Un souvenir très proche autour des JO et de Bacchus.
« Quelle réussite prodigieuse ! Un miracle né de la rencontre entre un metteur en scène qui n’a pas eu peur, naguère, de se confronter à Shakespeare et un historien du Moyen Age, maître dans une discipline vouée à être imaginative faute d’être riche en archives. Voilà ce que je me disais, ce vendredi 26 juillet, après avoir assisté au spectacle d’ouverture des Jeux Olympiques, les yeux rivés sur mon écran de télévision pendant plus de quatre heures. A priori, la gageure était intenable : il s’agissait de recréer, sur les rives de la Seine, entre le pont d’Austerlitz et le pont d’Iéna, un climat de confiance dans l’avenir non seulement national, mais mondial, en un moment de repli identitaire, de menace terroriste et de crise gouvernementale […] »
C’est une citation trouvée sur Internet, elle est d’un certain Alain-Gérard Slama que je ne connaissais pas, mais dont le nom dit quelque chose sans doute à nombreux d’entre vous ; essayiste, historien, journaliste, éditorialiste au Figaro, prof à Sciences Po… Peu importe ses options politiques confessées, pratiquées et soutenues jusqu’à militance, ce dont la biographie fait douter. Se revendiquer d’un courant gaullo-libéral de RPR (1976-2002) qualifiée d’auberge espagnole, suivi de UMP, ne peut faire de mal à personne. Au vu des dernières élections, une entité politique qui est en voie d’extension, le témoin d’un passé récent. Savoir comment il aborde cette originalité artistique ne peut nuire à personne. Sauf qu’il est l’auteur du terme de l’extrême centre (Les chasseurs de l’Absolu, Genèse de la Gauche et de la Droite, Grasset 1980). L’extrême centre qu’il critique puisque “les maîtres de certitude qui agitent les clés de la Raison et de la morale” le font “pour monopoliser le pouvoir au détriment du jeu normal de la démocratie, qui suppose conflit, pluralisme et alternance”. Comme s’il découvrait la nature humaine, soit !
Étais-je attiré par le nom qui est aussi celui de mes amis, ou par le contenu tranchant par rapport à ce que j’ai entendu autour de moi au sujet de cette cérémonie d’ouverture des JO ?
Ou encore, était-ce pour trouver une porte d’entrée que j’estime un peu originale pour accrocher avec l’originalité de la prestation olympique ainsi relatée ?
Sans doute un peu de tout cela. Finalement je retiens surtout, ce qui importe pour la suite, l’hypothèse de la fonction tranchante de son expression, par contraste avec tout ce que j’ai entendu dans les jours qui ont suivi cette prestation. Qu’ai-je alors entendu et comment cela me fait réfléchir ?
Qu’ai-je alors entendu ? Les critiques se résumaient à dire que certaines scènes d’ouverture des Jeux Olympiques étaient délibérément et ostensiblement déplacées, de mauvais goût, voire calomnieuses.
On y voyait la parodie de la dernière Cène de Jésus avec ses disciples, lui étant figuré par un homme nu-vert, allongé à la gréco-romaine entre les jambes une guirlande de fleurs et ou de fruits (je n’ai pas bien vu), entouré des femmes debout. Voilà ce que j’ai vu. C’est tentant d’être indigné et d’en faire tout un plat.
Moi, en regardant cette scène je ne voyais qu’un bacchus (Dionysos), divinité de réjouissance, qui dans ses origines était une divinité associée à la renaissance de la vie, à l’enthousiasme et aux mystères.
Quoi de plus naturel pour illustrer les JO…
Jusqu’à en perdre le souffle et la raison, mais en attendant, se laissant enivrer de doux plaisirs que le corps cherche et procure, et que l’esprit savoure.
Si peu d’allusions aux compétitions sportives durant la cérémonie d’ouverture laisse de la place au développement de la partie consacrée d’une autre façon à la célébration du corps. A aucun moment, je ne voyais une allusion quelconque à la dernière Cène. Je n’ai pas regardé en détails chaque visage et tête et corps et posture et vêtements, mais l’ensemble de femmes debout en arrière-plan de l’homme allongé me donnait l’impression d’un groupe de figurants, plutôt statiques, presque figés, plus proches des pompoms girls que l’on aurait employé au dernier moment pour leur permettre d’arrondir leurs fins de mois que de pieuses femmes habillées comme il le faut, mais en dessous dévoyées.
