Du 2 au 13 septembre, le pape François s’est “offert” un voyage, pas comme les autres. Le plus long de son pontificat, et le plus éloigné de son Vatican, alors qu’encore au printemps dernier on était inquiet pour sa santé qui, tout de même, portait vaillamment un homme de presque 88 ans.
A l’occasion de son anniversaire (17 décembre), le diocèse de Hong Kong organise un concert à la cathédrale, cette année le 9 décembre à 17h (entrée gratuite et sortie aussi). Même si le concert ne va pas ramener le pape à Hong Kong, ce que beaucoup souhaitent vivement, sa présence en Asie invite à une réflexion sur la place et le rôle de la foi chrétienne dans ce si vaste et si divers continent qui est à considérer ensemble avec l’Océanie dont fait partie l’Asie de sud-est.
Commencer à Jakarta est déjà un symbole, l’Indonésie étant le pays musulman le plus peuplé de la planète.
Pour pouvoir y être en tant que pape, cela a dû sans doute apporter mutuellement, aux chrétiens et aux musulmans, tout au moins sur le plan diplomatique sur la ligne Vatican-Jakarta.
Aller au Timor Oriental, un pays soustrait à l’Indonésie, qui un peu comme Singapour par rapport à la Malaisie, a obtenu son indépendance en 2002, c’est visiter le pays (1,3 million d’habitants) le plus catholique, non seulement en Asie mais sans doute dans le monde, excepté peut-être l’État de Vatican qui avec son millier de passeports devrait se trouver théoriquement à 100% catholique. Aller en Papouasie, c’est aller dans un pays dont la population à dominante chrétienne reste cependant si fortement imprégnée des mœurs multi millénaires propres aux tribus insulaires de l’Océanie. Terminer à Singapour, c’est comme une évidence pour toucher la terre d’une des plus prospères populations du monde.
A chaque fois, fidèle à la ligne éditoriale de son pontificat, le pape délivre toujours le même message, tout en l’adaptant à la situation locale du pays visité. Il se veut être un messager de la paix à chercher et consolider ensemble, au sein même de la diversité de religions et de cultures. La paix étant une valeur sur laquelle tout le monde s’accorde indépendamment de la diversité d’approches culturelles et religieuses en particulier. Clamer le besoin d’apporter la paix de la part du pape, c’est déjà être porteur de la paix qui lui vient de sa foi. Le pape qui voyage, en se mettant ainsi à la périphérie du Vatican, comme à chaque fois, relève le défi de rencontrer des personnes et des systèmes politiques qui peuvent avoir une conception différente de la sienne pour savoir ce qu’est la paix.
Sur ce fond, volontairement et ostensiblement consensuel, se profilent des particularités du message du pape en fonction de l’endroit où il se trouve. Désireux d’être messager de la paix avec les musulmans c’est en Indonésie, le plus grand pays musulman, qu’il va signer une déclaration commune avec le représentant des musulmans du pays. “Lors d’une rencontre interreligieuse le 5 septembre 2024, le pape François et Nasaruddin Umar, le grand imam de Jakarta (Indonésie) ont signé à la mosquée de l’Istiqlal un document conjoint dans lequel ils appellent à lutter contre l’instrumentalisation religieuse des conflits et le réchauffement climatique.”
Voici le début du discours du pape prononcé dans la mosquée.
“Je suis heureux d’être avec vous tous ici, dans la plus grande mosquée d’Asie. Je salue le Grand Imam et le remercie pour les paroles qu’il m’a adressées, me rappelant que ce lieu de culte et de prière est aussi “une grande maison pour l’humanité” où chacun peut entrer pour faire une pause avec lui-même, pour donner de l’espace à cet élan d’infini qu’il porte dans son cœur, pour chercher la rencontre avec le divin et pour vivre la joie de l’amitié avec les autres.”
Sans omettre de souligner que la plus grande mosquée d’Asie fut l’œuvre d’un architecte chrétien (tout comme d’ailleurs en son temps celle de la Mosquée Bleue d’Istanbul). Ni rappeler que la spiritualité a toujours les mêmes caractéristiques, d’être le chemin vers Dieu : “Je vous encourage à poursuivre sur cette voie : que tous, tous ensemble, chacun cultivant sa propre spiritualité et pratiquant sa propre religion, nous puissions marcher à la recherche de Dieu.”
C’est une reconnaissance de la dimension transcendantale de l’être humain en général qui au travers sa religion cherche à maintenir le lien avec ce plus grand que soi de son existence dans laquelle il éprouve un besoin d’aller vers et que la religion l’y accompagne.
