Traditionnellement la langue française exhibe plus facilement l’idiot du village que le crétin.
L’idiot avait sa place reconnue dans le village, les limites qui étaient les siennes lui permettaient de jouir d’un statut d’amuseur, une sorte de saltimbanque local qui, tel un intermittent du spectacle, égayait la morosité d’un dur labeur quotidien.
Alors que le crétin était un bon à rien, et de plus il pouvait se démultiplier, constituant une catégorie à part. Au point que dans ses proportions devenues gênantes pour le fonctionnement de la société, il pouvait devenir un problème de santé publique.
Rien de cela pour un idiot du village qui jouissait d’un statut unique, il ne pouvait pas en avoir plusieurs, ou alors les autres étaient considérés comme faisant partie des statuts du crétin.
Le village d’autrefois le prenait en charge, sans angélisme, ni compassion excessive, mais lui donnait comme horizon la nature et ses vastes étendues de verdure l’été et la blancheur l’hiver, et quand il y en avait, le bleu du ciel pour toutes les saisons.
Mais ça change. On a réussi à éradiquer certaines maladies qui provoquaient le crétinisme (terme technique) par exemple en Savoie au début du XX siècle. On a aussi réussi à éradiquer l’usage du mot, ainsi banni du vocabulaire usuel. Il devient un reliquat de l’histoire.
Sauf dans certaines cours d’école, (et pas seulement, j’y reviendrais plus loin) sa puissance évocatrice demeurant intacte, le besoin de s’y référer semble indispensable pour apprendre la vie.
A l’époque actuelle, pour un idiot du village, quand c’est nécessaire, on s’occupe de lui en lui réservant à coups de prescriptions médicales une place dans une maison spécialisée. Avec la possibilité tout de même (c’est là que le souvenir intervient) d’avoir une vie à peu près normale dehors.
Et quand il se sent enfermé dehors, on l’enferme dedans, la liberté de choix est bien restreinte comparée avec ce qui était possible par le passé pour ses “aïeux”, ceux d’une même espèce.
Comment traiter avec tendresse et sérieux la question de la différence ? Tel est l’objet de ce podcast.
Soumise à une pression constante de la part de la société, ce qui veut dire de la part de tout le monde, ce qui engage, et de la part de personne, tellement la responsabilité se dissout dans l’anonymat, la régulation de la diversité est strictement contrôlée par quelques-uns et à assumer par tous, ou plutôt chacun dans sa situation directement ou indirectement concerné. Pour ces derniers, suivant leur conscience, la responsabilité va aller décroissante pour se diluer dans son contraire, ce n’est pas mon problème, ou alors pour limiter au maximum ce type de situation pour une raison très simple, cela coûte trop cher à la société.
Mais il y a aussi une autre raison, plus profonde et sournoise par certains côtés dans la mesure où elle s’alimente d’une peur de se voir comme un handicapé. Je viens de voir sur Facebook un poste fait par un garçon dénommé Ruud qui publie sa photo avec ces mots qui l’accompagnent : c’est mon anniversaire, mais personne ne me le souhaite car je suis handicapé. Il n’y a pas de raison de soupçonner un fake et même, c’est toujours bon d’avoir ce type de photos et des paroles qui les accompagnent pour servir de contrepoint à tous ceux “Regardez comme je suis beau et gentil”.
Il y a différentes sortes de diversités et leur diversification est hiérarchisée.
Depuis toujours la structure sociale repose sur ce principe. On admet la diversité dans le sens qui convient à ceux qui édictent les normes. Les uns maîtres et les autres esclaves ; les déportés d’Afrique pour travailler dans les plantations du coton en Louisiane, ou les Indiens (ceux d’Asie) déplacés sur l’île de Ceylan pour travailler pour le compte de sir Lipton. Et les autres n’ont jamais étaient en reste. Et cela continue de nos jours.
Pourquoi sommes-nous enclins à accepter certaines inégalités de traitement alors que d’autres nous révoltent. Certes ce qui était la norme hier, ne l’est plus aujourd’hui, l’exemple parmi tant d’autres est celui de la régulation sociale de l’homosexualité. Alors que les préjugés perdurent et se renouvellent dans leur vivacité, parfois là où on ne les attend pas.
Le traitement des inégalités s’apparente à la gestion des tabous dans leur fonction d’interdits ; ils se déplacent pour se nourrir ailleurs de ce qui remplira leur espace d’accueil, mais ils ne disparaissent pas en tant que contenants, ils sont toujours prêts à dévorer d’autres évidences qu’il faut taire. Et dans certains cas extrêmes pour sauver l’apparence libératrice d’un tabou, cela conduit au paradoxe de l’interdit d’interdire.
Qu’est-ce qui reste de la manière dont on traitait les “Boschs” naguère ? Ils sont même devenus sympathiques par leur liberté de vouloir tracer des chemins nouveaux pour la religion chrétienne catholique (cf Synode d’Allemagne).
Le crétin du village que l’on peut encore rencontrer est celui à qui on a assimilé le nom de chrétien. Même si cette association se fait par le biais d’une blague plutôt de mauvais goût (je connais d’autres concernant ma congrégation par exemple, dites-vous Pallottin, n’est-ce pas donc un ballotin, non c’est juste pal et hautin), n’en demeure pas moins que l’idiot du village, (c’est tout de même plus élégant que l’autre), est celui qui se tient à la porte de l’église pour non pas quémander de la pitance mais pour offrir la possibilité d’entrer librement dans un espace depuis si longtemps désert et qui peut si non amuser tout au moins assouvir la curiosité et peut-être même nourrir la subtilité artistique.