Les réjouissances liées à la table ne sont pas le privilège de la Bible.
Bible riche de ses scènes bucoliques, situées non loin de la vigne du Seigneur : tantôt sur la terre (promise, Isaïe 5), tantôt dans les cieux figurés par la haute montagne (Isaïe 25).
Le vin qui réjouit le cœur de l’homme est devenu le sang versé pour la multitude, pour tous. C’est le résultat d’une bonne et belle collaboration entre la nature et l’homme qui la partage, tout en la dépassant par son soi, bien présent mais difficilement identifiable, surtout s’il n’est pas référencé sur une transcendance quelconque. Le Psaume 104,14-15 le relate bien clairement : “Tu (Yahwe) fais pousser les prairies pour les troupeaux, et les champs pour l’homme qui travaille. De la terre il tire son pain, le vin qui réjouit le cœur de l’homme, l’huile qui adoucit son visage, et le pain qui fortifie le cœur de l’homme”.
Se nourrir des biens matériels n’étonne personne, se nourrir d’une réjouissance qui déporte dans un ailleurs, attention ! Cela touche au domaine par lequel beaucoup peuvent se sentir concernés. Ni la religion ni la politique n’en sont désintéressés ou neutres. Parfois il suffit de peu pour les chatouiller et d’un panda doux et agréable comme un chat, ils peuvent se transformer en hérisson qu’il est difficile de caresser, surtout quand il le faut dans le sens opposé à celui des aiguilles dressées en défense.
Quand on s’aventure sur ce terrain, il ne suffit pas de jouer à l’innocent, toute omission peut s’avérer fatale, la preuve, les réactions d’indignation, des protestations, même les évêques français s’y sont mis, tout cela prouve qu’il y a une différence entre la température au thermomètre, et celle au ressenti. Si l’on sait prendre en compte cette différence pour le corps, on n’arrive pas (encore !) à le prendre pour l’esprit. Mais on pourrait objecter, et non sans raison, -car la comparaison a ses limites, celles de la simplification qui est parlante, mais ne rendant pas compte de la complexité de la situation-, qu’il est impossible de contenter tout le monde et si on voulait prendre en compte toutes les objections possibles et imaginables, on serait obligé de s’interdire toute expression artistique. Certes il y a des limites, la ligne rouge, que des deux côtés, celui des artistes et celui du public, on s’impose et parfois qu’on impose à l’autre. Nous voilà dans une zone grise où par définition tout n’est pas clair, mais ou presque tout est possible. Y compris la réconciliation entre les points de vue opposés.
Par leurs côtés surfaits que l’art sait magnifier, les images bucoliques de la vie nourrie jusqu’à la réjouissance plaisent à l’œil en direct et au palais dans le futur bien proche. Tellement on s’y reconnaît, que l’on voudrait s’identifier avec ceux du tableau pour y prendre part. La gastronomie française y prépare le terrain piqué de vignes, de légumes, fruits et autres agrumes, pour ne rester que dans le végétal. Quel autre pays peut se targuer d’un tel privilège, d’avoir un ambassadeur de gastronomie. Certes, nommé par le président actuel, et que nous étions quelques-uns à rencontrer à Parenthèses au printemps dernier. Mais qui avec succès fait promotion de l’exception à la française, que les autres secrètement, parfois ouvertement, jalousent, surtout lorsqu’ils pressentent que le destin pourra leur offrir des plats succulents, exquis, enrobés de leurs parfums et de leurs fragrances. A la française veut dire dans le cas de la cérémonie d’ouverture des JO avec des parfums de l’histoire dont on fait échapper les effluves. Montrer la tête de Marie Antoinette (ai-je bien vu ?) est particulièrement de mauvais goût, à moins que cela ne soit fait pour faire peur aux réfractaires aux odeurs dont on gratifie les narines des spectateurs avides de sang pour abreuver les sillons de leur liberté. Liberté d’expression et d’action.
