Depuis que l’Union européenne existe, le substantif pluriel « les européennes » a fait sa place dans le paysage linguistique français, tout comme dans les autres pays concernés. Voter pour les députés européens, qui représentent leur pays dans cette structure politique supranationale, ne va pas de soi. C’est un peu comme désigner les membres du jury pour l’Eurovision, dont on sait par ailleurs que le chauvinisme national peut souvent primer sur la qualité (objective ?) de la prestation. Mais finalement ce sont toujours les meilleurs qui gagnent.
Défendre les intérêts nationaux, tout le monde le fait.
Le faire avec l’art d’un intérêt commun aux dimensions nationales en lien avec ceux aux dimensions du continent et même du monde, cela n’a jamais été une petite promenade de santé.
Qu’est-ce que l’attitude juste, décente, dans une défense d’intérêts particuliers ? Comment les gros se comportent-ils à l’égard des petits ? Sans pour autant vouloir les manger. D’ailleurs, ce n’est pas le but du jeu, tout au moins à ce stade de l’union européenne. Comment exercent-ils une pression sur les petits ? Comment les petits, tout aussi bien que les gros, cherchent à esquiver les coups durs que les exigences de solidarité provoquent ? Tout cela dans le contexte, où la voix de chaque pays a la même valeur, et que pour passer une nouvelle loi il faut l’unanimité.
Dans la Pologne du XVII et XVIII siècle ce principe a conduit à la catastrophe nationale, mais ne pas trop vite faire des rapprochements douteux. Question de finesse dans l’analyse comparative.
Ces questions et bien d’autres vont servir de canevas pour la réflexion sur les devoirs citoyens et leur enracinement dans la foi chrétienne. Ces questions émergent sur le fond des divisions internes à l’intérieur de l’Union européenne et à l’intérieur de chaque pays. C’est aussi sur le fond d’un danger extérieur, tel qu’il est ressenti par les membres de l’Union et les citoyens de chaque pays qui la composent. Ces deux facteurs combinés, internes à l’Union et externes, induisent le danger même d’une implosion dans certains pays de l’Union. En mettant en danger toute la construction, dont la nécessité n’est pas convaincante pour tous, alors que sa fragilité est communément reconnue.
C’est sur ce fond que se préparent et vont se dérouler les élections européennes le 9 juin, même à Hong Kong, pour les ressortissants de l’Union Européenne. Élections, aux dires de certains, dont personne ne parle, ni en France, ni ailleurs. Est-ce la peur de passer un mauvais quart d’heure avant de compter les points ?
Comme pour le décompte des destructions des vies et du matériel dans les guerres et dans les catastrophes naturelles. Heureusement qu’il y aura le lendemain, tout au moins on l’espère. On l’espère au moins pour quelques-uns. C’est-à-dire pour nous et surtout pour certains d’entre nous. D’autres, dont moi, nous ne pouvons pas savoir comment cela va nous impacter en détail. L’avenir proche le montrera. En attendant et après, faire appel aux ressources chrétiennes en espérance est tout naturel à y puiser abondamment. Le pape François en fait le thème de l’année sainte en 2025.
C’est la toute dernière séance des EDC, (Entrepreneurs et Dirigeants Chrétiens) qui m’a convaincu de la nécessité de faire ce podcast.
C’est, délibérément dans ma manière personnelle, en tant que chrétien, que j’essaie de mettre en avant l’espérance chrétienne (espérer contre toute espérance) pour comprendre ce que sont les élections européennes. Et comment dois-je éviter qu’elles impactent de façon négative ma propre vie. Il faudrait encore s’entendre sur ce que veut dire impacter négativement ma propre vie. Sans doute, le fait d’aller voter ou ne pas aller est un vérificateur du rapport de l’engagement politique, ou pas, à ma tranquillité.
Aller voter, ou ne pas aller voter, cela semble être 50% – 50% en termes de valeur positive ou de valeur négative. Est-ce la même chose ? Pas vraiment. Est-ce parce que chacun fait ce qui lui plait, et donc peu importe si on y va, ou si on n’y va pas ? Ce nivellement vers le niveau du ressenti personnel exprime, sans le chercher, un état d’esprit, ou on se laisse anesthésier, désensibiliser à l’égard de la chose politique. Pendant ce temps-là, la vie continue. Le droit à la différence d’opinion est profondément inscrit dans les consciences des concitoyens français. Dans les sondages d’opinion, ce droit est considéré comme une valeur la plus objective. D’où l’assignation de la même valeur aux diverses opinions, la même valeur assignée à la décision de ceux qui votent et à la décision de ceux qui ne votent pas.
