“La marche est une expérience du sacré.”

 

La manchette de la page de couverture du Pèlerin du 14 janvier dernier rappelle une évidence. Il y a des évidences qu’il est bon de rappeler. L’actu à visage humain, en sous-titre du journal le Pèlerin, résolument catholique, cherche des thèmes fédérateurs.

 

Cette fois-ci, il nous fait marcher sur les pas de l’interview donnée par un spécialiste des spiritualités. Frédéric Lenoir est bien connu dans la sphère religieuse du paysage culturel français et sans aucun doute à l’internationale.

 

Le sacré permet de relier l’être humain au mystère de l’univers. L’aveu de l’historien des religions qui a failli devenir moine ne peut être que partagé par tous les marcheurs qui cherchent avec les pieds ce que la tête porte. 

 

Tout ce que la tête fait peser à tout le corps, car elle n’arrive pas à contenir tout cela en elle seule. Ce n’est pas sa grosse tête qui pèse lourd, chargée de l’auto-conscience d’elle-même, ce sont toutes les questions auxquelles elle n’a pas de réponse, elle ne les a plus, ou pas encore. 

 

Tout ce qui l’encombre, tout ce qui l’entrave, tout ceci pèse lourd sur l’inconscient qui dit des choses sans le dire vraiment. C’est comme un ventre lourd, sans trop savoir pourquoi, mais suffisamment pour ressentir la lourdeur et l’inconfort. Ce n’est pas une lourdeur passagère, comme celle qui contient un irrésistible appel à la sieste ou un sommeil d’une nuit entière.

 

C’est au contact avec le banquet de Platon que jeune Frédéric, fils d’un philosophe, se met à rêver d’un sacré universel auquel la nature l’a déjà fait ouvrir dans un éblouissement que l’enfant sensible à l’appel de quelque chose de plus grand que soi s’est laissé toucher et qui ne le quittera plus.

 

Dans la tradition catholique, il n’y trouve pas satisfaction pour nourrir son appétit pour les douceurs au goût de la marche sacrée vers l’infini de l’univers.

 

Il décide de rester attaché à la dimension spirituelle noblement humaine, profondément terrestre, bien détachée de tout marquage imposé par une religion concrète. Même celle chargée de promesses divinement révélées, mais dont les échos sonnent creux comme les cymbales retentissant de l’hymne à l’amour de saint Paul.

 

Il veut être de toutes les spiritualités, mêmes celles qui se sont affranchies de toute religion. Il veut être de toutes les religions et d’aucune pour marcher sur les étendues de la pensée humaine qui aspire à plus d’elle-même. 

 

Le doctorat en sociologie des religions n’aurait pas suffit de sauf-conduit pour pénétrer dans les eaux ex-territoriales de son enfance afin d’être à l’écoute du soupir profond d’une existence humblement humaine.

 

Est-ce possible de s’y aventurer par soif de communier sans risquer de sortir de l’existence elle-même pour être encore plus elle-même. Ce risque que le chrétien prend et avance en glanant autour, c’est ce qu’il trouvera comme signe des traces de la présence qui l’appelle au dépassement de soi. Et qui l’enracine plus profondément là, d’où il venait pour faire le tour du monde autour de soi. 

 

La journaliste qui l’interviewe laisse cette note en marche de la rencontre :

“Il nous offre le thé, dévoile son espace de recueillement, doux et chaud, avec icône du Christ et sculpture bouddhiste… Un moment très zen.”

 

Les traces des méditations avec les moines au Tibet, les traces des charités vécues en Inde dans les léproseries de Mère Teresa. Un voyage initiatique de sa jeunesse, comme tant d’autres qu’il fera depuis. Tout ceci s’accumule, s’amoncelle, vient l’enrichir et ne le quitte plus. Ce n’est pas en collectionneur de miles qu’il voyage, il marche et s’arrête pour expérimenter et contempler. C’est en chercheur des profondeurs qui l’appellent à bouger qu’il voyage pour être de tout cela à la fois.

 

Un chrétien libre-penseur, comme il se décrit lui-même, un chrétien qui va parfois à la messe, dit la belle prière du Notre Père en se mettant en présence du Christ, tout en pratiquant la méditation bouddhiste. Mais il ne dit pas qu’elle est la différence entre la prière et la méditation, ni quelle est leur complicité réciproque. Pas plus de savoir s’il médite devant le Christ pour se remplir d’amour qui côtoie la souffrance, ou devant le néant pour se libérer de tout.

 

Avec un zeste de spiritualité mêlée au miel de la douceur, on s’y reconnaît facilement. C’est si loin de la croix et du Golgotha, et c’est si près à la fois, car le Christ de l’icône, majestueux, détaché qu’il soit porte en lui la douceur de toutes ces rencontres avec son Père céleste par la foi et avec sa mère par la confiance envisagée, même dans les moments les plus enragés.

 

Cela fait du bien de savoir qu’il y en a qui marchent avec une telle soif et un tel appétit de comprendre et de se comprendre sans savoir vraiment ce qu’il y a à prendre. Cela même confirme notre désir profond de nous libérer de toute contrainte dite dogmatique qui nous empêche d’être libre. Le christianisme est authentique à ce prix, comme est authentique la foi qui cherche à se libérer de tout ce qui la broie.

