Bonjour aujourd’hui je vous propose une méditation sur l’apprentissage des connaissances et l’éducation.

On sait très bien que tous deux sont indissociables, mais si souvent c’est le premier qui prend le pas sur l’autre. Dans le premier cas, il s’agit avant tout de remplir, dans le second surtout de façonner. l’interférence entre les deux est évidente. 

Bien entendu, le remplissage façonne, car le contenant n’est pas fait avec de la matière dure, résistante à toute pression de l’intérieur ou de l’extérieur. Au contraire il est fait avec de la matière dont la plasticité est bien connue, voire reconnue rien que dans l’expression constatant l’élargissement de l’horizon de compréhension de soi-même et du monde par les savoirs.

Fasciné par le façonnage, je m’aventure dans ce domaine en constatant que dans la dimension chrétienne, la Gratia supponit natura,  c’est une empreinte qui modifie la structure du support, signature indelible. Décryptage.

Façonner des personnalités, c’est l’objectif de toute éducation, bonne ou mauvaise, selon les critères que chacun appliquera. Différents chemins y mènent depuis les plus dures à la spartiate, jusqu’aux plus doux, les “smooth”. Discipline positive ou pas, il y a une recherche pédagogique qui s’impose pour pouvoir procéder à l’action visant à permettre à la personnalité de s’affirmer et forger le caractère.

C’est vrai aussi pour le chrétien et on a vu l’application de toutes ces méthodes avec pour effet une fortune variable. Ce qui nous conduit aujourd’hui sur les vastes étendues frontalières entre  être et  ne pas être, entre incarné et décharné, entre spirituel et véniel. Aujourd’hui forger une personnalité  chrétienne repose plus que jamais sur quelques fondamentaux de l’Évangile. 

C’est le travail d’un sculpteur qui agit de l’intérieur à partir du coeur, sa nature divine respecte infiniment la liberté de celui qui ainsi se laisse façonner,  jusqu’à le contredire dans la pertinence même de sa présence. Et Dieu en sculpteur agit à l’image de Camille Claudel,  qui, enfant, voyant le sculpteur travailler s’imaginait qu’il libérait le corps d’une masse de granit où il avait été emprisonné (Ma soeur Camille de Paul Claudel, à vérifier!)  

Être plutôt que ne pas être, c’est non seulement s’imposer en silence pour la plupart du temps, par la douceur toujours, dans la vérité dans l’amour. Douceur, vérité, amour, la qualité de leurs imprégnation est dans la respectueuse constance. Y tenir contre vents et marées, et  il y en a de tous les côtés, visibles comme invisibles, extérieurs et intérieurs.

Sans jamais oublier le cap qu’est la vie éternelle, qui fait endurer le temps nécessaire. C’est la faiblesse de la transmission de la foi en la vie éternelle qui explique en grande partie le décrochage si massif des nouvelles générations, nourries sous pression d’un modèle dominant au biberon des valeurs, (mais c’est pour une autre fois).  On se contente alors  des effets de la source sans jamais  y remonter pour s’y nourrir, pour s’y ‘reproduire’. 

Endurer  dans cette perspective, celle de la vie éternelle, ce n’est pas seulement s’habituer à la présence de la vie éternelle dès maintenant. C’est en côtoyer la réalité intellectuellement et en vivre spirituellement. Bien plus que  dans une posture de réserve symbolique pour un avenir, si souvent considéré comme incertain, mais sur lequel on s’appuie quelque part pour s’assurer. C’est surtout durer dedans, le temps qu’il faut.

Et tout cela pour un bien être en décalé par rapport au bien être immédiat de l’enfant. Lui qui, tout en me faisant découvrir son monde, un monde  autrefois si semblable au mien, mais enfoui sous les couches épaisses de sédimentations de mon existence. 

Maintenant il m’indispose par ses refus constants où il tente d’échapper à la perspective du long terme, qu’il ne voit pas et,  sauf une période dite mystique à la sortie de la petite enfance et au seuil de l’adolescence, ne peut pas voir.  

Il cherche seulement à conquérir l’espace de sa liberté au gré de ses envies immédiates. Mais capitaliser dans le futur qu’il pressent, c’est pour lui se concentrer autour de certains centres d’intérêts.  Centres dont les composantes vont constituer des matériaux de base pour sa personnalité d’adulte. 

En attendant, malgré lui patiemment et surtout impatiemment, il dispose d’une force de persuasion à faire fondre les glaciers entiers qui emprisonnent son désir de vivre comme il l’entend. 

Il s’impose en future sculpture qui sort peu à peu à l’extérieur d’un bloc des convenances dans lesquelles on voudrait l’enfermer. Sans aucun doute pour le bien outiller pour affronter l’avenir,  en voulant le protéger, désirant lui épargner bien des tracas et bien des inconvénients. Pour lui donner une bonne éducation.

Tiens-toi bien à table, on ne mange pas avec les doigts, on ne met pas les coudes sur la table etc. La table de la vie et de ses restaurations se dresse devant lui avec le gîte et le couvert que l’on lui prépare, lui craintif parfois, mais résolument tourné vers l’avenir est prêt à dévorer ce qui s’y présente. Comme disait mon père, en ancien militaire, en guise de bénédiction, tout ce qui est devant vous on l’attaque, d’une manière peu élégante mais bien persuasive pour nous faire comprendre, à nous les cinq garçons, que manger c’est pour avoir des forces, ce dont on était persuadés et n’avions pas vraiment besoin que l’on nous le rappelle.

L’enfant intègre tout cela malgré tout, mais sans vraiment être persuadé du bien fondé de la nécessité de respecter les règles sociales à 100%. À la première occasion il se relâche pour savoir comment c’est sans. 