Ce marasme ambiant, ainsi provoqué, à d’autres origines qui l’alimente. Leur spectre se situe entre résistance passive et absence totale de considération pour la chose publique. Un tel marasme fait que la fièvre électorale concerne surtout les militants et leurs alliés. Ces derniers étant souvent des suiveurs sans trop de convictions, mais avec beaucoup de peurs qu’ils voudront exorciser à l’occasion. En effet, les élections sont une occasion et un moyen (comme un autre) pour se soumettre volontairement et plus ou moins consciemment à la purge qui décongestionne et fluidifie les voies de pensée et d’action. C’est sur ces voies que retentit la voix des votes qui recouvrent de leurs sons le mutisme de ceux qui s’abstiennent. La voix de ceux qui s’expriment, comme le gaz, remplit la totalité de l’espace de la vie politique. Et la façonne de la sorte.
Chacun va se positionner donc pour son propre compte personnel. Ce qui semble être suggéré par la démarche démocratique, puisque chaque voix compte. Pour en faire des ensembles, il faut les additionner ; désolé pour une constatation aussi triviale, mais ceci est fait dans le but de faire ressortir l’importance de chaque voix, chaque individu, chaque citoyen. Chacun agit individuellement, mais du point de vue des bénéficiaires de votes, chaque voix s’exprime dans une finalité collective. Jusqu’à les comptabiliser pour le soutien objectif, et les récupérer parfois en en abusant, selon le ressenti des votants. Chacun le fait en militant pour son propre compte personnel, mais aussi en suiveur. Chacun influe pour aller ensemble dans une direction ou dans une autre. Même ceux qui ne votent pas, expriment l’intérêt personnel et surtout collectif pour l’inertie, de ne pas bouger. Et on connaît la force de l’inertie, sans pour autant, souvent, se poser des questions (qui fâchent) sur les raisons véritables d’un tel immobilisme.
La volonté de changer s’entrechoque avec la volonté de conserver.
Parfois, souvent, toujours, ces deux envies, innover et conserver, concernent la même personne. C’est comme pour renouveler la garde-robe en vidant l’armoire de ce qui n’est plus à la mode, ou déjà bien usé. Il est plus courant de vouloir tout changer que tout conserver. Tout au moins en Occident, alors qu’en Asie le changement se fait par l’absorption des nouveautés à l’intérieur des traditions. L’habillage peut être différent (entre la Chine et le Japon par exemple), mais le fond est le même, celui de ne pas perdre une fierté nationale qui est irriguée par la mémoire savamment insufflée.
Changer, quitte à vouloir tout casser, comme dans la chanson populaire française qui parle des banlieusards débarquant dans la ville, une ville prospère et bien établie, tranquille et donc désireuse de conserver cette tranquillité. Mais pas eux, qui sont venus sans avoir été invités. Ils sont seulement priés de s’en aller. Ailleurs. Car elle sait ce qu’elle risque de perdre. Alors que les banlieusards débarquant dans la ville savent ce qu’ils veulent gagner, quitte à tout casser. Ils veulent que l’on entende leur mal être. Les votes européens sont-ils le signe d’ouverture à une telle entente et la pierre angulaire de la construction où chacun a sa place ? Ce n’est pas tout le monde qui en est convaincu.
Quel intérêt d’aller voter ? Qui soutient-on, comment savoir si on ne va pas encore se faire avoir ? Et finalement, c’est quoi une démocratie ? Comment ne pas avouer que tout est corruptible, la politique, la religion, l’organisation démocratique ou une dictature. Et pourtant aller voter ? Quel rôle va-t-on jouer, celui des figurants dont les autres ont besoin ?
On ne va même pas essayer de répondre à toutes ces questions. On les garde au chaud sous le coude. On les garde pour ne pas les oublier lors de la réflexion que cette méditation peut susciter en chacun, chacun pour son compte. Pas vraiment cette méditation, mais surtout les apports qui sont au nombre de trois.
D’abord la citation du pape François qui, comme souvent, met un bâton dans la fourmilière. Pour basculer sur la déclaration des évêques de France. Et, une fois n’est pas coutume, terminer par une prière.
1. Le pape François
Le pape François, pétri de messages bibliques, n’hésite pas à aller au charbon. La participation à la vie politique des chrétiens est une nécessité, rien que par la prière.
