Nous recevons Arnaud Lacheret, Directeur de la French Arabian Business School (ESSEC) de Bahreïn à l’occasion de la sortie de son livre : La femme est l’avenir du Golfe
Les monarchies du Golfe persique sont réputées pour être des sociétés où les femmes ont peu de place et de droits, où elles semblent soumises et enfermées dans un cadre islamique qui empêcherait toute évolution.
Arnaud Lacheret a pour la première fois au monde, pour un chercheur occidental, obtenu des entretiens enregistrés de femmes arabes du Golfe de la classe moyenne. L’occasion pour lui d’évoquer avec des femme, la rencontre amoureuse, la polygamie, le monde du travail, de la famille ainsi que les traditions et la religion
Cette étude, première en son genre, montre que le changement des sociétés arabes passe par ces femmes qui, tout en restant musulmanes, ont tendance à séculariser l’islam à bas bruit et à devenir les actrices d’un changement que l’on ne perçoit pas en Occident.
Nourris de son expérience, précieuse, du monde arabe, nous revenons avec Arnaud Lacheret sur la campagne contre la France. Une vague qui a déferlé sur quelques pays musulmans et qui a pu alimenter la soif d’attentats des groupes terroristes comme Daesh ou Al-Qaïda.
Lesfrancais.press : La laïcité ? Le blasphème ? le droit à la caricature ? Aujourd’hui, on ne sait plus finalement qu’est-ce qui a pu être reproché à la France ?
Arnaud Lacheret : Ce qui est reproché à la France est très compliqué à contrer car il s’agir d’un tissu de mensonges savamment distillés par des médias contrôlés par des puissances étrangères et qui font mouche, notamment sur les réseaux sociaux. On nous reproche l’interdiction du voile alors qu’il n’est pas interdit en France dans l’espace public, on nous reproche le fait que notre Président encourage les caricatures de Mahomet alors qu’il n’a pas du tout dit cela, on reproche, toujours à Emmanuel Macron, de faire la guerre aux musulmans, alors qu’il précise à chaque fois qu’il s’agit des extrémistes et des radicaux… Bref, la France fait face à des accusations, mensongères qui sont d’autant plus difficile à contrer. Si on ajoute à cela que la notion de laïcité n’est pas très bien comprise dans le monde arabo-musulman, notamment parce qu’elle est mal expliquée par nos représentants officiels aussi, disons-le, on a tous les ingrédients pour passer pour les boucs émissaires idéaux.
Lesfrancais.press : Au-delà de l’idéologie, est-ce que cette campagne n’a pas servi, finalement, la politique intérieure de certains leaders ?
Arnaud Lacheret : Evidemment, un Reycep Tayyib Erdogan aux abois avait tout intérêt à faire marcher la machine propagandiste à plein tubes. J’ai l’impression qu’il existe plus de vidéos de propagande turque en langue arabe que dans toute autre langue, c’est affolant. Les discours d’Emmanuel Macron sont volontairement mal traduits, des extraits de discours de personnalités d’extrême droite sur des chaines d’info passent pour la parole de la France, bref, tous les ingrédients d’une manipulation de masse sont là. A cela s’ajoute l’opportunisme de personnages comme le leader pakistanais qui surfe sur le fanatisme d’une partie de sa population pour se refaire une santé politique et vous l’aurez compris, il y a tout pour voir se déchainer une haine anti France aussi absurde qu’injuste.
Lesfrancais.press : Il y a eu tout de même des manifestations importantes, comme les 50 000 personnes réunies à Dacca (Bangladesh) ce lundi 02 novembre. Est-ce que la rupture n’est pas aussi consommée avec la population de ces pays ?
Arnaud Lacheret : On semble découvrir les pays musulmans d’Asie du Sud à l’occasion de cet épisode. Déjà, ce sont des pays très peuplés, et donc il est plus facile de rassembler 50 000 fanatiques en un même lieu qu’au Qatar par exemple. Ensuite, il s’agit du berceau de l’Islam radical, ne l’oublions pas. Oussama Bin Laden était caché au milieu d’une ville peuplée de militaires pakistanais, on a tendance à l’effacer de nos mémoires un peu vite ! De même, Asia Bibi, cette pauvre paysanne chrétienne, a été condamnée à mort par plusieurs tribunaux pakistanais jusqu’à ce que la cour suprême finisse par l’acquitter. Il ne se passe pas une semaine sans que l’on apprenne que dans tel village de cette région, un lynchage pour blasphème n’ai lieu… On ignore beaucoup cela en France parce que ces pays sont assez lointains, et surtout parce que peu de leurs ressortissants sont immigrés dans l’hexagone. Il n’y a donc pas plus de rupture avec ces pays qu’auparavant, il faut juste, et c’est un travail de très longue haleine, travailler avec les dirigeants de ces pays qui feront preuve de bonne volonté pour essayer de calmer cette pression des fanatiques qui menace notamment une puissance nucléaire comme le Pakistan… Et c’est loin d’être une mince affaire.