Toute la présentation de l’histoire du pays et des jeux y est imbriquée, avec au centre le tableau de la “Cène”, se veut pacifique, multiculturelle, multiraciale, ouverte, reliée par les fils d’or de la paix. Mais elle se déroule “en un moment de repli identitaire, de menace terroriste et de crise gouvernementale” dixit Slama. Elle se déroule entre les ponts d’Austerlitz et le pont d’Iéna, tout un symbole, Napoléon n’est pas mentionné dans le panorama historique, mais par une sorte d’inadvertance, il s’invite de la sorte aux jeux.
La gastronomie française ne se limite pas aux seuls aspects culinaires que bacchus incarne si bien, et ce depuis la nuit des temps. La nuit éclairée par le paganisme de ses convivialités sans se priver des orgies non seulement alimentaires, mais le paganisme, pour parler de la société civile actuelle, n’est pas le seul porteur de telles réjouissances, les religions s’y mettant parfois. Le trio avec le ténor polonais au milieu se voulait être expression de liberté, référencée sur le choix d’orientation sexuelle. Le quasimodo de Notre-Dame, tel un gyrophare, pour ne pas dire girouette du coq gaulois, veille du haut de la tour, témoin d’un jeu de pistes savamment orchestré, auquel même la pluie n’a pas réussi à nuire. Une magnifique imbrication de l’histoire dans la ville, tout comme celle des jeux dans la ville ; un nouveau concept est né, peut-il être imité, probablement pas à Los Angeles.
Pour revenir au tableau avec bacchus au centre qui nourrit les imaginaires et hante les mémoires, la “gastronomie” française se laisse sous-entendre comme évocation faite à l’occasion de ce tableau, au sens d’une culture de table et de lit (à la gréco-romain ou autrement), tout épicée de subtile mélange des convictions suggestives, sans jamais être vulgaire (!? le cancan ne l’est plus). Convictions que traverse le désir de communiquer sans s’imposer, car tellement parlant au cœur que la raison ne peut que capituler en s’exclamant à son tour : que c’est beau! Parler au cœur, l’universalisme de la vision française n’a pas capitulé, il était si joliment activé. Nous savons ce qu’il y a au bout, nous savons que nous allons dans la bonne direction et personne ne nous empêchera de continuer la marche. C’est à peu près ce que la maire de Paris a déclaré dans une de ses interviews naguère, non pour se défendre mais, fidèle à la ligne éditoriale des JO, s’en vanter et y prendre plaisir, ensemble. D’une certaine façon, on peut effectivement en être fier.
Cette fraternité qui était au centre de la cérémonie d’ouverture, je l’ai sentie dans les rues de Paris peuplées de ses innombrables bipèdes. Avaient-ils quelque chose des moutons, heureusement redressés sur leurs pattes arrière pour permettre à d’autres de s’y masser ? La position à la verticale fait gagner de la place et permet de voir plus loin, parfois ! Ils sont venus de tous horizons, parlant des langues différentes. La seule espèce des vivants (?) douée d’une telle richesse est aussi un obstacle. Comme si, la langue vernaculaire, tel un écrin y contenant un objet précis ne pouvant être partagé qu’entre les initiés. Sauf pour quelques polyglottes indiscrets, quel malheur que de ne parler que l’anglais et ses proches dérivés, à qui pour rendre justice il faut reconnaître être un bon passeur entre les humains.
Mais, heureusement qu’il y a le langage du corps et des vêtements. Ce que j’ai pu expérimenter en négatif et en positif. Un photographe (professionnel dixit himself, mais dans un lieu public) peu soucieux de la présence des autres, insensible aux appels à la retenue pour permettre à d’autres de profiter aussi du passage des marathoniens dans leur derniers mètres dans la rue de Grenelle avant de prendre le dernier virage sur la Place des Invalides, là-bas ovationnés par des heureux possesseurs de billets. Les rues et les places de Paris furent densément remplies d’une joie de personnes venues de toute la France et d’ailleurs.
Dans la même matinée de ce samedi je vois arriver une jeune femme vêtue d’un ti-short avec l’inscription województwo ślaskie (le departement de Silésie). J’entame l’échange en polonais, les autres avec qui j’ai déjà eu le temps de bavarder un peu, me regardent l’air étonné, on intègre la jeune femme dans notre cercle en lui offrant la possibilité d’être à la première loge, tant pis pour le photographe, en toute évidence il n’avait pas l’air sympa, mais pour survivre on ne se montre pas forcément de facon aimable, non dérangeante. On fait une photo souvenir et chacun va de son côté.