Cet extrait d’un article qui résume l’interview le prouve :
“Nous devons participer au bien commun, donc le bon catholique « ne doit pas se désintéresser de la politique », il doit au contraire, « pour le bien de tous (…) faire son possible pour que le gouvernant gouverne bien, en participant de son mieux à la vie politique ». Quelle est alors la meilleure chose que nous pouvons offrir aux gouvernants ? « C’est la prière », a répondu le Pape, en expliquant : « C’est ce que dit Paul : prière pour le roi et pour tous ceux qui ont le pouvoir ». « Prie pour qu’il puisse bien gouverner, pour qu’il aime son peuple, pour qu’il soit humble ». Un chrétien qui ne prie pas pour les gouvernants n’est pas un bon chrétien. « Il faut prier. » “
Par ailleurs, le pape est très lucide des dangers pour la vie spirituelle des croyants engagés en politique.
L’Église n’a pas pour vocation à faire de la politique qui est toujours partisane. Or, l’Église se réclame de se référer aux valeurs universelles à mettre en place partout. Dans ce sens, elle ne fait pas de la politique, mais se sent concernée par le politique. A ce titre, l’Église se défend d’être taxée d’être un lobby exerçant son autorité pour faire pression sur les décideurs. Elle prétend n’avoir que l’intérêt universel. On est déjà très loin des intérêts partisans que les différents pays catholiques mettaient en amont pour damer le pion (et souvent bien plus) à leurs voisins et concurrents. Mais ce n’est pas à coup de clairon, que sont les déclarations de principes et même d’intention, que l’Église va convaincre d’une telle supposée innocence. Rien que la divergence entre les pays du nord et ceux du sud le prouve, et le pape François vient apporter aussi sa touche.
Vouloir classer les influences de l’Église dans la catégorie des Lobby est tentant. Cela porte même des fruits dans la lutte d’influences pour l’étouffer sous le couvercle d’une défense partisane. Mieux, les défenseurs de l’universalité et de ses valeurs ont changé de camp. Ils ne sont plus dans l’Église et le christianisme en général, les valeurs dites chrétiennes se sont essoufflées dans leur lutte avec des valeurs actuelles (l’allusion au titre d’un journal, totalement fortuite, mais finalement pas aussi sans intérêt que l’on pourrait le penser).
Mais ce n’est pourtant pas la situation potentiellement pécheresse qui doit éloigner de l’engagement en politique. Ce risque est à prendre, car le bien qui en résulte est supérieur au mal que cela entraîne. Le pape François est éveillé et incite à s’engager en politique, comme une mission qui fait partie du cœur du message chrétien lui-même.
2. Évêques de France
Les évêques de France (en collaboration avec les évêques frontaliers francophones de l’Europe de l’Ouest, allemands, luxembourgeois et belges) ont publié le 12 avril 2024 une lettre pastorale : ”Un souffle nouveau pour l’Europe” pour nourrir la réflexion sur les choix à faire. Ils s’adressent à tous les frères et sœurs européens en des termes suivants :
“L’Évangile du Christ est venu apporter un ciment spirituel au Moyen Âge, entre ces cultures diverses, et ouvrir la population, avec une exigence nouvelle, au respect de chaque personne, au service des faibles et à une espérance sans limite. L’islam a apporté l’algèbre, les chiffres arabes, l’ouverture à la culture arabe et la relation avec l’Asie par la Route de la soie. Que faire de tout cela pour que l’Europe respire à pleins poumons aujourd’hui ?”
Les fondations sont faites des matériaux de base divers suivant l’apport de chacune de différentes entités culturelles de l’Europe. Ces matériaux sont en grande partie encore valables et utiles, il en est moins pour les ciments. La modernité apporte d’autres produits synthétiques qui garantissent la cohésion entre les individus et les peuples. Ce ciment nouveau est composé de l’Intelligence artificielle, qui pour le moment fait encore figure de matériau rare, mais qui pourrait très prochainement se “démocratiser”, se répondre en offrant ses services à des prix raisonnables.
La suite du document nous renseigne sur les origines immédiates de l’Union, qu’il est peut-être bon de rappeler :
“l’Union européenne a été fondée pour la paix, sous la forme de la CECA (Communauté européenne du charbon et de l’acier), en 1951. Cette construction a été élaborée par les vénérables Robert Schuman, Konrad Adenauer, Alcide De Gasperi et Paul-Henri Spaak et définie par le Traité de Rome le 25 mars 1957. En effet, il apparaissait clairement, au sortir de la guerre 1939-1945, qu’il ne fallait pas humilier les vaincus.”