Mais il y a mieux, son utilité est bien visible dans le monde, où on meurt bien plus dans un village déserté par les jeunes, et il faut s’en occuper. L’idiot du village, à l’aide de l’eau bénite, va donc agiter le goupillon pour chasser les mauvais esprits qui ont pris le relais de l’esprit du défunt, car il n’y a jamais un malheur sans l’autre.
La différence entre les vivants et les morts est d’une incongruité époustouflante, la preuve, la pauvre Germaine, paix à son âme ! de son vivant avait été omniprésente dans les commérages du village, et ce n’est pas maintenant que l’on va s’arrêter.
C’est une manière très élégante de conjurer le sort de leur propre mort, celle de ceux qui impuissants assistent au départ des autres, avant que cela ne soit leur tour, ils connaissent la suite, pour tous c’est pareil.
Il faut donc trouver quelque chose d’exceptionnel quelque part, au moins là, et les grenouilles de bénitier servent à faire agiter les eaux de leur mare à canards, à l’intérieur de laquelle se trouve un canard boiteux (un seul, car sinon il change de catégorie, d’ailleurs on va veiller à ce qu’il ne se multiplie pas trop) qui se veut différent des autres, mais il ne l’est pas. La preuve, inexorablement il va dans la même direction.
Quand d’un côté on voudrait gommer la différence, régulation sociale et surtout existentielle oblige ! De l’autre on va tout de même nourrir de la considération pour certains qui ne sont pas pareils. Et ainsi le compte est soldé, car les deux colonnes devoirs et droits, ou sur un autre plan, les entrées et les sorties comptables sont bien équilibrées.
La différence sert à se mesurer. Le ciel aux doux et humbles de cœur et l’enfer à tous les pervers. Il y a des différences qui sont plus supportables que d’autres. Madame, d’où est-ce que vous sortez pour avoir un accent pareil ? demandait à une cliente la vendeuse d’un magasin de vêtements chic, dans un quartier chic de Paris, la cliente venait du Québec et n’est plus jamais retournée en France.
L’idiot du village est amusant et amuse la galerie, c’est en quoi semblent parfois se transformer certains humoristes à qui il manque seulement l’innocence par laquelle l’idiot du village est inoffensif.
N’est pas l’idiot qui veut, faut-il encore avoir la fraicheur de conviction et leur profondeur, sans aucun appui, sûrement pas raisonnable, seulement celui de simplicité.
Des simples remplissent l’univers, ils sont différents, ils ne rentrent dans aucune case de la fiche d’identité à remplir pour valider leur présence. Et ainsi prouver leur existence. D’ailleurs, ils ne sont pas capables de le faire, il leur faut de l’aide et cela se paye en lien social renforcé pour le mieux et en facturation pour le pire.
Être différent c’est ne pas avoir de moment tranquille, car de tout instant la différence saute aux yeux des autres, alors que vous vous êtes déjà habitué à côtoyer la normalité de votre différence. D’un exotisme pittoresque dont l’utilité est prouvée par les autres qui sont comme tout le monde, il est transformé en bête curieuse qui n’amuse plus, cela devient une charge, comme chez Kafka dans la Métamorphose.
C’est comme ceux qui viennent très occasionnellement à l’église et se sentent gênés car ils se sentent différents, à défaut d’être croyants différemment, ils sont sans aucun doute des pratiquants différents, ou plus exactement pratiquant différemment.
Ils le sont de fait, mais pas forcément accueillis comme tels. D’ailleurs cela pourrait leur jouer de mauvais tours, car ils finiront par se conformer avec l’image qu’ils croient se projeter sur eux. Et s’ils le constatent dans les yeux des autres, ou le croient y déceler, l’effet est le même, c’est sûr, ils n’y reviendront plus. La vitalité de leur existence n’en dépend pas. Le kit de survie qu’il confondent avec celui de la vie plutôt bien épanouie par ailleurs, leur suffit.
Le sage d’autrefois assimilé au clerc ou l’étant lui-même, est devenu le fou d’aujourd’hui.
Rien n’y fait des évocations picturales de l’église au milieu du village, de la force tranquille de l’époque de Mitterrand, ceci de fait était considéré comme une confiscation du symbole revendiqué par l’autre bord.
L’inversion des rôles est toujours fascinante et elle conduit à prendre de la distance aux deux sources qui les génèrent. Soutenir une minorité qui n’a jamais eu droit au chapitre ou la majorité qui l’est devenue depuis peu, mon cœur ne balance pas. Le droit à la différence, de toute époque, est à la fois suspect et moteur de changement.
Les crétins des Alpes pouvaient aussi être le résultat d’une consanguinité que le manque de brassage de population provoque. Et ceci n’est qu’une simple comparaison métaphorique pour exprimer le besoin de mixage dans tous les domaines de la vie individuelle et sociale.
Entre un peu, beaucoup, à la folie, des mariages heureux dont le bonheur est ennuyeux comme la lecture des registres de comptes des donateurs généreux pour soutenir une cause louable, jusqu’aux drames des déplacés de force, s’ils n’ont pas eu le temps de mourir avant, le privilège dont toutes les guerres disposent, ils seront mélangés aux autres. D’une curiosité dramatique, ils deviendront coauteurs d’un renouveau malgré eux, leur singularité va donner du sang neuf. Et de la pensée aussi.
Et sur un tout autre plan mais dans le cadre d’une même réalité de rapports entre la majorité et la minorité, les femmes qui ont de l’influence vont indubitablement changer la manière de travailler, en intégrant une nouvelle manière de l’organiser.
Mais c’est pour une autre fois.