Lesfrancais.press : Vous dirigez un établissement dont les cours sont largement inspirés de la pédagogie française. Comment expliquez-vous cette séquence à vos élèves ? Avez-vous peur d’un impact de cette campagne sur les effectifs de la prochaine rentrée ?
Arnaud Lacheret : J’étais avec une promotion de MBA à Paris quand Samuel Paty a été décapité. Autant dire que le lendemain, j’ai dû faire preuve de pédagogie. Il y a eu plusieurs réactions : d’abord celle de mes étudiants les plus âgés, ceux de plus de 40 ans, qui ont vécu le terrorisme dans leur pays et connaissent les ravages de l’extrémisme islamique. Souvent, ils m’ont présenté leurs condoléances et ont eu des mots très dur sur le traitement que la France devrait réserver aux terroristes et aux djihadistes. Les plus jeunes et particulièrement les femmes, ont vite eu un discours de crainte, se demandant s’il était prudent de sortir dans la rue par crainte d’éventuelles représailles contre les musulmans. C’est là que je me suis dit que quelque chose ne fonctionnait pas : on n’a pas cette idée naturellement. Quelques instant plus tard, on a commencé à me montrer les vidéos de chaines turques ou qatariennes qui faisaient passer ces messages de haine vis à vis de la France et rendaient nerveuses mes plus jeunes étudiantes. Il a fallu que je fasse preuve de sang-froid pour pouvoir expliquer notre conception de la laïcité et de la liberté d’expression et surtout pour traduire correctement les vidéos que l’on me montrait qui étaient honteusement truquées.
Lesfrancais.press : Dans votre livre, vous évoquez les femmes dont la place commencerait à être reconnue dans ces sociétés, vous parlez d’un sécularisme naissant de la société. Pensez-vous qu’un pont peut être encore construit entre nos civilisations ?
Arnaud Lacheret : Non seulement il peut, mais il doit être construit. Mon livre est à ce titre une première puisqu’il fait parler les principales actrices du changement dans le Golfe : les femmes de la classe moyenne qui acquièrent des postes de plus en plus important au sein du secteur privé, ce qui est une vraie nouveauté, notamment en Arabie Saoudite où des femmes se retrouvent parfois à des postes d’encadrement où elles dirigent des hommes que quelques années auparavant elles n’avaient même pas le droit de côtoyer !
Ce changement est énorme et, c’est ce que j’ai essayé de démontrer, est ensuite « importé » par ces femmes dans leur milieu d’origine, dans leurs familles, auprès de leurs amies… et c’est CE moment précis qui fait que les mentalités changent. On est désormais fier de la réussite de la fille de la famille et on s’imprègne de ces valeurs nouvelles. Ces femmes sont désormais des micro-modèles pour leur entourage dont certaines vont s’inspirer, pour suivre des études, travailler, changer leur vision du monde. C’est un mécanisme discret, mais passionnant et redoutablement efficace que je mets à jour à travers cette enquête.
Lesfrancais.press : Est-ce que la loi sur le séparatisme islamique en préparation en France ne sera pas une nouvelle occasion d’enflammer les relations ?
Arnaud Lacheret : Oui et non. Vous aurez remarqué que le Royaume du Bahreïn, les Emirats Arabes Unis, l’Arabie Saoudite, soutiennent plutôt la France dans cette épreuve. Autrement dit, ils essaient de comprendre qui nous sommes et contre quoi nous luttons, et ils savent très bien de quoi il s’agit. On l’oublie souvent, mais une chaine comme Al Jazeera est interdite dans ces pays, les sites internet de type AJ+ sont bloqués, les Frères Musulmans sont considérés comme une entité terroriste… Bref, tant que nous luttons contre l’extrémisme et le terrorisme, ainsi que contre l’islamisme politique, je crois que ces pays arabes qui en connaissent trop les méfaits pourrons nous comprendre. Cela nécessitera de la pédagogie et j’espère que nos diplomates y sont disposés : la propagande est dure et il nous faut contre attaquer en faisant valoir notre voix qui, contrairement à celle de nos adversaires, n’est pas un message vicié et mensonger. Nous avons tout à y gagner et il semble que le Président de la République ait clairement choisi cette voie.
M. Lacheret nous vous remercions d’avoir accepté de répondre à nos questions. Nous rappelons que votre livre La femme est l’avenir du Golfe sera disponible à la vente dès ce samedi 7 novembre.
Rencontre avec Arnaud Lacheret
Dans ce podcast, Mathieu, le journaliste du site lesfrançais.press, accompagne l’écrivain, Arnaud Lacheret, sur les chemins de la recherche universitaire au coeur d’un pays musulman. Un petit quart d’heure pour comprendre la genèse d’un livre qui abat les préjugés.