« [L’Empire chinois est un vieux navire, et même s’il ne va pas] couler complètement, il peut dériver quelque temps comme une épave et se briser en mille morceaux sur le rivage […] Je ne serais pas surpris si sa dislocation ou son démembrement devait avoir lieu avant ma propre fin. » (Voix : Marius Laffont)
Le comte anglais Lord Macartney revenait d’une mission diplomatique en Chine lorsqu’il aurait écrit ces mots, manifestement encore frustré du fiasco total qu’il venait d’essuyer. Les essentielles relations commerciales qu’il espérait impulser, avaient toutes été déclinées.
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Lord Macartney se trompait sur la date, et l’empire du milieu perdura un siècle après sa mort. Mais son constat était juste : la dynastie des Qing qui contrôlait l’empire depuis 1644 s’épuisait. La corruption et le retard technologique face aux Occidentaux la rendait vulnérable et l’Angleterre allait bientôt en profiter pour se venger et pour imposer sur la Chine son autorité.
Chers auditeurs et auditrices, c’est l’événement de ce brillamment terrible coup d’éclat que nous vous proposons de redécouvrir aujourd’hui. L’histoire d’une revanche économique prise sur la Chine grâce à la drogue, l’histoire de la première guerre de l’opium.
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Au début du XIXe siècle, la Chine affiche un protectionnisme rigoureux, bien décidée à ne pas laisser les appétences européennes nuire à sa stabilité. Aussi impose-t-elle aux nations occidentales qui voudraient commercer avec elle des conditions… drastiques. C’est le « système de Canton ». Concrètement, seul le port cantonnais est ouvert aux commerçants occidentaux, et des guildes de marchands chinois, appelées COHONG, taxent intensément exportations et importations.
Des restrictions qui placent le Royaume-Uni dans une position… délicate. En effet, la East Indian Company, qui détient le monopole royal du commerce en Extrême-Orient, est déficitaire. Le système de Canton prive les Anglais des bénéfices nécessaires pour compenser leurs dépenses liées à l’importation de thé. Un déséquilibre commercial qu’il convient de réajuster.
Pour se faire, une idée peu scrupuleuse est envisagée : commercer l’addiction. Trouver une substance qui forcerait les Chinois à consommer et contourner les taxes en la trafiquant. Et ça tombe bien, la région indienne du Bengale – rappelons que l’Inde est sous domination britannique, fournit un opium d’une qualité irrésistible.
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La East Indian Company se met alors à en produire massivement et le fait acheminer vers la Chine par l’intermédiaire de contrebandiers locaux. L’opium, pourtant prohibé depuis 1729, se répand comme une trainée de poudre. Les caisses britanniques sont sauvées. Les revenus de la drogue permettent de financer l’importation de thé.
En 1834, la East Indian Company perd son monopole et laisse alors à des marchands privés la possibilité d’exploiter ce juteux filon. Parmi eux, les compères écossais William Jardine et James Matheson fondent la Jardin-Matheson & Co. qui inonde la Chine du mortel produit. Cette dernière devient une des plus importantes sociétés de commerce de l’empire et alimente des millions de personnes addictes. Le trafic menace toutefois la santé du peuple chinois, et dévalorise l’économie des Qing. Une situation qui déplaît évidemment à un certain empereur Daoguang…
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L’empereur envoie alors son commissaire impérial, un certain Lin Zexu, à Canton. En 1839, il y organise un blocus, il met la main sur quelques 20000 caisses de drogue, il les détruit. Dans les semaines qui suivent, la tension monte d’un cran. Des marins anglais ivres tuent un villageois chinois. Les Britanniques refusent de livrer les accusés à la justice Qing. Lin Zexu bloque alors leur ravitaillement en nourriture et ordonne le déploiement de navires de guerre près de leur position. L’ébullition s’accentue, le parlement anglais finit par voter l’entrée en guerre. Le Secrétaire aux Affaires étrangères, Lord Palmerston, peut alors compter sur le soutien des trafiquants, dont l’éminent William Jardin.
Fort de ses connaissances sur la Chine, Jardin recommande à Palmerston la stratégie militaire à adopter et les objectifs à atteindre. La Jardin-Matheson & Co. va même jusqu’à fournir bateaux, pilotes et traducteurs aux corps expéditionnaires britanniques. Le résultat est sans appel : les jonques chinoises sont écrasées par les canonnières anglaises et une demi-douzaine d’opérations suffit pour mater les ambitions des Qing. En août 1842, les Britanniques capturent Nankin et scellent ainsi le contrôle de la cruciale rivière Yangtsé. L’empereur Daoguang n’a pas d’autre choix : il doit capituler. Le 29 août, le traité de Nankin est signé. Pour les Qing, il est désastreux.
Les Britanniques obtiennent l’abolition du monopole des COHONG et forcent l’ouverture de 4 nouveaux ports au commerce. Des lieux qui seront qualifiés plus tard de cités « sino-étrangères ». Un révère calamiteux pour l’empire qui voit son idéal protectionniste se volatiliser, et le libre échange s’imposer.
Enfin, et surtout, l’île de Hong Kong, tant convoitée par le passé pour sa position stratégique, est cédée de façon perpétuelle à la Couronne britannique. Elle entame alors une entrée fulgurante dans le système capitaliste, notamment impulsée par la Jardin-Matheson & Co. qui allait y initier des changements radicaux et créer la spécificité de son histoire.
Bien qu’éclatante, la victoire n’est pourtant pas totale. Les tensions ne sont qu’endormies, l’ambition de Londres est vorace, Hong Kong pourrait s’agrandir… Le crépuscule d’un conflit en appelle l’aube d’un autre.
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Chers auditeurs et auditrices, nous espérons que ce premier épisode d’« Histoire(s) d’un monde » vous aura plu. À très vite, et prenez bien soin de vous.
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Crédits photos :
1841 : Des navires de guerre britanniques face à des jonques chinoises (Source : Wikipédia)
1842 : Signature du Traité de Nankin qui cède l’île de Hong Kong à la Couronne britannique (Source : Wikipédia)
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Crédits musiques :
– Musique d’intro: “Whispers in the Wind” – Brandon Fiechter – (1434) Whispers in the Wind – YouTube
– Extraits composant le Jingle :
· Discours du Prince de Galles lors de la rétrocession : « Prince Charles Says Farewell to Hong Kong » – ITN Archive – (1434) 1997: Prince Charles Says Farewell to Hong Kong – YouTube
· Interview de Tung Chee-hwa : “Does Hong Kong Have Freedom?: A Conversation with Tung Chee Hwa” – China-US Focus CUSEF –(1434) Does Hong Kong Have Freedom?: A Conversation with Tung Chee Hwa – YouTube
· Cris des protestataires lors des manifestations de 2019 : « Les manifestants demandant la démission de Carrie Lam » – Le Petit Journal – (1434) Les manifestants demandant la démission de Carrie Lam – YouTube
· Déclaration de Carrie Lam : “Carrie Lam: ‘One Country, Two Systems’ maintains Hong Kong’s prosperity” – CGTN – (1434) Carrie Lam: ‘One Country, Two Systems’ maintains Hong Kong’s prosperity – YouTube
· Musique de fin de Jingle : Premières notes de Glory to Hong Kong