleines d’énergies nouvelles.
Je regarde l’Évangile du jour. Luc 11,15-26 sur les esprits mauvais qui prennent possession des pauvres âmes des croyants ou pas. Méfiez-vous, dit Jésus, une fois chassé, il se peut qu’il revienne avec 7 autres. Ce passage est dans ma mémoire spirituelle, il fait partie de mon bagage théologique.
Le dimanche, je suis invité dans une famille juste pour passer du temps avec les parents et leurs enfants. Dans le salon, j’aperçois les livres sur les étagères. Vous pouvez vous en servir, j’entends comme une invitation. Ma première réaction est que je ne suis pas vraiment venu pour cela et puis des livres à lire j’en ai plein chez moi.
Cependant, par politesse en regardant de près, mon attention se porte sur un livre traitant sur les exorcismes, au titre très accrocheur, Moi, l’exorciste du Vatican.
Ma première réaction est un peu sarcastique : c’est intéressant, au Vatican ils ont aussi besoin de tels services. Je le prends chez moi dans l’espoir de trouver de quoi nourrir mon homélie à Varsovie. Je n’y connais rien en détails ni d’expérience ni pas vraiment en théorie de façon approfondie, après tout c’est une bonne occasion pour y voir de plus prêt.
Ce que j’ai compris à la lumière de la lecture de ce livre, c’est que l’histoire des exorcismes, dont la pratique est dûment attestée dans les évangiles, a été bien “tourmentée”. Elle fut mêlée à la sensibilité populaire, dont la distinction entre les véritables possessions -rarissimes dans le sens premier du terme de possession- et les phénomènes d’ordre psychosomatique était souvent sujet à caution.
Pour l’auteur (p 206 etc) tout commence au 12 siècle, guerres, maladies, les femmes souffrant de névroses sont désormais considérées comme envoûtées. Celles qui auraient besoin d’exorcismes, “on leur refuse le ‘traitement’ pour les brûler comme de la chair pestiférée”.
En 1252 le pape autorise la torture des hérétiques et un autre pape en 1326 autorise l’inquisition contre les sorcières. “La folie gagne toute l’Europe” et l’arrivée de la peste noire en rajoute une couche. L’Inquisition prendra surtout en Espagne et ce à la faveur de la reconquista des rois catholiques sur les musulmans ainsi repoussés de la péninsule iberique vers l’Afrique du Nord surtout.
Avant de poursuivre cette énumération contenue dans le livre, signalons que la France aura ses Diables de Loudun et Jeanne d’Arc, entre autres et Rome Giordano Bruno etc.
Ce que le livre apprend c’est de savoir que ces malheurs liés à l’Inquisition et la chasse aux sorcières se développent et persistent en parallèle avec la diminution des exorcismes pour voir la pratique de l’exorcisme disparaître entre XVI-XVII. L’exception signalée est celle de la sœur Jeanne Féry, morte de sa belle mort en 1620, alors qu’accusée de sorcellerie, mais sauvée par une décision aussi courageuse qu’unique par son évêque qui ordonne des séances d’exorcisme. Elle sera délivrée.
Puis au XVIII siècle brusquement tout s’arrête, plus besoin de recourir à la purification par le feu. L’auteur ne le dit pas directement, mais laisse deviner que les influences des Lumières y devraient être pour quelque chose. Il n’était pas raisonnable de continuer de la sorte. En abandonnant les procès en sorcellerie et aussi les exorcismes, l’autorité d’Église se retire de ce genre d’exercice, car comme le souligne l’auteur, à cette époque personne ne croit plus à l’existence du démon. L’Eglise se retire sans pour autant en faire un véritable bilan et exprimer sa position dans ce nouveau contexte, son attention sera portée sur la défense de la foi contre la raison des Lumières.
A qui la faute, demande notre exorciste, pour affirmer que c’est à cause de la propagation de la culture laïque, à l’athéisme prôné aux masses, au rationalisme du monde scientifique et culturel. En résultent “la croissance de toute sorte de superstitions et la diffusion de toute sorte d’occultismes”
Personnellement, je ne retiendrais que la remarque portant sur le rationalisme scientifique et culturel.
Non pas que les autres ne soient pas fondées ou secondaires, mais parce que rien qu’avec cela on a déjà de quoi faire pour se mettre à l’évidence que au delà des bisbilles entre la science et la foi, c’est surtout les frictions entre deux manières de comprendre le monde qui sont en jeu. Et qu’il n’y a pas de troisième voie. La fameuse neutralité feinte et souvent se voulant très pacifique, n’est qu’un choix entre les deux options possibles, et ce malgré le manque de conscience suffisante pour s’y référer de la part du décideur.
Pour terminer cette mini présentation du livre sur l’histoire de ces phénomènes, on comprend l’idée de l’auteur qui veut amener le lecteur à apprécier avec justesse, à la lumière de sa propre expérience en tant qu’exorciste, la fonction et la nécessité de recourir à ce genre de pratiques.