Donc la raison principale n’était pas le bien-être matériel, personnel pour garantir la liberté individuelle. C’est en amont que ceci pouvait être garanti par la préservation de la paix. Les leçons de l’histoire sont toujours de courte durée, mais comme la pluie n’arrête pas le pèlerin, la météo capricieuse n’enlève en rien l’espérance du chrétien. Seulement elle donne au contenu toujours le même une consistance et des formes nouvelles qui sont le résultat des circonstances et de l’attitude à leur égard. Témoigner des valeurs dans une situation où personne ne les conteste n’est pas la même chose que de le faire dans des circonstances de leur refus larvé ou frontal.
“Les critères d’adhésion d’un pays à l’Union européenne étaient devenus essentiellement comptables et statistiques. La guerre en Ukraine renverse aujourd’hui les critères d’adhésion. L’adhésion ferme aux principes et valeurs démocratiques redevient prioritaire pour entrer dans l’Union européenne.”
Donc durant quelques décennies on s’est un peu (beaucoup…) éloigné de cet objectif premier qui est celui de garantir la paix par la justice, l’équité. On s’est même égaré dans les considérations comptables entre le permis et l’interdit, dont on labellise des produits divers, des biens matériels. On a laissé vivoter les valeurs dont on voudrait se servir pour le travail de « comptabilité » à quelques groupes informels et on les a mises dans la sphère privée, comme la religion.
Ces quelques citations de la lettre ainsi commentées suffisent pour comprendre le ton, la portée et les moyens pour une meilleure prise de conscience au sujet de l’Europe et des élections européennes. Faut-il insister sur le fait que, comme le comprennent les idéologies politiques, l’union fait la force, pour comprendre que ce qui unit les européens et leurs pays entre eux est plus important que ce qui les divisent. Les valeurs universelles sont à la fois humanistes et chrétiennes.
La diversité culturelle de l’Europe peut être une chance à une seule condition, qu’elle soit protégée par un élan de respect soufflé et garanti par la démocratie. L’Europe cherche des voies nouvelles pour maintenir les deux, la diversité et l’unité. Pour l’aider à se retrouver, chaque voix compte. Même seule à bout de souffle, de conviction et d’espoir. L’espérance chrétienne réveille tous ceux qui reconnaissent sa source.
Voici une longue prière sous forme de manifeste adressé au Dieu des chrétiens :
3. Prière pour le politique
Éternel, notre Dieu, nous voulons porter notre monde dans la prière, et porter tout spécialement ce monde que nous avons sous les yeux, notre pays, en tenant compte du temps que nous vivons. Nous voulons tout spécialement intercéder pour le politique : non pas la politique avec son esprit partisan, mais le politique, cet appel à construire la possibilité d’une vie commune, la possibilité d’une vie publique… La possibilité de sortir de chez soi sans craindre pour soi.
Nous intercédons pour le politique, afin que nous y prenions part, au lieu de nous replier sur nos craintes, nos désillusions, nos soupçons et sur nos incompétences. Toi qui es le Dieu de toute la terre, enlève nos clôtures privées, élargis nos vies indifférentes, passe par-dessus nos tranquillités et aide-nous à vivre en communion avec les peuples du monde.
Nous intercédons pour le politique, car seul, il peut renverser la force des injustices oubliées, seul il peut réagir face aux puissances satisfaites, seul il peut répondre aux cris étouffés, à ce sang qui imprègne la terre et qui crie vers toi.
Nous intercédons pour le politique, puisque lui seul change les lois et modifie les états.
Alors toi qui as suscité les prophètes, toi qui es le Dieu de l’indignation, démasque nos privilèges, réponds à nos souffrances, reconnais notre droit et rends-nous responsables.
Nous intercédons pour le politique, car il est notre pouvoir. Il est l’exercice de notre participation à la conduite de l’histoire. Il est notre joie quand le ciel bascule de l’oppression à la liberté, de la terreur à la pacification ou, plus simplement, de l’opposition qui écarte, qui diabolise, à la responsabilité acceptée au service de tous. Toi qui es un Dieu qui nous appelle à agir, à nous engager, enflamme nos convictions, d’un feu semblable au buisson ardent : non pas un feu qui dévore, mais un feu qui éclaire, qui nous fait sortir de l’obscurantisme, si bien que nous avançons avec tant d’autres, portés par cette espérance que tu formes pour nous.
Éternel notre Dieu, nous intercédons pour le politique, car il nous ressemble. Et c’est nous-mêmes que nous te prions de garder dans la flamme et la lucidité, dans la bienveillance, dans la fraternité. Amen
Max Gallo : L’amour de la France expliqué à mon fils. Si cela vous tente.