Le pape invite à chercher par-delà les aspects visibles de la religion : “tandis qu’en surface il y a les espaces de la mosquée et de la cathédrale, bien définis et fréquentés par leurs fidèles respectifs, sous terre, le long du tunnel, ces mêmes personnes différentes se rencontrent et peuvent accéder au monde religieux de l’autre”.
Une image audacieuse que celle d’un tunnel qui a de si tristes connotations en tant de guerre ou en temps de paix. Mais là, il s’agit bel et bien d’un tunnel comme symbole du lien et donc de la paix. Le tunnel est construit de deux côtés car il s’agit de “prendre soin des liens”. Le tunnel a été construit d’un côté à l’autre pour créer un lien entre deux endroits différents et éloignés.
“À ce propos, poursuit le pape, il convient de mentionner la construction d’un tunnel souterrain – le “tunnel de l’amitié – reliant la mosquée de l’Istiqlal et la cathédrale Sainte-Marie-de-l’Assomption. Il s’agit d’un signe éloquent qui permet à ces deux grands lieux de culte d’être non seulement “en face” l’un de l’autre, mais aussi “reliés” l’un à l’autre.” J’ai ignoré son existence et tout ce qui y va avec du point de vue de l’histoire. Mais j’apprends que “certains construisent des murs pour diviser, mais à Jakarta les catholiques et musulmans indonésiens creusent un tunnel de l’amitié”
Le 7 février 2020 le président Joko Widodo a approuvé le creusement d’un tunnel pour relier les deux édifices. Un geste à une portée hautement symbolique pour la paix entre les religions, tout en les débordant par son caractère ouvert et non contraignant. L’initiative revient à l’ancien président Sukarno qui voulait faire de la mosquée un symbole d’harmonie et d’amitié. Comme quoi, il y a des initiatives très hautement politiques qui peuvent obtenir une résonance positive dans le monde entier et ce ne sont pas les religions qui vont se plaindre. A qui le tour pour construire un passage invisible, mais bien réel reliant des réalités aussi éloignées que celles entre les juifs et les Palestiniens, entre les Russes et les Ukrainiens etc. Même le tunnel sous la Manche avait cette ambition.
L’idée de construire un tel tunnel est sans doute audacieuse pour certains de part et d’autre de ces deux religions. A partir de ce tunnel réel, le tunnel imaginaire du pape relie l’une à l’autre, le pape fidèle à son intuition se saisit d’une excellente idée du Président indonésien pour rendre imaginable ce qui encore n’a guère semble impensable et surtout indicible. Et ici la tâche était très facile. En quittant l’attitude de méfiance et de ruse attentistes on peut entrer dans un vrai dialogue. C’est l’audace du pape qui étant toujours la même avec laquelle il tente d’ouvrir des portes si bien fermées et depuis si longtemps, voire jamais ouvertes. (Sur les tunnels comme thème principal peut-être une autre fois). Quant au pape, sa constance ne manque pas de souffle, alors qu’il lui manque une partie d’un poumon, mais gratia superat natura.
Tout comme pour ces catholiques de Papouasie New Guinea, qui ont fait des centaines de kilomètres à pied pour participer à la messe avec le pape a Vanimo, et qui, pour une fois n’est pas coutume, ont parcouru cette distance deux fois plus vite que d’ordinaire.
Gratia superat natura, tout au moins la grâce du désir.
Ce qu’ils ne savaient pas, c’est que le pape n’était pas venu les mains vides. Médicaments, vêtements, jouets pour aider les populations vivant dans des zones reculées. Pour y avoir été une fois en remontant le Sepik, j’imagine bien volontiers, car facilement, ce que reculé peut vouloir dire dans une zone montagneuse où on accède seulement en pirogue, et encore, par temps favorable.
Là, le pape délivre un message de paix et de réconciliation entre les tribus qui sont toujours en proie aux violences inter tribales. Là aussi la guerre fait partie du code de “bon” comportement des sociétés modernes comme celles d’autrefois ; ce qui change ce sont seulement les moyens, mais pas les motifs. Remplacer la vengeance par le pardon et l’amour, s’époumone le pape dans son homélie devant 20 mille catholiques rassemblés. Sans oublier d’aller à la capitale pour la partie officielle du plaisir pontifical procuré à l’occasion de son voyage. Il recueille aussi la demande formulée par les papoues d’Indonésie (l’île est grosso modo coupée en deux) de plaider en leur faveur auprès du gouvernement pour soulager leur misère et pour abandonner le traitement qu’ils considèrent comme discriminatoire. Gentillesse d’un côté, vérité de l’autre, comme toujours la vérité est seulement audible (et encore) lorsqu’elle est dite avec douceur et humilité, rude chemin pour toute diplomatie.