Après la lecture du livre, les choses deviennent plus claires, car les informations contenues non seulement nourrissent de façon bien plus concrète l’imaginaire, dans la mesure où celui-ci est nécessaire pour bien accueillir les faits relatés (les cris, les hurlements, les mouvements de transe, les comportements agressifs verbaux et physiques se présentant de façon soudaine…). Ils permettent avant tout de tisser un raisonnement théologique avec des fils des phénomènes surnaturels à l’intérieur de la vie de tels malheureux.
Si je propose ce podcast ce dimanche, c’est aussi pour une raison circonstancielle. Les derniers jours d’octobre, à la veille de la Toussaint, depuis déjà des décennies est réanimé par la tradition celte de la fête d’Halloween. Une invitation à célébrer la présence des esprits des morts. C’est une manière assez élégante d’exorciser la peur de l’autre monde et du passage par la mort vers ce monde inconnu. Rien d’étonnant en termes de régulation sociale qui dans la civilisation occidentale, dont nous sommes pour la plupart issus, n’a guère était majoritairement gérée par l’entremise de la religion chrétienne.
Le problème lié à Halloween par exemple peut surgir d’une ambiguïté à cause de laquelle on va surfer sur les connivences entre les fantômes et leurs commanditaires. Il ne suffit pas de se réclamer d’un athéisme plus ou moins farouche (via différentes idéologies connexes comme scientisme, wolkisme ou gender dans leurs versions et expressions totalisantes et donc excluant d’autres visions que celles “homologuées”) pour avoir le droit de manipuler le subconscient collectif dont on ne sait pas jusqu’où cela peut conduire. En d’autres termes, il ne suffit pas de déclarer que quelque chose n’existe pas pour pouvoir le traiter comme un pur produit d’imagination, et qui est uniquement utile, dans la mesure où, en faisant un tel détour par l’”irréel”, on s’en sert pour gérer les fantasmes des enfants qui, parfois la nuit, font des cauchemars.
En découle une ambiguïté, qui consiste à agir sur le terrain qui est propre aux religions, mais qui est ici considérée comme étant dépourvue de toute consistance réelle spirituelle, métaphysique, car circonscrite par le rationnel excluant toute sorte d’éventualité d’un “autre monde”.
Cette ambiguïté est parfois franchement transformée en profession de foi satanique, surtout lorsqu’elle est affiliée aux groupes spiritistes nés au XIX siècle à Londres qui usent des pouvoirs conférés par le Princes des ténèbres. Avec la croix à l’envers comme symbole d’un pacte de dépendance en échange d’un pouvoir épatant. Cela peut concerner certaines hard rock music, surtout si les paroles sont ostensiblement anti-chrétiennes.
Certes, dans ce domaine, comme dans beaucoup d’autres, il ne faut pas mettre tout dans le même sac.
Tout nécessite discernement. Par exemple, parmi les voyants, il y en a qui sont inspirés par Dieu et d’autres qui le sont par les ténèbres. Mais inversement, il n’est pas très sérieux de vouloir balayer d’un revers de main toute doctrine chrétienne sur les Princes de ténèbres, sur ces combats avec le Prince de Lumière.
Si je pouvais rêver d’un monde harmonieux entre toutes ses composantes, évidemment celles qui se réclament directement ou indirectement du prince de Lumière, avec les autres je n’ai pas vraiment envie de pactiser, je me serais vu invité par les organisateurs de l’Halloween pour éclairer cette fête à la lumière de la foi chrétienne (des représentants des autres religions pourraient faire autant). Pourquoi ne pas organiser une table rende, pas pour faire tourner la table lors de séances spiritistes ou messes noires (ce serait sans moi), mais pour exposer paisiblement toutes les options possibles et imaginables afin que l’auditeur, jeune ou moins jeune, se fasse une opinion en nourrissant ainsi ses intuitions qui sourdent dans les tréfonds de son être. Au lieu de décider à leur place pour savoir ce qui est vrai et ce qui est faux. Le risque de la manipulation des consciences est la conséquence qu’il ne faut jamais prendre à la légère.
Le livre, comme tous les livres, est parcellaire dans son contenu, un parmi tant d’autres de cet auteur, écrit par un praticien de la chose, sans parler de tant d’autres qui se sont déjà exprimés comme dans le film Exorciste (1973 et 1977). Il fait partie de la littérature plutôt ésotérique tout au moins ainsi classée par les librairies qui suivent la conception du rapport aux forces spirituelles totalement libéré de la foi qui se respecte.
L’auteur s’étonne que dans la formation théologique de futurs prêtres ont ne leur propose jamais d’être tout au moins une fois dans leur vie témoin d’une séance d’exorcisme. Et il donne comme exemple les études de médecine, les futurs médecins font des stages pratiques dans les différents services pour comprendre par expérience quelle est la réalité d’un patient et des soins qui lui sont prodigués. Et avec une stupéfaction empreinte d’une naïveté dont on n’est pas guéri à l’approche de 70 ans, j’ai dû lui donner raison.