Et en même temps, l’enfant sait qu’il a besoin des limites qu’on lui impose pour pouvoir être assuré qu’il grandit dans la bonne direction. Donc tout ceci semble de bonne guerre.

Le façonnage éducatif c’est l’art de la rencontre de deux libertés. L’autre me l’impose jusqu’à ce qu’il s’impose. Il gagnera toujours, car il grandit pour conquérir des nouveaux espaces de sa liberté. Cette liberté sera conditionnelle, car référencée à un certain nombre des valeurs, auxquels plus tard il se référera en plein ou en creux.

 

Façonner des personnalités, c’est assurément les mettre en contact avec les réalités fortes, décrites par  des adjectifs forts: personnalité forte, il a du caractère, il ne se laisse pas faire…  Fort de la  force de l’Évangile qui prend la vie par le plus bas pour l’élever au plus haut.

Le façonnage de la personnalité s’accomplit dans un perpétuel mouvement, pas agité, mais agile, par hyperactif, mais en action. Mais sans jamais être déraciné.  

C’est comme chez  Bieguni, cette tribu juive perdue dans les steppes kazakh et au-delà, qui a donné lieu à une narration bien singulière publiée sous forme d’un livre au titre  homonyme, livre qui a valu à son auteur, Olga Tokarczuk, l’an dernier le prix Nobel  de littérature.  

Tellement fascinés étaient les yeux des lecteurs et du jury devant le spectacle de la vie en mouvement racontée par cette femme polonaise: fascinés par la vie sans frontières partout présente sur la terre et jusque dans le corps bien physique de ses composantes.

Nos personnalités sont façonnées pour accueillir bien des mouvements, elles sont agiles, perspicaces. Et pris dans un vertige de fascination devant nous mêmes et ce qui nous entoure,  fascinées jusqu’à devenus myopes en se faisant “entuber” par la frénésie du mouvement. 

C’est la pandémie qui a eu raison de la mienne par le fait que c’est seulement durant le confinement que j’ai pu savourer le contenu des Bieguni (Flightes, en russe biezency, stranniki). Livre qui dormait à mon chevet d’un sommeil peu profond, entrecoupé de réveils activés par le désir de le prendre et le lire. Mais les priorités s’imposent.

Pour bien courir, il faut savoir s’arrêter. Pour savourer, il vaut mieux avoir du palais et du nez qui apprécient tout à leur juste valeur. Cela prend du temps, quand c’est nécessaire. Ce que j’en fais, c’est une autre histoire.

l’enfant grandissant, l’éducation se poursuit en auto éducation, car nolens volens assumée. Elle est toujours active et n’introduit aucune stagnation, inaction, stabilisation qui risquerait de faire endormir les enfants et les adultes avec. Sauf quand c’est pour garder de bouts de gras, mais c’est aussi périssable, car périssable est l’envie et périssable surtout est le bout en question.

L’enfant qui cherche à se libérer du système qui lui est imposée va en créer un autre, semblable très proche, jamais à l’identique (ou alors c’est une réplique pathologique). Dans l’éducation tout bouge et tout doit être référencé sur l’objectif clairement défini qui dépasse l’instantané, comme le bateau sur la mer plus ou moins agité mais qui garde le cap. Et on sait tout cela, je vais arrêter là au risque de vouloir donner l’impression de défoncer des portes ouvertes. Et pourtant je ne peux pas m’arrêter.

En effet, avec la pandémie presque tout s’arrête, sauf le virus et ceux qui lui courent après. Nous avons le temps, non seulement pour faire ce que nous n’avions pas eu le temps de faire avant lorsque nous étions “zabiegani”. 

C’est-à-dire très occupés en courant partout, comme Bieguni qui fuyaient le système de l’époque. Sans s’en rendre compte, que comme eux nous en créions un autre, le nôtre.  C’est notre façonnage, c’est notre auto éducation. Chacun tente de se fabriquer son Crédo, pour la vie, pour l’éducation dedans et s’y mouvoir à notre guise.

Comme quoi tout bouge et dans certaines longueurs à valeur comparée plus que dans d’autres on se sent particulièrement occupé, zabiegany. 

La pandémie c’est aussi le temps propice pour réfléchir comment continuer à façonner les personnalités. Pas seulement les nôtres, déjà adultes car en situation de responsabilité assumée, mais celles des jeunes et moins jeunes. 

Forger des caractères forts au contact avec de sensations fortes générées par les situations limites. Il en faut un peu plus que ce que la société endormie sur la grande roue de la fortune et de son contraire peut fournir pour faire tourner la tête, et le corps avec.

Il faut surtout de la vrai vie, qui, elle est toujours en mouvement au rythme des temps d’arrêts sur ceux qui n’en peuvent plus. Montrer la vraie vie des autres et donc apercevoir la sienne telle qu’elle est sans emballage.

Respirer  physiquement à fond est une des obligations et un signe de bonne santé.  Sinon la covid risque de nous faire perdre le souffle et nous dégoûter de la vie. Mais respirer à fond spirituellement nous occasionne de pouvoir forger nos caractères.

En Dieu je peux tout, dit un certain Paul. Vive la vie et vive le caractère fort qui l’imprime. Et de la vie, il n’en manquera nul part, elle qui court toujours. 

Gratia supponit natura, façonner avec douceur et persévérance, dans vérité car par amour. L’Évangile n’est que cela et, il est bon de le prendre pour modèle. C’est plein d’espérance, y compris pour la bonne éducation. A la vie, et à la foi en elle et pour l’autre, dans l’au-delà.