Le Timore Oriental est une réalité en soi. L’identité du peuple est construite sur la foi et la religion catholique. On se croirait dans la chrétienté sous Saint Louis. Mais les temps ont changé, les ambitions aussi et les moyens sont à la hauteur des nouveaux indicateurs de ce qui est permis et ce qui ne l’est pas.
Un tout petit pays, un îlot catholique, même au Vatican on ne retrouvera pas la même ambiance produite par la ferveur de la piété. L’Héritage portugais est devenu le ciment principal identitaire des îlotiers qui tout en étant entouré des eaux fièrement arborent l’appartenance à une réalité bien vaste aux accents universalisants que la religion catholique procure.
La dernière étape de ce marathon pontifical à un seul participant qu’est le pape lui-même se termine à Singapour, terre d’un nouveau monde, celui de la hi tech et des revenus à la hauteur des ambitions de la politique locale. Sans oublier que dans cette mosaïque ethnique, (chinois, indiens, malais et autres) tout est strictement codifié, et contrôlé, les proportions de populations, les accès aux postes, parmi les plus strictes juridictions étatiques, l’apport de la population chinoise est essentiel dans ce développement.
La particularité de Singapour est aussi visible sur le plan religieux, en veillant au grain des bonnes proportions, ce qui n’empêche d’enregistrer le taux de conversions au catholicisme parmi les plus élevés au monde. Sont devenues fameuses les célébrations de Pâques avec des milliers de nouveaux baptisés adultes. Il y eut un temps où la même tendance fut observée à Hong Kong.
Pour terminer, en guise de conclusion, des larges extraits de l’homélie du pape à Jakarta.
“Chers frères et sœurs, bonjour !
…Dans cette perspective, symbolisée par le tunnel souterrain, je voudrais vous laisser deux consignes, pour encourager le chemin de l’unité et de l’harmonie que vous avez déjà entrepris.
La première est : regarder toujours en profondeur, car c’est seulement là que l’on peut trouver, au-delà des différences, ce qui unit. En effet, tandis qu’en surface il y a les espaces de la mosquée et de la cathédrale, bien définis et fréquentés par leurs fidèles respectifs, sous terre, le long du tunnel, ces mêmes personnes différentes se rencontrent et peuvent accéder au monde religieux de l’autre. Cette image nous rappelle quelque chose d’important : les aspects visibles des religions – les rites, les pratiques, et autres. – constituent un patrimoine traditionnel qui doit être protégé et respecté ; mais ce qui se trouve “en dessous”, ce qui coule de façon souterraine comme le “tunnel de l’amitié”, c’est-à-dire la racine commune à toutes les sensibilités religieuses est unique : c’est la quête de la rencontre avec le divin, la soif d’infini que le Très-Haut a mis dans notre, la recherche d’une joie plus grande et d’une vie plus forte que n’importe quelle mort qui anime le cours de notre vie et nous pousse à sortir de nous-mêmes pour aller à la rencontre de Dieu. Donc, rappelons-nous ceci : en regardant en profondeur, en saisissant ce qui coule au plus profond de nos vies, ce désir de plénitude qui habite le fond de nos cœurs, nous découvrons que nous sommes tous frères, tous pèlerins, tous en marche vers Dieu, au-delà de ce qui nous différencie.
La deuxième invitation est : prendre soin des liens. Le tunnel a été construit d’un côté à l’autre pour créer un lien entre deux endroits différents et éloignés. C’est ce que fait le passage souterrain : il relie, c’est-à-dire qu’il crée un lien. On pense parfois que la rencontre entre les religions consiste à rechercher à tout prix un point commun entre des doctrines et des professions religieuses différentes. En réalité, il peut arriver qu’une telle approche finisse par nous diviser. Car les doctrines et les dogmes de chaque expérience religieuse sont différents. Ce qui nous rapproche vraiment, c’est de créer une liaison entre nos différences, de veiller à cultiver des liens d’amitié, d’attention, de réciprocité. Ce sont des relations par lesquelles chacun s’ouvre à l’autre, par lesquels on s’engage ensemble à chercher la vérité en apprenant de la tradition religieuse de l’autre et à nous venir en aide dans nos besoins humains et spirituels. Ce sont des liens qui nous permettent de travailler ensemble, de marcher unis dans la poursuite d’objectifs, la défense de la dignité humaine, la lutte contre la pauvreté, la promotion de la paix. L’unité naît des liens personnels d’amitié, du respect mutuel, de la défense réciproque des espaces et des idées des autres.
Puissiez-vous toujours avoir soin de cela!”