 

Marcher libre pour être de tous les vents et n’en dépendre d’aucun, c’est le propre de l’Esprit Saint. Le vent souffle là où il veut et tu ne sais pas d’où il vient, ni où il va (Jésus à Nicodème, Jean 3). Nous avons le désir de l’Esprit Saint sans en avoir les moyens.

 

Nous sommes obligés d’être de quelque part. Nous pouvons parcourir bien des chemins de Compostelle, nous pouvons prendre le départ à bien de routes du rhum et d’autres vents de globe. Nous pouvons gravir bien des monts Saint-Michel, Machu Picchu et d’autres Annapurnas. Tout cela, nous pouvons le faire à faire fondre tous les glaciers de l’immobilisme et à faire verdoyer tous les déserts humains arides, inhospitaliers. Mais dans tous ces voyages nous revenons quelque part, là où nous étions autrefois sans savoir ce que cela voulait dire. Nous revenons là, d’où nous sommes venus.

 

Tous nos pèlerinages terrestres à la quête de nous-même ne sont qu’une expédition, une pérégrination pour se trouver soi-même. Enrichis au passage de toutes ses expériences, dont témoignent des bouddhas, christs et tant d’autres en guise de trophées exhibées dans l’espace intime d’entre soi.

 

Nous nous sentons enrichis et comblés, satisfaits même. Tout y est à sa place, répertorié dans les catalogues de nos albums de souvenirs. Rien n’y est encombrant, car tout est digéré dans le ventre de la mémoire. Le transit est assuré, le sang circule vaillamment dans les veines. La veine de la vie est riche de promesses d’un avenir paisible.

 

Le Pèlerin chrétien y prend part, il s’y ouvre, il l’intègre, le fait avec Jésus. Ce Jésus qui, peut-être lui-même, a fait un grand voyage initiatique à la rencontre d’autres spiritualités en comblant la lacune de plus de 15 ans de vie dont gardent le silence les Évangiles, dont semblent parler d’autres écrits.

 

Avant de revenir chez lui pour agir en vue de l’annonce du Royaume de Dieu à accueillir dès cette terre et dans tous ses élans du cœur pour l’univers, et de là vers l’Éternel. En marchant sur le flanc escarpé du Golgotha pour y laisser sa peau avant de peaufiner le destin divin dans les cœurs de ses suiveurs. Prêts à marcher dans ces pas avec leurs deux pieds, pas à pas, péniblement, laborieusement, jusqu’au bout, jusqu’où ses traces les conduiront.

 

La marche comme expérience du sacré, cela passe par aimer la vie comme on aime un enfant, dit-il vers la fin de son interview. Cela passe par vivre joyeusement dans un monde prévisible et chaotique. 

 

Cela suppose de marcher sur les eaux en pleine tempête. Cela suppose de prendre une main tendue vers un meilleur avenir. Cela suppose de marcher ensemble avec toute l’humanité qui aspire à plus de vie. Sans pour autant, si souvent, pouvoir respirer à fond pour pouvoir l’accueillir profondément, comme elle le mérite.

 

On ne peut qu’être d’accord avec un sincère chercheur de sens pour cette vie. Mais cela lui suffit-il ? Je ne le sais pas, je n’ai pas à le savoir si de lui-même il ne le dit pas. 

 

Savoir qu’il y a des sentinelles comme la sienne me va. Savoir élargir mon horizon grâce au sien, cela me va. Savoir qu’il n’est pas mon gourou plein de tatouages qui marquent les étapes de ses rites initiatiques n’est pas un désaveu de son utilité. 

 

C’est un aveu de mon chemin qui est tracé par la foudre de la révélation de la foi que toutes les méditations dans le vide sont des appels à la rencontre féconde que tant de Frédéric ont pressenti et ce qui les met en marche avec foi en l’homme et sa spiritualité en attendant celle en Dieu et sa divinité.

 

 Et donc en marche vers où est ma destinée, où est ma voie.

 

Être dans une religion donnée, est-ce cesser de marcher ? Et si oui à quelle condition et si non pourquoi ? Bien de raisons peuvent être trouvées pour tenter d’y répondre. Tel n’est pas l’objectif de ce petit texte qui, lui, contient un simple message.

 

Marcher c’est le propre d’un être vivant en mouvement, marcher sur ces deux pieds, c’est le propre d’un bipède qui cherche l’équilibre entre ce qu’il ressent et ce qu’il reçoit comme réponse.  

 

Hong Kong est connu pour ses sentiers de randonnées et le beau temps de ces derniers mois a favorisé un exode massif des marcheurs pour ainsi lutter contre la morosité de la situation engendrée par les protestations et maintenant la pandémie. Certains se défendant pour rester dans un équilibre remis à de rudes épreuves. Quand pour d’autres c’est une question d’accomplissement de soi par le sport et l’attention portée au corps et ses besoins voire exigences. 

 

La foi chrétienne est bien plus qu’un accomplissement de soi par ces propres moyens. Elle est l’accompagnement de soi en relation avec celui dont on reçoit tout.