Le lendemain, lors du petit déjeuner dans la communauté, je bavarde (encore ! mais ce sont les vacances) avec la dame qui s’occupe de la maison. Elle me raconte comment la veille, elle a recueilli une jeune femme qui cherchait un gite de fortune pour échapper à une mauvaise location trouvée sur Internet. Lorsque j’entends que cette jeune femme était en Éthiopie, je sors mon téléphone et lui montre le selfie de la veille. C’est bien elle. Non seulement elle était en Éthiopie, mais marathonienne amateure elle-même, elle connaît ceux qui prennent part à la course de ces JO. C’est Tamira Tola, s’exclame-t-elle, je le connais, mais où est Eliud Kipchoge, le kenyan, il a calé, l’espoir de son troisième titre olympique s’est envolé. Tous ont participé, mais tous n’ont pas terminé, ou n’ont pas bien terminé. Si j’admirais la polonaise en escalade avec elle aussi un nouveau record du monde (comme pour le marathonien et bien d’autre Léon Marchand et Duplantis entre autres), c’est une piètre consolation pour l’équipe polonaise qui fait son mea culpa tout en promettant de faire mieux dans le future proche, d’autant plus qu’elle prétend pouvoir présenter sa candidature pour les JO en… 2040 ou 2044 ??
Les riches et les pauvres s’entremêlent dans les rues pour prendre l’air des abords de la Seine au coucher de soleil, parfois la bière à la main, souvent l’enfant ou le partenaire d’escapade. Pour les restos et autres réjouissances, le poids pécuniaire fait la différence pour y accéder ou pas. Un pass pour l’ensemble des Jeux au prix de 13 milles euros (même des Polonais se le sont offerts), j’ignore ce que cela comprend, mais sans doute beaucoup et pourtant pas tout. C’est exactement ce qu’a coûté à l’assurance mon intervention de l’ablation, les dépassements d’honoraires étant négociés au prix des diverses amitiés connectées.
Les Parisiens sont partis en fuyant l’insupportable transformation de la ville en ghetto sportif. Ils reviennent pour la rentrée scolaire et professionnelle, ils comptent pouvoir se rattraper aux jeux paralympiques pour pouvoir goûter à cette fraternité dont ils ont eu vent et dont ils veulent finalement connaître le parfum. Une parenthèse bienvenue dans ce temps troublé, celui “de repli identitaire, de menace terroriste et de crise gouvernementale”. C’est vrai, la finale de foot au mondial en 1998 à Paris est déjà bien loin. La Révolution française encore davantage. Réactiver l’un à l’occasion de l’autre c’est toujours cela de gagné. Le bleu, blanc rouge brille plus que jamais. Mais au sujet des couleurs de drapeaux et d’autres signalétiques, c’est pour une prochaine fois.
Pour le moment, la flamme olympique se repose dans les tréfonds de la Montgolfière géante que j’ai pu admirer de près dans le jardin des Tuileries en compagnie des amis venus de Pologne pour admirer avant tout les exploits en tennis de leurs compatriotes, déçus. Et moi, j’avais toujours une bonne réplique aux déceptions, car j’avais l’embarras de choix pour soutenir une équipe d’un pays auquel je m’identifie, presque toujours quelqu’un parmi les Polonais, Français, Chinois, Hongkongais, Taiwanais emportait une médaille.
En le disant à l’occasion de la messe célébrée pour la communauté japonaise, (en anglais je vous rassure), on m’a fait comprendre que j’avais aussi l’équipe japonaise à soutenir, ce dont je me suis immédiatement exécuté pour couvrir la honte de ne pas l’avoir fait de moi-même.
Celle de sainte Lucie me réjouissait particulièrement, et me réjouissait surtout la présence de 40 milles bénévoles à qui le Comité Olympique, qui ne manque pas d’argent, a manqué le minimum de considération, il n’est pas encore trop tard pour se rattraper. Mais rien ne peut ternir la clarté de la flamme qui unit (dommage pour ceux qui n’ont pas pu y participer) les peuples et leurs représentants, surtout lorsque les compétitions sont terminées et le temps est à l’évaluation de la fraternité.