En effet, tout au long des différentes formations en théologie, cette question n’a jamais été traitée, sauf dans le cadre de l’exégèse pour constater avec l’honnêteté des professeurs que Jésus pratiquait les expulsions de démons et qu’il faisait apprendre ce métier à ses 12 disciples.
Ce qui veut dire que l’on pouvait considérer cela comme un phénomène historique qui parfois ressurgissait dans les siècles suivants mais avec une gestion par période de plus en plus organisée et d’autres sans aucune attention y accordée. Les grands exorcistes des temps modernes font sensation chez les adeptes de la chose, pour eux-mêmes ou pour leurs proches. Mais ceci n’est pas un sujet de débat public ni de présentation sérieuse, mais se limite aux conclusions qui font plaisir à l’opinion publique et n’étant pas vraiment au service de la foi chrétienne. Mais on va soupirer, ça la regarde !
La deuxième chose qui m’a frappé, ce dont je n’étais pas conscient avant, c’est que certains exorcismes durent des années. Est-ce une sorte d’acharnement thérapeutique indispensable pour convaincre les “visiteurs” qui s’installent en squatters pour détruire les hôtes et qui se font prier durant des longues années avant de concéder à contre-cœur de partir. Sans jamais promettre de ne jamais revenir. Pourquoi une telle difficulté ? Si on se réfère uniquement à la vision judéo- chrétienne, les anges rebellés contre la volonté de Dieu de le louer éternellement jouissent d’un statut particulier. Ils restent croyants, spirituellement ils savent que Dieu existe, leur mémoire à ce sujet reste intacte, mais Dieu ne peut pas agir sur leur conscience dans laquelle ils sont libres de faire du mal aux créations matérielles. Malgré tout, leur pouvoir est limité. Et pourtant ils peuvent faire des dégâts considérables, jusqu’à provoquer la perte de leur victime, ce qui est d’ailleurs leur objectif final.
Dans ce contexte, l’objectif final de la religion chrétienne est lié à l’issue de la lutte entre le bien et le mal.
Différentes religions abordent cette lutte de façon différente. Grosso modo, en Asie domine la vision d’une égalité entre les forces du mal et celles du bien, les deux coexistant depuis le début de leur éternité. La Bible développe l’idée de la suprématie du bien sur le mal, la suprématie que le Christ signe sur la Croix et qui est “ratifiée” par la résurrection. Pour les chrétiens tout comme pour l’humanité dans son ensemble, cette victoire ne supprime pas la présence du mal ni son emprise sur les créatures divines sauvées dans l’espérance.
Cette zone trouble est présente chez chaque être humain, avec intensité variable suivant la personne et aussi la période de la vie.
“Moi, l’exorciste du Vatican”, le livre rend attentif au phénomène d’emprise avérée et sur les circonstances. Si j’ai bien compris, le plus souvent les possessions au sens fort du terme sont liées à un pacte de la personne concernée ou d’un tiers avec le diable.
Une mère qui voue son enfant aux puissances ténébreuses en vue d’obtenir des pouvoirs épatants, un sorcier qui jette le mauvais sort sur quelqu’un par vengeance du commanditeur sur la victime etc. Si de telles choses négatives au sens de destructives existent, l’inverse doit exister aussi. D’où l’intérêt de prendre au sérieux les bénédictions comme moyen de protection.
La protection étant la première raison de faire baptiser les enfants. Bénissant les enfants, Jésus accomplissait un geste de protection des êtres vulnérables, pour ainsi aider à les mettre à l’abri de toute sorte de danger physique et (surtout) spirituel. Alors qu’il enseignait aux adultes, la seule exception à ma connaissance est la bénédiction de ses disciples lors de son Ascension.
Mais c’est seulement dans une des deux versions de l’Ascension, alors que les deux sont du même auteur, donc il n’y a pas de doute sur le caractère délibéré de la présentation de ce geste de bénédiction dans l’un et pas dans l’autre. Dans la finale de l’Evangile selon saint Luc nous lisons : Levant les yeux il les bénit. Or, comme il les bénissait, il se sépara d’eux et fut emporté au ciel. Alors que dans le prologue des Actes des apôtres, il ne les bénit pas, mais à la place il y a mention des anges “deux hommes en vêtements blancs se trouvaient à leur côté” pour leur annoncer sa parousie à la fin du monde. Dans le premier récit, ils ont besoin d’être consolés, encouragés, car ils sont missionnés d’apporter la bonne nouvelle au monde. Et ils savent que cela les dépasse, l’adversaire le sait aussi et y met du sien pour leur compliquer la tâche. Alors que dans les Actes des Apôtres, ils sont informés d’un événement futur à la portée théologique fondamentale pour la foi chrétienne, pour signifier le combat décisif et la victoire finale.
Chez Matthieu, Jésus au moment de l’Ascension ne parle pas des démons, alors que chez Marc qui construit tout son évangile sur ce thème de la victoire du Prince de Lumière sur celui des Ténèbres, il le dit.
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Si vous avez du temps et de l’envie, n’hésitez pas à me contacter pour entendre vos réactions et moi, à votre contact, de continuer à m’instruire.
Rémy Kurowski, aumônier de la CCFHK